TROIS QUESTIONS À – La bibliothèque Abbaye-Les-Bains de Grenoble accueille le Dr Kpote mercredi 10 octobre 2018 à 18 h 30 sur invitation du Planning familial de l’Isère. Lequel organise une rencontre-dédicace discussion avec cet animateur de prévention pour les collèges et lycées. L’occasion de revenir avec lui sur son ouvrage Génération Q, recueil de ses chroniques parues dans le magazine Causette.
On imagine que les jeunes ont été sacrément bousculés dans leurs certitudes par les mouvements #MeToo et #BalanceTonPorc. Que nenni, nous détrompe le Dr Kpote, qui fréquente la jeunesse de nos collèges et lycées. Il y assure le rôle d’animateur de prévention dans le champ des drogues et de la vie sexuelle et affective.
« Les jeunes ne sont pas sur les mêmes réseaux sociaux que les adultes », explique-t-il. La lecture de ses chroniques sert à cela, entre autres : réajuster notre point de vue d’adulte sur ce que vivent les adolescents à l’heure du numérique.
Cinquante chroniques sur la sexualité, les relations filles-garçons…
Le Dr Kpote intervient dans des établissements scolaires d’Île de France depuis 2001. Auparavant, son domaine d’action concernait plutôt la lutte contre le sida. Bref, le sieur docteur en connaît un rayon dans le registre de la prévention. En écrivant des chroniques pour le magazine Causette, il a mis des mots sur une profession qui nécessiterait d’être davantage valorisée selon lui.
L’ouvrage Génération Q rassemble cinquante chroniques ayant pour thème la sexualité, la pornographie, les relations filles-garçons, l’alcool, les drogues, et parfois même l’amour. L’auteur s’y garde bien de juger mais conserve, tout au contraire, humour et empathie. Entretien.
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Pourquoi avez-vous ressenti le besoin de publier des chroniques fondées sur votre expérience d’animateur de prévention dans les collèges et lycées ?
Dr Kpote - J’écrivais un blog depuis longtemps déjà. D’abord, ça me permettait de mettre un peu de distance par rapport à ce que je faisais. J’aime bien écrire. Quand on m’a proposé cette chronique dans Causette, je me suis dit que ça pouvait être pas mal que les gens aient un autre point de vue sur mon métier. Parce qu’ils sont persuadés qu’on sort le kamasutra aux gamins, qu’on leur apprend à se masturber, etc. Alors que, souvent, les choses les plus trashs viennent d’eux et qu’en fait on travaille sur les stéréotypes de genre, la manière dont on s’aborde les uns les autres, notre place dans l’espace urbain, dans la société… Et puis, l’air de rien, c’est un boulot où on est très seul et les chroniques permettent de valoriser ce travail.
Vous exercez cette profession depuis 2001. Qu’est-ce qui a changé dans la façon dont les adolescents abordent leur vie sexuelle et dans votre approche professionnelle ?
Dr Kpote - D’abord, il y a eu les années de lutte contre le sida. Au début, quand j’ai débuté, on était davantage dans une prévention hyper hygiéniste basée sur le risque, la capote, les MST [maladies sexuellement transmissibles, ndlr], la contraception… On était resté sur la vague de l’urgence liée à l’épidémie. Mais, finalement, on oubliait tout le reste. Et le fait de travailler à Causette à un moment donné et d’être en contact avec la sphère féministe m’a amené à travailler beaucoup plus sur les stéréotypes de genre et sur tout ce qui se joue en amont de la relation.
La situation a aussi énormément évolué avec l’apport du numérique. Il y a l’accès à la pornographie bien sûr, mais pas que. Le partage de l’intimité sur les réseaux sociaux fait également beaucoup de dégâts. Je pense que l’apport du numérique a entériné cet aspect hyper sexualisé de la société.
Et, dans un même temps, il y a un vrai retour, entre autres, de la religion. Ce qui fait qu’il y a beaucoup de gamins qui sont tiraillés entre ces deux pôles.
Pour ce qui est des réseaux sociaux, le problème c’est que les adultes les gèrent, eux aussi, très mal. Ils y racontent leur vie et s’y exposent beaucoup. Je pense qu’on a tous été débordés par l’arrivée du numérique. Ça mérite aujourd’hui une vraie éducation.
C’est le rôle de l’école mais aussi celui des parents. Car, après tout, ce sont eux qui achètent des smartphones à leurs gamins de plus en plus jeunes, sous couvert de pouvoir les pister…
Quelles sont les questions que l’on vous pose le plus fréquemment lorsque vous intervenez dans les collèges et lycées ?
Dr Kpote - C’est hyper large. Il y a quand même toujours les maladies que l’on peut choper pendant les rapports sexuels. Mais il y a aussi beaucoup de questions au sujet des réputations et des choses qui traînent sur les réseaux sociaux, du type : « Pourquoi les filles se font systématiquement traiter de putes ou de salopes dès qu’elles ont des aventures et dès qu’elles s’exposent un peu, alors que les mecs, par contre, sont plutôt bien considérés par rapport à ça ? »
D’ailleurs, c’est valable aussi pour les adultes. Ne serait-ce que chez les politiques, par exemple. On se souvient que, quand Hollande avait une amoureuse extérieure à la famille, tout le monde disait : « Ah, quel beau gosse ! » Et le jour où Rachida Dati était enceinte, tout le monde se demandait au contraire qui était le père du gamin… On est toujours dans la suspicion de la salope ou de la pute dès qu’une fille a l’air un peu trop libre. Les adolescents se questionnent beaucoup là-dessus parce que ça ne bouge pas.
Propos recueillis par Adèle Duminy
Infos pratiques
Bibliothèque Abbaye-Les-Bains à Grenoble
Mercredi 10 octobre à 18 h 30
Rencontre-dédicace avec le Dr Kpote, animateur de prévention et auteur d’un recueil de chronique, Génération Q, publié chez La ville brûle
QUAND LES SÉANCES D’ÉDUCATION À LA SEXUALITÉ RÉVÈLENT L’INTOLÉRANCE
« Après avoir entendu tout ça, je vais me laver les oreilles à l’eau de javel. » Tel est le genre de phrase que peuvent entendre les intervenants des séances d’éducation à la sexualité. Concrètement, ces séances visent à informer les élèves pour prévenir les risques d’infections sexuellement transmissibles (IST), mais aussi de violences sexuelles et de discriminations.
Les trois champs de connaissances et de compétences à l’éducation à la sexualité © Ministère de l’Éducation nationale
Les textes officiels imposent cette démarche dans toutes les classes du primaire jusqu’au baccalauréat, avec au moins trois séances par an en collège et lycée. En réalité, cette loi est loin d’être totalement appliquée. Cela dépend surtout du bon-vouloir des chefs d’établissement car des moyens techniques doivent être mis en œuvre pour libérer les élèves et former les enseignants.
Propos homophobes et rétrogrades
Dans le cadre de cette mission, les personnels de l’Éducation nationale sont confrontés à des discours parfois très violents. « Nous entendons tous assez régulièrement des choses consternantes, avec notamment des propos ouvertement homophobes », témoigne une enseignante d’un lycée de l’agglomération.
« Cela peut être aussi des discours très rétrogrades, par exemple sur les relations sexuelles qui devraient se limiter à la procréation. Ces paroles sont plutôt incarnées par des lycéennes qui s’abritent derrière une posture très intolérante, afin de passer pour des filles vertueuses. Alors que, parfois, on apprend quelque temps plus tard qu’elles ont recours à des interruptions volontaires de grossesse. »
Toujours selon cette enseignante, ce phénomène se serait accentué depuis la mise en place de ces séances en 2013. « Des discours nourris par les religions », nous précise-t-elle. « Du fait du cadre laïque, les élèves n’affichent pas leur appartenance religieuse face à nous. Il y a donc une certaine hypocrisie en justifiant cette intolérance par exemple par “une culture où l’homosexualité n’existe pas”. »
Florian Espalieu