FOCUS – La nouvelle exposition temporaire du Musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère quitte, une nouvelle fois, les frontières de France pour tourner son regard vers la Russie. En retraçant l’histoire de la répression politique et des camps de travail russes, ces fameux goulags devenus symboles des régimes totalitaires, le musée parle aussi et surtout de l’horrible ampleur criminel du régime stalinien.
Né d’un acronyme purement administratif, signifiant en russe « administration principale des camps », le mot Goulag est devenu un symbole international, celui des camps de travail des régimes totalitaires et des logiques concentrationnaires. Et c’est ce mot, seul, qui donne son nom à la nouvelle exposition du Musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère. Un regard sur la Russie stalinienne, à travers le prisme de ses camps, qui constitue une première en France.
L’idée ne date pas d’hier : voilà cinq ans que l’association Ouralpes a pris contact avec la direction du musée pour proposer cette thématique. Un partenariat s’est alors engagé avec l’ONG russe Memorial et le Centre mémoriel Perm-36. Et si Alice Buffet a, depuis, pris la direction du Musée de la Résistance, son ancien directeur Olivier Cogne est aujourd’hui commissaire de cette exposition, aboutissement de plusieurs années de travail.
Les prémices du goulag dans la révolution bolchévique
Si les goulags apparaissent officiellement en 1929, la révolution bolchévique de 1917 a rapidement mené à la création de camps de concentration pour les opposants au nouveau régime. Et, de la même manière, le goulag a perduré sous d’autres formes après sa fin officielle dans les années 50, suite à la mort de Staline. Comme l’explique Tatiana Koursina, ex-directrice du Centre mémoriel Perm-36, le goulag en tant que concept dépasse les frontières du temps.
Pour mieux se rappeler des prémices du goulag, l’exposition invite le visiteur a passer dans une « allée des bourreaux ». Félix Dzerjinski, Guenrikh Iagoda, Nikolaï Lejov, Lavrenti Beria… autant de figures politiques russes qui participèrent aux répressions policières et aux massacres, avant d’être eux-même dévorés par le régime qu’ils alimentaient en sacrifices humains. Au bout de l’allée, une carte de la Russie montre « la constellation de goulags » que connut le pays.
Des images des goulags ? Sans surprise, les seules photographies qui existent proviennent du pouvoir lui-même. Elles n’en restent pas moins des documents précieux. Tout comme le sont, et peut-être plus encore, les dessins d’anciens prisonniers qu’expose pour la première fois en France le musée de la Résistance. Des œuvres simples – représentations du camp ou scènes de travaux forcés sous la surveillance des soldats – qui disent beaucoup d’une réalité gommée des mémoires.
La Grande terreur et ses portraits de condamnés à mort
Mais le cœur de l’exposition réside dans son espace central où s’exposent des portraits de victimes de la Grande terreur, lorsque 750 000 personnes furent condamnées à mort par le pouvoir stalinien, en l’espace de quelques mois, d’août 1937 à novembre 1938. Des hommes et des femmes considérés comme dissidents, identifiés comme Juifs ou simplement sans parti, pris en photographie quelques heures avant leur exécution.
Les visages sont fermés, durs, hagards ou apeurés. Les regards captent celui du visiteur, tandis qu’une plaque rappelle les noms de chacun, et les dates de leur mort. Sur un mur, le visage d’un enfant au regard tendre et à l’expression bravache : Ivan Alekseïevitch Belokachkine, « sans parti, sans occupation définie, sans domicile fixe ». Arrêté à seize ans, exécuté à dix-sept. Il sera réhabilité en 1955, dix-sept ans après sa mort.
Et pendant que la terreur s’abat sur la population russe, les prisonniers s’entassent dans les goulags. Ces camps atteignent leur apogée dans les années 50, avec plus de deux millions et demi de prisonniers. Mouvements de grève ou d’émeutes se multiplient. Le pouvoir finira alors par lâcher du lest, dépassé par sa propre folie concentrationnaire. Entre 1955 et 1956, 90 % des détenus politiques seront libérés.
Des réfugiés russes en Isère… dont Léon Trotski
Si ce n’est pas la première fois que le musée de la Résistance de Grenoble s’intéresse au destin de pays étrangers, il veille toujours à rattacher l’histoire du monde à celle de son territoire. Une partie de l’exposition se consacre ainsi aux exilés russes ayant trouvé refuge en Isère, parfois quelques années seulement après la venue au pouvoir des bolchéviques. Comme souvent, Grenoble sera une ville d’accueil pour ces réfugiés.
Et le musée de rappeler un fait historique souvent oublié. À savoir que l’Isère fut la terre d’accueil durant une année entière d’un certain Lev Davidovitch Bronstein, plus connu sous le pseudonyme de… Léon Trotski. En résidence surveillée à Domène de 1934 à 1935, le révolutionnaire sera finalement expulsé et trouvera refuge en Norvège. Plus tard, il traversera l’océan pour retrouver le Mexique, où les hommes de Staline l’assassineront en 1940.
Une mémoire confisquée par le pouvoir russe ?
Peut-on également rattacher l’histoire des goulags à celle du temps présent ? Une chose est certaine : le pouvoir russe actuel tient à garder la maîtrise sur la mémoire collective. Autrefois indépendante, la direction du Centre mémoriel Perm-36, dernier camp conservé en l’état parmi les milliers qui existèrent en Russie, a été reprise par l’État en 2014, et avec elle ses archives, documents et objets témoins de cette Histoire.
Évincée, l’ancienne directrice Tatiana Koursina déplore naturellement cette reprise en main mais ne désespère pas de pouvoir récupérer une partie de sa collection. Et annonce, ultime pied-de-nez au pouvoir à l’heure du numérique, la création prochaine d’un musée virtuel en ligne consacré à la mémoire des goulags et de la répression politique en Russie.
En attendant la création de ce site que l’on espère multilingue, les Grenoblois pourront assister à une conférence exceptionnelle de Tatiana Koursina et de la directrice du musée Mémorial de Moscou Irina Galkova, le vendredi 16 novembre à 18 h 30 au Palais du parlement. Un des rendez-vous, parmi les nombreux autres, qui accompagneront la nouvelle exposition temporaire d’un musée toujours prompt à donner un sens à l’Histoire des peuples.