FOCUS – Le magasin Carrefour City, situé au 31 cours Jean-Jaurès à Grenoble, est fermé depuis le 2 octobre dernier. En cause ? Le « choc psychologique » ressenti par les salariés à l’annonce de la mise en location-gérance de leur magasin, qui les a tous conduits en arrêt de travail. Après l’annonce, en février dernier, du plan social élaboré par Alexandre Bompard, PDG du groupe, les conditions de cette fermeture inopinée posent question.
Les clients habitués à faire leurs emplettes dans le magasin de proximité Carrefour City, situé 31 cours Jean-Jaurès à Grenoble, ont été fort désagréablement surpris, mardi 2 octobre au soir, de trouver portes closes. Une fermeture inopinée, seulement signalée par une affichette. La veille encore, tout semblait normal et le lendemain son rideau de fer restait obstinément baissé… et l’est toujours depuis.
En cause ? Le « choc psychologique » ressenti par les salariés, suite à l’annonce officielle de la reprise en location-gérance de leur magasin. Choqués, sept des neuf salariés de la supérette ont été arrêtés, un pour maladie, six pour accident du travail. Une personne a, quant à elle, préféré immédiatement démissionner tandis qu’une autre parvenait à la fin de son CDD. Faute d’employés, le magasin n’avait plus qu’une seule solution : baisser le rideau.
La location-gérance, un modèle « soi-disant plus rentable »
Cette réaction des salariés du Carrefour City Jaurès ne serait-elle pas l’un des premiers effets d’une « casse » annoncée ? Le dévoilement, en février dernier, du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) initié par Alexandre Bompard, PDG du groupe, avait déjà provoqué un électro-choc parmi les salariés. Ces derniers dénonçaient alors « un vaste plan social déguisé ». Leurs craintes ? La perte de très nombreux emplois, notamment par la restructuration des hypermarchés, entrepôts et sièges, et la mise en location-gérance de certains établissements.
« Quelques magasins du groupe ont été “préservés” du plan de sauvegarde de l’emploi pour passer en location-gérance – soi-disant plus rentable – et ainsi sortir du modèle intégré », explique Isabelle Perrin, secrétaire du CHSCT de Carrefour. De fait, le magasin cours Jean-Jaurès faisait bien partie du plan de reprise en location-gérance, à l’instar de deux autres sur l’agglomération grenobloise, à Fontaine et au Pont-de-Claix.
« Il va se payer sur la masse salariale et licencier pour pouvoir sortir un bénéfice »
Ce qui en revanche n’avait pas été prévu, c’est la réticence des salariés du Carrefour City Jaurès qui ont été prévenus par le futur locataire-gérant de la reprise de leur magasin dès début 2019. « Ils connaissent les chiffres, les charges, la rentabilité et, vu l’effectif du magasin auquel on rajoute un patron qui vient pour faire du business… Ils ont vite fait le calcul », poursuit la représentante du personnel. La supérette n’étant déjà pas rentable, bien qu’intégrée au groupe Carrefour, les salariés ont eu peur pour leurs emplois.
« Ils se disent que le locataire-gérant vient pour faire des affaires et que, forcément, il va se payer sur la masse salariale et licencier pour pouvoir sortir un bénéfice », rapporte Isabelle Perrin. Face à ces inquiétudes, les représentants du personnel ont sollicité leur direction. « On nous dit que non, que ce sont d’autres méthodes de travail, sans pouvoir nous garantir la préservation de l’emploi », relate la secrétaire du CHSCT.
Pourquoi ? « Pour la bonne raison qu’une fois que vous faites partie de la SARL Dupont, forcément M. Dupont est patron chez lui », rétorque Isabelle Perrin. Pour cette dernière, la réaction des employés du Carrefour City Jaurès s’explique aisément. « Les salariés des magasins qui ont fermé ont eu droit à toutes les mesures prévues par le PSE : des formations, des accompagnements psychologiques… Les salariés de ceux qui passent en location-gérance n’ont, quant à eux, droit à rien ! », s’insurge Isabelle Perrin.
« Ils ont tenté de dédramatiser la situation et de rassurer les salariés »
« Les salariés sont dépités, dégoûtés. Leur sentiment est qu’il y a un manque de communication total avec la direction et qu’on les a pris pour des pions, des numéros de matricule. » Isabelle Perrin fait, là, référence à une réunion extraordinaire du CHSCT qui s’est déroulée ce mercredi 10 octobre dans le magasin du Pont-de-Claix, lui aussi repris en location-gérance. Une réunion où ont notamment été rappelées les règles applicables, les conséquences sur le statut individuel et le statut collectif, ainsi que d’autres aspects sociaux du passage en location-gérance.
« Ils ont tenté de dédramatiser la situation et de rassurer les salariés en leur disant qu’il n’était pas prévu que les repreneurs licencient, qu’ils allaient garder tout le monde, qu’ils allaient faire du chiffre. Tout ça pour les dissuader », retrace Isabelle Perrin. Mais rien n’y a fait.
Le personnel du Carrefour City Jaurès est toujours en arrêt, « pour le moment pour une quinzaine de jours », et ne se sent pas de reprendre le travail dans ces conditions. Quant à la direction du groupe Carrefour, que nous avons contactée en fin de semaine dernière, elle n’a pas donné suite à nos sollicitations.
Joël Kermabon