FOCUS – Droit au logement 38 et plusieurs associations de défense du logement ou des migrants se donnaient rendez-vous devant le Conseil départemental de l’Isère mercredi 28 août. Motif de leur colère ? Environ soixante-dix jeunes, pris en charge par l’aide sociale à l’enfance en tant que mineurs non accompagnés et ayant atteint leur majorité, seraient en passe d’être mis « à la rue » au soir du 31 août. Le Département réplique en affirmant que la mission de protection de l’enfance ne peut être confondue avec celle de l’hébergement d’urgence, et que la collectivité suit près de 500 jeunes majeurs en cours de formation.
« Soixante-dix jeunes majeurs étrangers mis sèchement à la rue » ? C’est le chiffre que livre le Dal 38 (Droit au logement) à l’occasion d’un rassemblement devant l’Hôtel du Département de Grenoble. En cause ? La fin de l’hébergement pour des jeunes mineurs non-accompagnés (MNA), suivis au titre de l’Aide sociale à l’enfance (Ase), dont le passage à la majorité les exclurait du dispositif. Et les priverait de solution de logement dès le début du mois de septembre.
Face à cette situation, l’association explique avoir demandé un entretien avec Sandrine Martin-Grand, vice-présidente du Département en charge de la Famille, de l’Enfance et de la Santé. Réponse ? Impossible pour cause de vacances. « Elle nous a fait dire […] que nous ne devions pas nous inquiéter, que chaque cas était suivi et qu’elle nous tiendrait informé », écrit le Dal, visiblement peu convaincu.
« Un double discours manifeste et cynique »
C’est pourquoi le collectif appelait à une manifestation devant les locaux mêmes du Conseil départemental de l’Isère le mercredi 28 août à partir de 12 h 30. Une mobilisation suivie par de très nombreux jeunes concernés par les sorties, ainsi que par d’autres organisations comme la Cisem, la Cimade, Migrants en Isère ou encore RESF 38. Tous signataires d’un communiqué commun pour s’inquiéter de l’avenir de ces jeunes majeurs.
Les revendications des associations ? Que les jeunes en question puissent terminer leur formation qualifiante, qu’ils obtiennent un titre de séjour avec autorisation de travailler, et que leur hébergement soit maintenu jusqu’à leur accès à l’autonomie. Et Stéphane Dezalay, responsable du groupe local de la Cimade, de dénoncer un « double discours manifeste et cynique », alors que le Département vient de signer avec l’État un engagement pour empêcher les sorties sèches de l’Ase.
Militant CGT et RESF, Pedram Zouechtiagh évoque pour sa part une décision qui lui « glace le sang ». « Je pense à ces jeunes de 18 ans lâchés comme ça, du jour au lendemain. Même nous qui sommes dans la société française, on se pose plein de questions sur comment remplir un formulaire administratif. Vous imaginez comment ils doivent se sentir, eux qui commencent à peine à parler le français et sont tout juste à la sortie de leur formation ? », dénonce-t-il.
L’opposition de gauche monte au front
Les associations et les jeunes n’étaient pas seules présents au rassemblement. Parmi les soutiens au mouvement, l’élu de la Ville de Grenoble Bernard Macret qui n’a toutefois pas souhaité prendre la parole. Une présence d’autant plus symbolique que l’adjoint aux Solidarités internationales est lui-même… un ancien responsable de l’Aide sociale à l’enfance.
Les trois groupes d’opposition de gauche du conseil départemental ont, pour leur part, adressé une lettre aux élus de la majorité. Leur demande ? Un « état des lieux de la situation du renouvellement des contrats jeunes majeurs en Isère au 31 août 2019 [et] des mesures d’accompagnement pour celles et ceux qui vont sortir de ce dispositif ».
Pour Véronique Vermorel, élue du groupe RCSE (Rassemblement citoyen solidaire et écologie), le Département est en situation de déni de ses obligations. « C’est une prestation légale de poursuivre les parcours jusqu’à la fin des études, et une obligation d’avertir un an avant qu’ils ne vont pas poursuivre pour que les jeunes puissent quand même trouver une solution », affirme-t-elle. Et de conclure : « Il y a clairement une volonté de ne pas assumer cela ! »
« Conduire les jeunes à l’autonomie »
Réponse de Sandrine Martin-Grand, sollicitée par Place Gre’net ? « Ce que je peux comprendre de la part de responsables associatifs qui ne connaissent pas forcément la protection de l’enfance ou ce que fait le Département, j’ai plus de mal en ce qui concerne les élus de l’opposition ! », tacle l’élue. Avant de faire remarquer que sur les 1 100 mineurs non accompagnés pris en charge par la collectivité à ce jour, près de 500 ont passé le cap des 18 ans.
Pour la vice-présidente, la mission du Département est claire : « Accompagner ces jeunes avec le souci de les conduire à l’autonomie, de terminer leurs études avec un diplôme qui leur permette de travailler et de s’assumer financièrement ». Ce qui est le cas, estime-t-elle, des jeunes concernés par les sorties à la fin du mois d’août, soit deux mois après les examens de juin. « Deux mois pour se retourner, trouver un emploi et un logement », ajoute-t-elle.
Pas question en somme pour Sandrine Martin-Grand de confondre aide sociale à l’enfance et hébergement d’urgence. « Ces jeunes sont en capacité de travailler et d’obtenir un logement ou un hébergement, dans un foyer de jeunes travailleurs par exemple. Nous ne sommes pas sur la même problématique ou la même configuration que pour les personnes que défend le Dal, comme les déboutés du droit d’asile. Il ne faut pas tout mélanger ! », s’agace-t-elle.
« L’idée, c’est d’amener ces jeunes vers le droit commun » assure le Département
Le directeur général adjoint du Pôle famille du Département abonde. « L’idée, c’est d’amener ces jeunes vers le droit commun, de prévenir les sorties sèches de l’Aide sociale à l’enfance ». Le droit commun ? « L’accompagnement social, le Fonds solidarité logement, les missions locales, les foyers de jeunes travailleurs, les structures d’hébergement d’urgence, les dispositifs des CCAS, etc. », énumère Alexis Baron.
Le cas se pose également pour les jeunes dont le titre de séjour n’est pas accordé par la Préfecture. « Si nous avons connaissance que l’État a décidé que tel ou tel jeune n’a pas de droit au séjour, cela peut nous faire considérer que son projet d’insertion sociale et professionnel n’aboutira pas. Le Département ne peut qu’en tenir compte », indique Alexis Baron. Et ainsi mettre fin à l’hébergement de la personne en question.
Certes, Alexis Baron admet qu’il existe un risque que certains jeunes puissent se retrouver à la rue, mais relativise : « Ce risque existe dans l’ensemble de la population, avec les tensions selon les territoires ». Sandrine Martin-Grand, pour sa part, resserre de nouveau sur la compétence du Département : « La protection de l’enfance, ce n’est pas héberger des personnes qui n’ont pas de toit sur la tête ! », insiste-t-elle.
L’inconditionnalité de l’accueil en question
Un (nouveau) dialogue de sourds, entre un Département qui évoque sa mission et des associations qui invoquent « l’inconditionnalité de l’accueil » ? Une délégation devait été reçue par Alexis Baron suite à la manifestation, mais les collectifs ont demandé une rencontre directe avec Sandrine Martin-Grand et Jean-Pierre Barbier, président du Département. « Je les ai rencontrés en février et en juillet, je n’ai pas prévu de les rencontrer de nouveau », répond l’intéressée.
Le Dal compte bien, pour sa part, pousser au bras de fer. « On a demandé aux jeunes de ne pas quitter les lieux, et on va leur donner des documents à mettre sur leur porte pour rappeler la notion d’inconditionnalité du logement », explique Patricia Ospelt, membre de Droit au Logement 38. Avec l’espoir d’être suivi ? « Le système mis en place est très compliqué pour eux, mais on va les aider à faire ça ! », conclut la militante.