FOCUS – Des femmes musulmanes appuyées par l’Alliance citoyenne ont mené une action de désobéissance civile à la piscine des Dauphins, ce vendredi 17 mai. Vêtues de maillots couvrants, elles tenaient à faire pression sur la Ville de Grenoble pour que le règlement intérieur des piscines soit changé. Balayant l’argument sanitaire, le groupe a ainsi pu s’ébattre en ignorant délibérément les rappels à l’ordre du personnel.
« Nous allons rentrer dans la piscine avec le maillot de bain qui nous convient. On y va, nous allons faire cette action ! » Elles l’avaient annoncé, elles l’ont fait.
Ce vendredi 17 mai, sur le coup de 18 heures, un collectif de femmes musulmanes soutenu par des militantes et militants de l’Alliance citoyenne a accédé aux bassins de la piscine Les dauphins.
Bravant l’article 12 du règlement intérieur et les rappels au règlement du personnel, elles ont ainsi pu s’ébattre dans l’eau. L’objectif de cette action de désobéissance civile ? Maintenir la pression sur la Ville de Grenoble pour qu’elle change les règles et permette aux femmes musulmanes de se baigner dans la tenue de leur choix.
« On n’a jamais le droit ! On en a marre ! »
« Il y en a assez de ces règlements intérieurs des piscines discriminatoires, où nous ne pouvons pas accéder aux bassins. On n’a jamais le droit ! On en a marre ! » Peu avant de pénétrer dans l’enceinte de la piscine, Taous Hammouti, l’une des femmes du groupe, ne décolère pas. Cette dernière proteste contre l’article 12 du règlement, imposant le port du classique maillot aux clientes de l’établissement.
« Il n’y a aucune loi qui dit qu’il faut tel ou tel maillot. Il y a deux seules conditions : l’hygiène et la sécurité. Nous n’enfreignons aucune de ces règles », objecte-t-elle.
« Nous défendons notre liberté, celle de toutes les femmes qui, par pudeur, ne veulent pas mettre un maillot deux pièces », ajoute Taous Hammouti, Puis, déterminée, elle rejoint ses amies se dirigeant vers la piscine accompagnées de militants et militantes de l’Alliance citoyenne.
Après s’être changées, les jeunes femmes sont rappelées à l’ordre par la directrice de l’établissement et le personnel tentant de les refouler. Mais elles passent outre et gagnent les bassins sans que le personnel quelque peu exaspéré n’insiste trop. « A priori, ils auraient reçu des consignes pour ne pas nous empêcher de nous baigner », commentera, un peu plus tard, un militant de l’Alliance citoyenne.
Quant au public présent sur place, qui s’est retrouvé au milieu des baigneuses très repérables à leurs vêtements les couvrant de la tête aux pieds, il n’a pas manifesté de réactions particulières. En somme, une baignade tout ce qu’il y a de plus normal, avec ses habituels ébats et les cris des enfants qui jouent en s’éclaboussant.
« Ce n’est pas normal »
Environ une heure plus tard, avant qu’elles ne sortent des bassins, un homme qui vient de terminer sa baignade réagit. « C’est inadmissible, ce n’est pas normal qu’on accepte ainsi un groupe entré quasiment en force », s’indigne-t-il.
Une jeune femme avec enfants ne faisant pas partie du groupe s’exprime, elle aussi. « Sur le fond, qu’elles se baignent habillées comme elles le veulent ne me gêne absolument pas. Par contre, sur la forme, je n’ai pas apprécié leur manière de s’imposer », nous confie-t-elle. D’autres personnes, interrogées vont, quant à elles, refuser de s’exprimer.
Dès leur baignade terminée, les militantes ne manquent pas d’exprimer leur satisfaction. Et pour cause, elle ne s’attendaient vraiment pas « à ce que l’action se déroule aussi bien ». À leur côté, Elies Ben Azib, salarié de l’Alliance citoyenne, se montre tout aussi satisfait et y va de ses commentaires.
« Ces femmes voilées sont victimes de discrimination dans les piscines. L’argument sanitaire ne tient pas », déclare le jeune homme. Qui prend pour exemple celui de la ville de Rennes, qui tolère désormais le burkini. Selon le militant, « des tests ont démontré qu’avec des burkinis ou maillots couvrants, aucune augmentation des bactéries n’a été constatée. »
« Là, elles ont ouvert une brèche »
Quant au trouble à l’ordre public que pourrait provoquer l’usage de tels vêtements de bain, l’Alliance citoyenne balaie l’argument, en se basant sur une décision du Conseil d’État datant de 2016. Que dit-elle en substance ? « Que [le burkini] ne peut justifier une atteinte au respect de la liberté religieuse garantie par les lois », rappelle l’association.
C’est du reste sur cette base* que 620 femmes membres de l’Alliance citoyenne avaient soumis une pétition au maire de Grenoble Eric Piolle, en juillet 2018. Avec un objectif clair : obtenir le changement des règlements des piscines pour que les femmes porteuses de burkini puissent accéder à ces équipements publics.
Elies Ben Azib en est convaincu, il s’agit là d’une « position politique hystérique et irrationnelle sur la question du voile et de l’Islam ». Pour le militant, la chose est entendue. « Ce sont des femmes, des citoyennes, elles ont le droit d’accéder à la piscine ! » Le militant savoure une première victoire. « Là, elles ont ouvert une brèche. L’idée c’est que maintenant on ne lâchera plus tant que nous n’aurons pas obtenu satisfaction », assure-t-il.
La Ville de Grenoble leur propose un rendez-vous lundi
Le collectif se félicite, en tout cas, d’avoir reçu un appel du cabinet d’Éric PIolle. « J’ai eu une discussion avec Raphaël Revel que nous avions rencontré au mois de septembre et il s’est excusé. »
De fait, après la pétition, la Ville avait reçu, le 17 septembre dernier, les porte-parole des femmes musulmanes. Une entrevue au cours de laquelle la municipalité leur avait promis un rendez-vous resté sans suite. « Il nous a donné rendez-vous ce lundi 20 mai pour discuter à nouveau avec nous », rapporte Taous Hammouti, Mais, chat échaudé craint l’eau froide, le collectif reste prudent.
« J’ai été claire ! Qu’on passe à l’acte ! Qu’on ne perde pas tout notre temps dans des réunions. Nous voulons un changement des règlements intérieurs ! », martèle la jeune femme.
Joël Kermabon
* L’arrêt du Conseil d’État fait référence à une mesure d’interdiction de tenues manifestant de manière ostensible une appartenance religieuse. Les règlements intérieurs des piscines, dont celles de Grenoble, ne font référence, elles, qu’à des critères d’hygiène.