REPORTAGE – Samedi 2 mars, Adam et Fatih, deux jeunes Mistraliens de 17 et 19 ans, ont trouvé la mort après une course-poursuite avec la police. Un accident qui a déclenché la colère de jeunes du quartier. Violences et affrontements avec les forces de l’ordre s’enchaînent ainsi chaque nuit au quartier Mistral, qui se retrouve sous le feu des projecteurs. En journée, c’est le calme et l’omerta.
Il y a le bruit des pneus qui s’esquintent à chaque passage de voiture sur les restes de barricades calcinées. Et surtout celui des débris de verre qui craquent sous les pieds des passants, qu’ils proviennent d’un abribus explosé ou des bouteilles jetées trois nuits durant sur les policiers, avenue Rhin et Danube.
À ces débris se mêlent les pierres qui jonchent le sol, marquées par les traces des cocktails Molotov. Des stigmates des violences nocturnes, dont le quartier Mistral n’est pas encore nettoyé.
Hormis l’état du sol et une voiture brûlée encore garée face aux tours de la cité Mistral, le quartier vit comme à l’accoutumée ce mardi après-midi.
Au Plateau, centre sportif et culturel, le va-et-vient est incessant. À la terrasse bondée du snack voisin, les jeunes passent leur après-midi à discuter. Seule singularité ce jour-là, un groupe de journalistes nationaux a pris position sur la place. Karim Boudiaf, l’oncle de l’un des deux jeunes morts ce samedi, répond inlassablement aux questions : « Qui n’a pas fait de bêtises dans son jeune âge ? », demande-t-il au micro de BFMTV.
« Que justice soit faite »
Les habitants du quartier qui répondent aux interrogations des journalistes, il n’y en a pas beaucoup. Ou alors en toute discrétion, sans donner leur nom. On sent les Mistraliens profondément touchés par le tragique événement de samedi dernier. Et tendus face à des journalistes qui viennent mettre Mistral sous le feu des projecteurs.
« On ne les voit pas pour les belles initiatives dans le quartier », lance un habitant amère. Son nom, ou plutôt son surnom, c’est Coco. Il n’en dira pas plus. « C’est sous ce nom que tout le monde me connaît dans le quartier. »
Du haut de ses 45 ans, il se décrit comme « l’un des grands frères de cette génération en colère ». Le natif de Mistral déplore qu”« on en arrive à cautionner leurs agissements ».
En cause, selon lui, le comportement de la police : « Les flics connaissent tout le monde dans le quartier. Samedi, ils poursuivaient les deux jeunes alors qu’ils les connaissent. Ils peuvent très bien venir sonner chez eux le lendemain plutôt que de les mettre en danger ce soir-là. Et, de toute façon, les courses-poursuites par la police sont interdites. »
Le quadragénaire assure que le quartier n’attend qu’un retour au calme : « Pour ça, il faut que les policiers justifient leurs actes. Ça calmera les tensions », assure-t-il. « Que justice soit faite », réclame en écho un tag au pied de l’une des tours de la cité.
« Dégagez ! Il ne se passera rien »
L’après-midi touche à sa fin, le grand soleil confère au quartier une ambiance estivale. À l’ombre des immeubles, une vingtaine d’enfants se retrouvent autour d’un ballon de foot. L’association Le Rocher vient à Mistral deux fois par semaine pour jouer avec eux « et montrer que le quartier vit la journée », insiste un de ses membres.
Et la nuit ? « Vous êtes fous ! Il ne faut pas rester », entend-on. Quelques mètres plus loin, une ancienne Mistralienne venue voir ses parents redoute elle aussi la tombée de la nuit : « Mieux vaut s’enfermer et attendre que ça passe. »
Six camions de gendarmerie défilent déjà à intervalle régulier depuis une heure. Puis, la nuit tombe. Les stores de la pharmacie Mistral descendent et font apparaître avec eux une inscription à la peinture jaune : « Police tueur ! » Mais aucun véhicule de police ne vient se positionner avenue Rhin et Danube, comme lors des trois nuits précédentes.
Un homme demande – pas très poliment – aux quelques journalistes encore présents sur place de partir, jusqu’à ce qu’ils s’exécutent. « Dégagez ! Il ne se passera rien », lance-t-il. La suite lui donnera raison.
Après trois nuits de violence, Mistral a presque pu dormir sur ses deux oreilles, ce mardi soir. “Seuls” deux véhicules auraient ainsi brûlé dans le quartier, selon Le Dauphiné Libéré.
Reste que l’appel au calme lancé par la famille d’Adam, l’un des deux jeunes morts samedi, n’a pas vraiment fait baisser les tensions. Les habitants du quartier croisés ce mardi doutent ainsi que la situation se calme. En attendant, ils vivent le jour et redoutent la nuit…
Jules Peyron