TROIS QUESTIONS À – Le cas de Serge Dufoulon continue d’agiter le monde universitaire. Condamné à huit mois d’interdiction d’exercer par la section disciplinaire de l’UGA, le professeur de sociologie avait été relaxé par le Conseil national de l’enseignement supérieur (Cneser). Entretien avec l’avocat de Serge Dufoulon, réalisé juste avant que l’UGA n’annonce se pourvoir en cassation contre cette décision.
La relaxe de Serge Dufoulon continue d’agiter l’Université Grenoble-Alpes. Après un passage devant la section disciplinaire de l’UGA, le professeur de sociologie avait écopé de huit mois d’interdiction d’exercer au motif de « comportements inappropriés », sur la base de témoignages d’étudiants, qui se sont récemment exprimés auprès de nos confrères de Rue 89. En cause ? Des propos tenus par le professeur à l’endroit de certains de ses élèves, comportant des jugements sur le physique ou apparaissant grossiers*.
Une condamnation annulée par la suite par le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (Cneser), auprès duquel la défense de Serge Dufoulon avait fait appel. L’affaire allait-elle en rester là ? C’était sans compter sur une lettre ouverte adressée au président de l’UGA Patrick Lévy ainsi qu’à la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Frédérique Vidal, demandant à ce que la relaxe prononcée par le Cneser fasse l’objet d’un recours en cassation.
La lettre est signée par le Collectif de lutte anti-sexiste contre le harcèlement sexuel dans l’enseignement supérieur (Clasches), de l’Association des sociologues enseignants du supérieur (ASES) et de l’Association française de sociologie (AFS). À laquelle s’est ajoutée une pétition créée par un étudiant et signée par nombre d’organisations syndicales ou étudiantes. A contrario, les sociologues “dissidents” du Lestamp ont fait valoir leur soutien au professeur, en republiant le billet rédigé par Serge Dufoulon sur Mediapart.
Après deux semaines de silence, l’UGA a finalement annoncé via un communiqué laconique** sa décision de déposer un pourvoi en cassation contre la décision rendue par la Cneser. Peu de temps avant cette annonce (voir encadré), Place Gre’net rencontrait l’avocat de Serge Dufoulon, Me Thierry Aldeguer. Un entretien au cours duquel la défense du professeur donne son point de vue sur la condamnation, la relaxe ou les motivations de l’UGA… et annonce des actions en justice contre les auteurs de la lettre ouverte mais aussi contre l’Université.
PLACE GRE’NET – Comment, de votre point de vue, se sont déroulées la condamnation de Serge Dufoulon devant la section disciplinaire de l’UGA, puis sa relaxe devant la Cneser ?
Me Thierry Aldeguer – La genèse de l’histoire, c’est un cours de master en sociologue consacré à l’intime, en 2015. Trois étudiants vont évoquer des propos qu’aurait tenu le professeur Dufoulon à l’occasion de ce cours, et s’en plaindre auprès du responsable du département de sociologie qui n’est pas en très bons termes avec le professeur Dufoulon. Nous sommes en début d’année 2016 et, bizarrement, l’affaire va monter : une instruction disciplinaire est ouverte.
Le professeur Dufoulon est entendu. Je l’ai toujours assisté, et j’ai toujours ressenti une étrange ambiance dans ces phases juridictionnelles à Grenoble. Nous attendions dans le couloir et je voyais défiler des gens venant pour être entendus, pour ou carrément contre le professeur Dufoulon. Il y avait quelque chose d’irrationnel, avec des questions comme : « Est-ce que vous pensez que le professeur Dufoulon est un pervers ? »… Puis, plus de nouvelles. Et brutalement, nous recevons en janvier 2017 l’ordre de passer devant une commission disciplinaire. Nous apprenons sur la base du dossier que l’UGA avait continué l’instruction sans contradiction.
Je n’ai pas eu le sentiment d’avoir, à Grenoble, des juges d’une sérénité et d’une impartialité extraordinaires. Des associations attendaient que la Justice soit rendue à leur profit. Cela relevait d’une véritable mise en scène, tout était formaté, on voyait bien dans quel sens penchaient les questions… La sanction est tombée : huit mois de traitement diminué de moitié, plus de possibilité de faire des cours ou de suivre des doctorants, et cela nonobstant appel. On a tout fait pour s’assurer que, quoi qu’il arrive, le professeur Dufoulon soit évincé.
Nous faisons appel et la phase d’instruction se passe à Paris, devant des gens qui ont manifestement une autre manière d’envisager les choses. L’Université était représentée par un agent. J’ai eu le sentiment qu’on avait changé de figure, avec des gens déconnectés du microcosme grenoblois. L’Université se plaint de la relaxe, mais elle est arrivée quasiment les mains dans les poches pour plaider ce dossier. Il y avait une espèce de certitude pour eux d’obtenir la condamnation, cela leur semblait une évidence. De plus, j’ai appris que les étudiants plaignants avaient été convoqués mais ne sont pas venus. Nous nous sommes défendus bec et ongles et finalement, la Cneser a considéré qu’il n’y avait pas lieu de sanctionner le professeur Dufoulon.
Après cette relaxe, grand silence de l’UGA. J’apprends qu’elle envisage de faire cassation : il faut quand même savoir que le pourvoi en cassation devant le Conseil d’État n’est pas un troisième degré de juridiction. Le Conseil d’État ne reviendra jamais sur une relaxe. Il pourrait éventuellement, s’il trouve un élément de procédure, annuler la décision, mais de toute façon cela reviendra devant le Cneser. Donc je vois mal comment un pourvoi en cassation pourrait prospérer.
Serge Dufoulon s’estime victime d’une cabale et nous a fait savoir sa décision de porter plainte, notamment contre les auteurs de la lettre ouverte adressée à l’UGA et au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche…
J’aime bien ces associations, ces ligues de vertu qui dénoncent facilement des abus sexuels ! On n’est pas dans du harcèlement sexuel, comme elles ont voulu le revendiquer : ce n’est ni du harcèlement, ni de la provocation sexuelle. Il n’y a rien de sexuel. On est dans le cadre d’un cours qui parle de l’intime, pas dans un cours de religion sur la virginité de la Vierge, donc forcément cela déviait sur des questions qui pouvaient relever de l’intime. Mais de là à dire qu’on a fait de l’encouragement sexuel ou je-ne-sais-quoi, rien dans le dossier ne permet de le dire.
Ce qui est curieux dans ce dossier c’est que, quand on lit ce que disent les associations, on a l’impression que c’est grave, que c’est terrible. Si c’est si terrible que ça, pourquoi les étudiants ne sont pas allés au pénal ? Il n’y a jamais eu de plainte au pénal, parce qu’ils savaient très bien que ça ne tenait pas. par contre, on a voulu instrumentaliser la procédure universitaire, parce qu’on savait qu’au sein de l’Université, on pouvait régler le sort du professeur Dufoulon entre “meilleurs ennemis”.
J’ai donc reçu mandat de déposer une plainte pour dénonciation calomnieuse, contre les signataires de la lettre ouverte qui ont une vision tronquée et idéologique. Et il y aura sans doute une nouvelle plainte contre l’UGA pour harcèlement. Car le Cneser relève qu’il y a un climat de tension atypique dans le département de sociologie, où Dufoulon est en quelque sorte l’homme à abattre. Cette procédure disciplinaire avait pour objet de l’atteindre dans un climat délétère. Il arrive un moment où ils doivent s’expliquer et payer ce qu’a subi un professeur d’université. L’UGA n’est pas neutre dans le processus qui se déroule maintenant : elle laisse se développer cela sur les réseaux sociaux.
Pour ce qui concerne la pétition, elle présente quelque chose d’irrationnel. On fait comme si la relaxe n’était pas intervenue. Les tenants de la poursuite du professeur Dufoulon ne sont plus rationnels. Ce n’est pas juridique. C’est dogmatique. Et j’ai l’impression que l’UGA envisage d’utiliser encore la voie judiciaire pour se dédouaner de tous ces groupuscules (voir encadré). Sans doute croit-elle pouvoir acheter la paix sociale. Et acheter la paix sociale, ce serait sacrifier Dufoulon.
Aujourd’hui, Serge Dufoulon demande à l’Université Grenoble Alpes de lui garantir une “protection fonctionnelle”. Qu’en est-il, et quel avenir professionnel peut vraiment envisager le professeur dans un pareil contexte au sein de l’UGA ?
Le professeur Dufoulon avait pu reprendre ses cours, mais les nouvelles avaient circulé, tout a été fait par les tenants de cette espèce de guerre contre lui pour donner publicité de la chose. Il a été victime d’ostracisme. L’année dernière encore ; cela se passait bien, quand l’UGA avait la certitude que le Cneser confirmerait la condamnation. Mais maintenant qu’elle a été annulée, cela reprend de plus belle.
Il a donc été demandé une protection fonctionnelle.C’est une procédure qui permet à un agent public d’être garanti dans l’exercice de sa profession et de ses fonctions quand il est mis en cause. Cela peut aller de l’agression sur le lieu de travail jusqu’à ce type de comportement. Et cela se justifie d’autant plus que nous parlons de quelqu’un qui a été blanchi complètement. Il n’y a même plus à parler de condamnation.
Concrètement, la protection fonctionnelle serait que le professeur Dufoulon puisse reprendre ses cours avec une Université qui prendrait position pour lui, en indiquant aux associations d’arrêter. Au lieu de cela, tout laisse penser que cela n’en finit pas et qu’on laisse se développer ce climat. Par exemple, la décision de la Cneser a été prononcée oralement le 10 juillet, et elle a été largement répandue tout de suite. Qui pouvait donner cette information aux associations mobilisées, sinon le représentant de l’Université ?
Quant à changer d’université, il y a une règle statutaire : quand on est affecté à une université, ça ne se fait pas simplement d’en changer. Et encore une fois, un professeur d’université a une certaine notoriété. Même s’il changeait d’université, sachant que l’UGA laisse se développer ce climat, cela ressortira toujours si on ne dit pas aux associations d’arrêter. Or, monsieur Dufoulon aimerait simplement retravailler sereinement.
Propos recueillis par Florent Mathieu
* Des propos mentionnés par l’UGA dans le jugement de sa section disciplinaire. « Belle », « mignonne », « sexy », « gros nounours manquant de virilité » ou encore « la taille de la bite n’a pas d’importance ».
** Extrait du communiqué, après contextualisation : « En lien avec le Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, l’Université Grenoble Alpes a décidé de se pourvoir en cassation devant le Conseil d’État. L’établissement ne donnera aucun autre commentaire concernant cette décision de pourvoi en cassation avant que le Conseil d’État ne se prononce ».
Contacté par Place Gre’net après l’annonce de l’UGA, Me Thierry Aldeguer n’a pas souhaité la commenter spécifiquement, « en l’absence d’une notification officielle du pourvoi qui n’interviendra que dans quelques semaines ». L’avocat a juste tenu à rappeler que cette voie de droit n’a pas de valeur suspensive, et que le pourvoi doit être déclaré admissible. « Enfin, cette annonce, si elle se vérifie, révèle que l’UGA agit dans cette affaire “sous influence” », conclut-il.