FOCUS – Auteur de bande dessinée grenoblois très remarqué par la critique, Mathieu Bablet dirige depuis l’année dernière la série Midnight Tales, aux éditions Ankama-Label619. Alors qu’il travaille habituellement seul, le dessinateur a souhaité pour ce projet collaborer avec de multiples créateurs, se transformant en véritable « show runner » d’un univers tentaculaire. Il sera en dédicace au Hero Festival aux côtés de plusieurs auteurs membres du Label 619.
À 32 ans, Mathieu Bablet n’en est plus à son coup d’essai. Après deux premiers albums déjà remarqués par la critique, le jeune Grenoblois a rencontré un véritable succès en 2017 avec son troisième album, Shangri-La. Sélectionnée au sein de la compétition officielle du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême, cette première BD (“one shot”) dans l’univers de la science fiction s’est vendue à 90 000 exemplaires et a fait l’objet de multiples traductions à l’étranger. De quoi faire de Mathieu Bablet un auteur incontournable dans le paysage de la bande dessinée francophone contemporaine.
Midnight Tales, un objet hybride qui mêle BD, littérature et documentaire
En 2018, c’est avec un tout nouveau concept que le jeune grenoblois revient sur le devant de la scène : Midnight Tales, une série qui s’intéresse au mythe de la sorcière. L’idée ? Suite aux chasses aux sorcières perpétrées du XVe au XVIIe siècle, les femmes maîtrisant la magie se seraient réunies au sein d’une organisation secrète. Ainsi serait né « L’Ordre de Minuit », destiné à transmettre les connaissances magiques aux générations futures et à lutter contre les forces occultes.
Partant de cet univers aux accents surnaturels, cette série destinée à un public ados-adultes innove particulièrement sur le plan formel. Au lieu d’un seul récit unifié, chaque tome nous invite à découvrir quatre bandes dessinées distinctes, illustrées chacune par un artiste différent, auxquelles s’ajoutent une ou deux nouvelles littéraires, et même parfois des textes documentaires qui proposent un éclairage sur le contexte historique ou social de l’histoire. Par exemple, sur la condition des femmes en Inde ou le colonialisme en Égypte.
Les histoires, situées sur tous les continents, mettent en scène une belle diversité de personnages féminins et font la part belle aux problématiques sociales contemporaines. C’est une volonté de l’auteur. Se définissant comme résolument progressiste, Mathieu Bablet est féministe et végétarien. Et il ne cache pas dans ses ouvrages le regard critique qu’il porte sur la société de consommation.
Une multitude d’auteurs mobilisés sur Midnight Tales
Quand on voit les nombreuses problématiques qui lui tiennent à cœur et qu’il cherche à traiter dans ses œuvres, on comprend pourquoi Mathieu Bablet apprécie avec Midnight Tales de pouvoir raconter « plus de choses, plus rapidement ». En effet, la bande dessinée franco-belge est bien souvent un média lent, un auteur mettant a minima un ou deux ans à dessiner un album car il travaille seul.
Une multitude d’auteurs sont au contraire mobilisés sur le projet Midnight Tales. Cela permet de produire plus de 130 pages de bande dessinée par volume au rythme de deux volumes par an. Une originalité dans le paysage BD francophone, à l’exception de la série Last Man, qui mobilise là aussi plusieurs dessinateurs. Mais surtout de quoi permettre à son auteur d’explorer de multiples thématiques… et aux lecteurs de ne pas trop patienter !
Une position de « show runner »
Ce travail collaboratif offre également à Mathieu Bablet une respiration qui tranche avec la solitude habituelle de son métier. Il adopte ainsi une position de directeur de collection proche du rôle d’un « show runner ». Ce métier, qui consiste à coordonner comme un chef d’orchestre le travail de multiples auteurs, se retrouve habituellement dans l’écriture de séries pour le petit écran. Mais c’est ici dans la BD que l’idée est transposée.
Bablet en profite pour nous faire découvrir ou redécouvrir à chaque volume différents dessinateurs et auteurs qui s’approprient son univers. Dans les deux premiers volumes déjà parus, des auteurs de BD confirmés comme Singelin, Sourya ou Mathieu Bablet lui-même côtoient des artistes plus proches des milieux de l’illustration ou du dessin animé, comme Da Coffe Time ou Mathilde Kitteh, ou encore la romancière et scénariste Isabelle Bauthian.
Dans le prochain volume, à paraître le 24 mai 2019, c’est un collectif de jeunes auteurs de BD grenoblois, The NEB studio, qu’on retrouvera aux côtés de dessinateurs tels que Florent Maudoux ou Baptiste Pagani. Ce tome spécial, consacré au Japon, fera la part belle à la figure du samouraï et aux yokaï, ces esprits-démons caractéristiques du folklore japonais.
En parallèle de ce projet collectif au long court (dix tomes sont prévus), Mathieu Bablet se consacre en solitaire à un nouveau “one-shot” intitulé Carbone & Silicium. Résolument cyberpunk, le récit s’intéresse aux questions du transhumanisme et de l’intelligence artificielle dans un contexte de crise écologique, économique et migratoire. D’un volume d’au moins 250 pages, l’ouvrage est programmé pour septembre 2020.
En attendant, vous pourrez rencontrer Mathieu Bablet au Hero Festival de Grenoble, les 6 et 7 avril 2019, où il dédicacera tout le week-end, matin et après-midi.
Diane Hentsch