TRIBUNE LIBRE – Sarah Loraux-Chiffard souhaite ici partager le quotidien très difficile des parents d’enfants autistes en cette période de confinement. Alors que ceux-ci souffraient déjà d’isolement, de préjugés et d’un système éducatif peu inclusif, l’arrêt des soins a eu un effet désastreux sur leurs enfants hypersensibles et angoissés qui ont besoin de journées très structurées.
Faire école à la maison, devoir arrêter de travailler ou continuer à travailler tout en s’occupant de son enfant, se couper de toute vie sociale, se sentir isolé…
Voilà une situation que nous, parents d’enfants autistes, connaissions déjà que trop bien, bien avant le confinement… C’est notre quotidien depuis des années pour beaucoup. Ce n’est qu’une épreuve de plus à traverser, qui a un goût de déjà vu.
Notre vie est déjà un combat quotidien : combattre les préjugés, combattre le système peu inclusif, combattre jour après jour pour le bien-être de nos enfants. Depuis le début du confinement, les témoignages de parents épuisés au bout de quinze jours se sont multipliés : épuisés du quotidien avec leurs enfants, de devoir faire école à la maison tout en gérant le télétravail…
C’est avec un sourire un peu ironique que nous constatons qu’enfin les parents vivent un peu de notre quotidien. Un sourire amer également quand nous constatons que très rapidement les aides se débloquent, l’Éducation nationale s’adapte, les livres et supports pédagogiques gratuits affluent, les numéros verts et aides psychologiques également… C’est aussi avec joie que nous constatons que certains parents découvrent la joie de passer du temps avec leurs enfants, de mettre le temps sur pause, de prendre le temps…
Pour beaucoup de familles d’enfants autistes, le confinement est catastrophique
Un air de déjà vu mais, pour autant, bien différent… Pour beaucoup de familles d’enfants autistes le confinement est catastrophique, le changement radical des habitudes a un effet désastreux. Perte de repères, routine altérée, incompréhension…
Les autistes ont besoin de routine et de rituels, il est vital pour eux d’avoir un emploi du temps structuré, tout cela est nécessaire à leur bien-être. Ils sont également hypersensibles et angoissés. Il a fallu recréer des rituels et habitudes, restructurer les journées dans un espace parfois exigu.
Les troubles du comportement et crises quotidiennes se multiplient, parfois violentes, les angoisses sont prédominantes. Ils vivent dans un stress permanent, une situation pesante et épuisante pour toute la famille.
L’arrêt des soins a également un effet désastreux sur les enfants autistes
L’arrêt des soins a également un effet désastreux. Des comportement qui avaient été améliorés grâce aux soins et suivis depuis des années réapparaissent, et souvent démultipliés. Les parents doivent se transformer en éducateurs, psychomotriciens, orthophonistes, psychologues, afin de combler le manque nécessaire à leur bien-être. Tout cela parfois en assurant l’école à la maison pour le reste de la fratrie, mission presque impossible.
Même si les règles se sont assouplies pour les personnes en situation de handicap, après une annonce gouvernementale, pas question de mettre un pied dehors pour autant. Très respectueux des règles, si on ne peut pas sortir, on ne sort pas. Leur logique différente ainsi que leur besoin de compréhension rendent, pour certains, les sorties presque impossibles face à un virus invisible et inexplicable.
Les parents sont épuisés, à bout, mais obligés de tenir le coup, de rester calmes, d’être forts et rassurants, avec pourtant cette éternelle angoisse, exacerbée par ce virus : « si je n’étais plus là, que deviendrait mon enfant ? » Nous qui sommes les seuls à déchiffrer leurs comportements si « bizarres » aux yeux des autres.
Que le monde d’après ne soit pas un copier-coller du monde d’avant
Lorsque le monde retrouvera sa “normalité”, nous resterons encore en marge de celle-ci, la plupart du temps. Notre combat continuera, mais avec de nouvelles difficultés qui se seront ajoutées : conséquences de la rupture dans les prises en charge et soins, conséquences des traumas qu’ils ont subis ces derniers mois.
Notre souhait est qu’une fois cette pandémie derrière nous, les gens n’oublient pas ce qu’ils ont traversé, ce qu’était la solitude, que le monde d’après ne soit pas un copier-coller du monde d’avant.
Nous l’avons vu, nous sommes tous capables de tolérance, d’empathie, de combativité et de solidarité !
Sarah Loraux-Chiffard
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