FOCUS – Des chercheurs grenoblois de l’ISTerre ont contribué à caractériser le séisme du Teil qui s'est produit le 11 novembre 2019. Les résultats de cette étude, publiée dans Communications Earth & Environment le 27 août 2020, rebat les cartes de l'alerte sismique en France. Des investigations sont déjà en cours pour réévaluer le risque dans les Alpes.
« Le séisme du Teil nous prouve que la cartographie des failles actives est à reconsidérer en France », affirme Laurence Audin directrice de recherche à l’Institut grenoblois des sciences de la Terre (ISTerre). De fait, le 11 novembre 2019, la faille de La Rouvière située dans la vallée du Rhône en Ardèche près de Montélimar, pourtant considérée jusqu’ici comme inactive, a bel et bien bougé.
La scientifique qui a contribué au sein d’un consortium de chercheurs français et italiens1Ont participé à cette étude des membres des laboratoires : Géosciences Montpellier (CNRS/Université de Montpellier/Université des Antilles), Géoazur (CNRS/Observatoire de la Côte d’Azur/IRD/Université Côte d’Azur). Aussi, de l’ISTerre (CNRS / IRD / Université Grenoble Alpes / Université Savoie Mont Blanc / Université Gustave Eiffel), de l’IRSN et de la société Terradue (Italie). à caractériser ce séisme, ne manque pas de le qualifier d’« exceptionnel ». Notamment parce que « au Teil, le séisme pourtant de faible magnitude a provoqué une rupture en surface et des impacts assez dramatiques pour les habitants aux alentours avec des maisons qui ont été détruites ou fissurées », justifie-t-elle.
L’étude de ce séisme a permis d’élucider les raisons de son fort impact en surface. Et conclut sur la nécessité de réévaluer le risque sismique en France où des milliers de failles jusque-là considérées comme inactives parcourent le territoire. La revue Communications Earth & Environment a publié ces travaux le 27 août dernier.
Un séisme historiquement sans précédent
Les sismologues étaient présents sur place dès le lendemain du séisme. « Nous n'étions pas sûrs de trouver des ruptures de surface à cause de la faible magnitude du séisme de 4,9. Et s’il y en avait, nous nous attendions à des déformations de très faible amplitude. Avec la pluie, le passage des voitures ou le piétinement du bétail, ces traces peuvent être rapidement effacées. »
L’étude de ce séisme « historiquement sans précédent » a mobilisé, pour la première fois en France, l’ensemble des outils modernes de la sismologie, de la géodésie (l'étude de la forme et des déformations de la surface terrestre, par drones ou par satellites) et de la géologie.
Pour quels résultats ? En réalité, la réactivation de la faille de la Rouvière a engendré une rupture et un déplacement inattendus de la surface du sol. Un fait rarissime, sachant que moins de 10 % des séismes de cette magnitude provoquent des ruptures de surface.
Le foyer du séisme se situait autour d'un kilomètre de profondeur
« Héritée d’une phase d’extension il y a 20 à 30 millions d’années (période Oligocène), cette fois, la faille a joué en sens inverse (compression), avec un déplacement moyen du sol de 10 cm verticalement et de l’ordre de 10 cm horizontalement aussi », précisent les chercheurs.
Les scientifiques estiment l’initiation du séisme (le foyer) autour de 1 km de profondeur2« Les séismes sur des failles continentales se produisent habituellement à une profondeur de plus de 5 à 10 kilomètres avec, pour cette raison, peu d’impact en surface ».. Des investigations se poursuivent pour le localiser encore plus précisément. En outre, les sismologues ne savent pas encore ce qui a pu réactiver cette faille qui n’avait pourtant pas bougé sur la période du quaternaire à nos jours. Autrement dit, pendant les deux derniers millions d’années. La recherche de la cause est, elle aussi, toujours en cours.
« Le caractère superficiel du séisme du Teil suffit à expliquer que la rupture le long de la faille se soit propagée jusqu’à la surface, causant des dégâts très importants dans la ville et ses alentours malgré une magnitude modérée », estime Laurence Audin.
La paléosismologie permet d'expertiser les failles anciennes
Une chose est sûre, « ces résultats suggèrent la possibilité que d'autres failles anciennes puissent être réactivées en France ou en Europe de l’Ouest et produire de tels déplacements du sol », en concluent les chercheurs.
Certes, la France métropolitaine n’est pas un territoire qui présente un risque sismique équivalent à celui du Japon ou des Andes, frappés par de grands séismes responsables de tsunamis.
Néanmoins, « ce serait une erreur de négliger le risque de séismes de plus faible magnitude car certains comme celui du Teil peuvent avoir un impact très important pour les sociétés », insiste Laurence Audin. D'où l'intérêt de la paléosismologie, méthode qui permet d'expertiser les failles anciennes jusque-là considérées comme inactives en France (cf. encadré).
L'ISTerre a déjà entamé des investigations dans les Alpes
Plusieurs équipes françaises ont déjà entamé des investigations à la recherche d’indices d’anciens séismes le long de plusieurs failles actuellement considérées comme inactives. De fait, on ne va pas pouvoir expertiser l'ensemble des failles françaises, et pas seulement à cause de leur nombre élevé. « Le site doit également se prêter à ce type d’étude et il faut aussi obtenir l'autorisation des propriétaires, suffisamment de financements etc.», énumère la chercheuse.
Dans les Alpes, c'est une équipe de l’ISTerre de Grenoble et Chambéry qui travaille au recensement des sites dont la paléosismicité mérite des études en priorité. La zone de Grenoble3« Grenoble est installée dans une vallée bordée par la faille active de Belledonne et parcourue d'autres failles dont certaines sont actuellement classées comme inactives » en fait partie, Vienne y compris.
Le tout, dans le cadre d’une initiative nationale intitulée Fact pour Faille active France, lancée juste avant le séisme du Teil.
« On a donc eu une forte intuition », souligne Laurence Augin, qui n'en perd pas pour autant son pragmatisme : « Il va falloir qu’on change notre façon d’intégrer l’information faille dans les modèles de risques sismiques et faire évoluer la réglementation et le code de construction, en fonction de ces nouvelles informations. »
Véronique Magnin
1 Ont participé à cette étude des membres des laboratoires : Géosciences Montpellier (CNRS/Université de Montpellier/Université des Antilles), Géoazur (CNRS/Observatoire de la Côte d’Azur/IRD/Université Côte d’Azur). Aussi, de l’ISTerre (CNRS / IRD / Université Grenoble Alpes / Université Savoie Mont Blanc / Université Gustave Eiffel), de l’IRSN et de la société Terradue (Italie).
2 « Les séismes sur des failles continentales se produisent habituellement à une profondeur de plus de 5 à 25 kilomètres avec peu d’impact en surface ».
3 « Grenoble s'étend dans une vallée bordée par la faille de Belledonne pour sa part identifiée comme active. La zone est parcourue par d'autres failles dont certaines sont actuellement classées comme inactives. »
Quid de la paléosismologie ?
Pour déterminer l'activité des failles en France, la paléosismologie est une méthode moins onéreuse que le déploiement d’un réseau d’instruments à la surface du sol sur tout le territoire. Réseau qu’il faudrait, par ailleurs, étoffer d’un facteur 10 à 100 par rapport à l’existant. Et qui, en outre, « est davantage propice à l’étude des gros séismes de magnitude supérieure à 5 », estime Laurence Audin.
Repérer le meilleur endroit où creuser
La paléosismologie consiste à creuser une petite tranchée de 10 mètres sur 2 mètres environ perpendiculairement au tracé de la faille identifiée comme potentiellement active. Ce, « pour vérifier si cette dernière a produit un séisme depuis 10 000 ans par exemple, en recherchant les déformations correspondantes dans le sol qu'il convient ensuite de dater au carbone 14 », explique la directrice de recherche.
« Si tel est le cas, on peut conclure qu’elle est active. » À savoir, qu’elle pourra produire à l’avenir et à l’échelle de temps de la terre un nouveau séisme.
Cette méthode, à première vue peu coûteuse, nécessite toutefois le repérage du meilleur endroit où creuser. C’est là qu’intervient la topographie ultra haute résolution (de l’ordre de la dizaine de centimètres) utilisant la télédétection par laser (Lidar). Une technique longtemps réservée aux militaires que les scientifiques utilisent depuis moins de cinq ans.
Concrètement, « la topographie haute résolution permet d’identifier la trace d’un escarpement en surface dans le paysage, avec potentiellement une bonne interaction de la sédimentation et de la faille qui va nous permettre de dater les déformations passées », détaille la spécialiste.