FOCUS – Grenoble, notamment le quartier Mistral, a connu deux nuits de violences urbaines après l’accident de la route qui a coûté la vie à deux jeunes, samedi, sur le pont de Catane. Les deux victimes, âgés de 17 et 19 ans, étaient poursuivis par la police alors qu’elles circulaient sans casques sur un scooter volé. Le procureur de la République de Grenoble a ouvert une information judiciaire et lancé un appel à témoins pour déterminer les circonstances exactes de l’accident.
Un dramatique accident s’est déroulé ce samedi 2 mars vers 23 heures sur le pont de Catane. Deux jeunes de 17 et 19 ans, qui circulaient sans casque sur un scooter volé et étaient poursuivis par la police, y ont trouvé la mort. Ils ont été écrasés entre un bus et le parapet d’une bretelle d’accès alors qu’ils le doublaient par la droite, a précisé Éric Vaillant, le procureur de la République de Grenoble.
Peu de temps après le drame, des émeutes ont éclaté dans les quartiers Mistral et des Eaux-Claires, situés à proximité, où habitait l’une des deux victimes. Notamment sur l’avenue Rhin-et-Danube, entre le Centre des finances publiques et le quartier Mistral. Là, près d’une centaine de jeunes ont ainsi violemment affronté les policiers en dressant des barricades et en incendiant voitures, poubelles et halls d’immeubles (voir encadré).
Une information judiciaire ouverte pour « recherche des causes de la mort »
Dimanche 3 mars, en fin d’après-midi, Éric Vaillant et Nadine Le Calonnec, la directrice de la DDSP de l’Isère ont reçu les proches des deux victimes au palais de justice de Grenoble, aux côtés du directeur général de l’association d’aide aux victimes.
Une information judiciaire a été ouverte afin de déterminer les causes de la mort et un juge d’instruction a été désigné, ce lundi 4 mars. Par ailleurs, une autopsie des deux corps est également prévue.
Lors d’une conférence de presse à laquelle participait également Nadine Le Calonnec, le procureur est revenu pendant près d’une demi-heure sur ce qu’ont révélé les premiers éléments de l’enquête. Et décrit l’enchaînement des faits qui ont conduit un équipage de la brigade anti-criminalité (Bac) à poursuivre le scooter jusqu’à l’accident qui s’est produit sur le pont de Catane, sur le coup de 23 heures.
« Il n’y a eu, selon nous, aucun choc entre le véhicule de la police et le scooter ou le bus »
Que faut-il retenir des propos du procureur ? Tout d’abord que « l’accident est parfaitement décrit par le chauffeur de l’autocar », a souligné Éric Vaillant. Le magistrat a en outre précisé que les tests d’alcoolémie et de stupéfiants pratiqués sur ce dernier n’ont rien révélé. Somme toute, « un professionnel en parfait état de conduire son véhicule », a‑t-il estimé.
De son côté, le conducteur du bus a expliqué avoir vu dans son rétroviseur un scooter et le gyrophare d’un véhicule de police. Ce alors qu’il s’engageait sur une bretelle de l’A480 et s’apprêtait à tourner à droite sur le pont de Catane, en direction de Seyssinet. Il a alors décidé de laisser les deux véhicules le dépasser en se serrant sur la droite de la chaussée.
« Sauf que le scooter a pris la décision de doubler le car par la droite », a relaté le procureur. C’est donc cette manœuvre interdite et totalement imprévisible du conducteur du scooter qui aurait scellé le destin de ses deux passagers. La suite est terrible. Le flanc droit du bus a alors brutalement écrasé contre le parapet de la bretelle l’engin et les deux jeunes qu’il transportait.
Un scénario de l’accident corroboré par une vidéo captée par une caméra autoroutière, a rapporté le procureur. Sauf témoignage contraire, « en l’état, il n’y a eu, selon nous, aucun choc entre le véhicule de police qui se tenait à distance et le scooter ou le bus », a expliqué Éric Vaillant. C’est ce qu’un expert judiciaire va devoir vérifier pour lever définitivement tout doute à ce sujet.
« Leur comportement était suspect et ils avaient mis en danger les autres usagers »
« Nous étions certes en présence de passagers sans casques sur un scooter. Pour autant, les policiers ne les ont pas poursuivis pour ça », a exposé le magistrat. Mais parce que « leur comportement était suspect et qu’ils avaient mis en danger les autres usagers ». Comment ? « En brûlant des feux rouges, en roulant sur les trottoirs à vive allure… Il fallait qu’ils s’arrêtent afin que les policiers les contrôlent », a justifié Éric Vaillant.
Quant au scooter, un Yamaha T‑Max de grosse cylindrée, il s’agissait d’un véhicule volé et dépourvu de plaque minéralogique.
Quid des deux jeunes qui ont trouvé la mort dans ce qui reste pour l’heure un accident ? « Ils étaient connus des services de police pour des faits de petite délinquance », confirme Nadine Le Calonnec.
Par ailleurs, à ce stade de l’enquête, rien ne permet de déterminer avec exactitude lequel des deux jeunes pilotait le scooter, ce soir-là. L’occasion pour le procureur de la République de lancer un appel à témoins. « Si certains de nos concitoyens ont vu des choses, qu’ils se rapprochent des services de police en charge de l’enquête ou qu’ils appellent le 17 », a ainsi invité le magistrat.
Joël Kermabon
DEUX NUITS DE VIOLENCES ONT SUIVI L’ACCIDENT MORTEL DES DEUX JEUNES GENS
Des affrontements entre la police et une centaine de jeunes des quartiers Mistral et Eaux-Claires ont eu lieu durant une partie de la nuit du samedi 2 au dimanche 3 mars. La situation avait commencé à se tendre sur les lieux mêmes de l’accident. Elle s’est ensuite rapidement transformée en une véritable guérilla urbaine.
De fait, la rumeur que l’accident serait une bavure policière a très vite circulé dans le quartier Mistral où vivaient les deux jeunes. Une idée confortée par l’existence supposée d’une vidéo de la poursuite tournée par un habitant du quartier. Information qu’Éric Vaillant n’a toutefois pas confirmée, lors de la conférence de presse.
Dès lors, l’embrasement du quartier était quasi inévitable. Les policiers pris à partie par des caillassages et des dizaines de jets de cocktail Molotov ont répliqué par des tirs de grenades lacrymogènes, relate Le Dauphine libéré.
Vers l’avenue Rhin et Danube, de nombreux incendies de poubelles et d’une dizaine de voitures dont un véhicule de la Croix-Rouge ont mobilisé les pompiers. Des soldats du feu par ailleurs fortement gênés et freinés dans leurs actions par l’attitude hostile des “jeunes en colère”.
La caserne de la CRS 47 attaquée
Les groupes de jeunes ont également mis le feu dans des halls d’immeubles, tels celui de l’Institut de formation sanitaire et sociale. Le tout sans oublier l’édification de barricades de fortune et le saccage quasi systématique du mobilier urbain.
Dans la nuit, des fonctionnaires de la CRS 47 ont même fait usage de gaz lacrymogènes pour repousser une cohorte d’une quarantaine d’assaillants.
Ces derniers les auraient insultés en lançant sur eux des projectiles par-dessus les grilles de la caserne qu’ils tentaient de franchir. De quoi inquiéter les fonctionnaires de police, peu nombreux ce soir-là.
Au point que l’un d’entre eux a confié à une consœur de France Bleu Isère que « de mémoire, il n’y a jamais eu d’attaque aussi franche de la CRS 47 ».
Un élévateur et une pelleteuse entièrement détruits
Le lendemain, s’il y a eu moins d’agitation que la veille, la tension demeurait encore très forte. Ce malgré un vibrant appel au calme du maire de Grenoble. Ce dernier ne demandait-il pas « [de] ne pas rajouter des violences urbaines à ce drame » ? Mais rien n’y a fait. La police rapporte que quinze véhicules ont été incendiés – dont six dans un bâtiment municipal – certains servant de barricades.
Les forces de l’ordre indiquent également, entre autres exactions, la destruction totale d’un élévateur et d’une pelleteuse sur un chantier. La police a pu interpeller trois délinquants sur la vingtaine présents sur place.
Les actes de violence se sont par ailleurs propagés dans d’autres quartiers de Grenoble. Notamment ceux de Teisseire et Léon Jouhaux, avec des départs de feu. Ce n’est qu’au milieu de la nuit que la situation est enfin redevenue calme.
Bien que le contexte soit différent, ces scènes rappellent la flambée de violence du 24 février dans ce même quartier Mistral. Une centaine de jeunes avaient alors lancé des projectiles sur des policiers après l’arrestation d’un individu en possession de cannabis.