ENTRETIEN — Le meurtre d’Adrien Perez au sortir d’une boîte de nuit de Meylan a donné lieu à un déferlement de critiques locales sur la politique de sécurité de la Ville de Grenoble. Des critiques auxquelles répond Élisa Martin, première adjointe de Grenoble en charge de la Tranquillité publique, qui fustige la « récupération » d’un drame à des fins politiciennes. Et conteste toute accusation de laxisme ou de dogmatisme idéologique.
Le meurtre d’Adrien Perez au sortir d’une boîte de nuit meylanaise suscite nombre de réactions au niveau national, émanant en grande partie d’élus ou d’organisations d’extrême droite. Mais aussi, au niveau local, nombre de critiques à l’égard de la politique de sécurité menée par la Ville de Grenoble. Aux communiqués des députés En marche Olivier Véran et Émilie Chalas, des Républicains Alain Carignon et Richard Cazenave ou encore de Stéphane Gemmani, l’adjointe de Grenoble en charge de la Tranquillité publique Élisa Martin répond du tac au tac.
Élisa Martin, adjointe de Grenoble en charge de la Tranquillité publique. © Yuliya Ruzhechka – Place Gre’net
Du tac au tac… mais avec retenue. « Notre première pensée doit aller vers ce jeune homme, vers sa famille et vers ses proches, et je pense que cela doit mériter du respect absolu », tempère-t-elle avant toute chose. Pour Élisa Martin, aucun doute : le drame est l’objet d’une « récupération » et d’une « instrumentalisation » politicienne. « C’est juste insupportable et sordide, et j’en appelle au respect, pas à notre égard évidemment, mais à l’égard de ce garçon et de sa famille », plaide-t-elle.
Une instrumentalisation qui a peut-être atteint son point d’orgue lors de la manifestation de Génération identitaire devant le palais de justice de Grenoble, avec ses militants brandissant le portrait d’Adrien Perez et se clamant « génération anti-racaille ». Face au rassemblement du groupuscule d’extrême droite, Élisa Martin ressent un « écœurement majeur ». Et rappelle les paroles de l’avocat de la famille d’Adrien Perez, qui a demandé à ce que cesse la récupération politique du drame. Une prise de parole qui lui vaut d’être, à son tour, victime d’attaques antisémites d’une rare violence (cf. encadré).
Des accusations qui « manquent de sens »
Tout aussi « sordide » pour Élisa Martin : « voir les amis du président de la République marcher main dans la main avec ces gens-là ». L’adjointe ne pardonne pas à Olivier Véran et Émilie Chalas d’avoir adressé à la municipalité de Grenoble des critiques très proches de celles d’Alain Carignon ou de l’ex-frontiste Mireille d’Ornano. Et ceci, ajoute-t-elle, « pour dire des choses qui, tout simplement, manquent de sens ».
Grenoble compte une centaine de policiers municipaux sur la voie publique © Séverine Cattiaux – Place Gre’net
Parmi celles-ci ? Élisa Martin cite la proposition d’Alain Carignon de créer une brigade canine, et s’en amuse : « La police municipale en a déjà une, et elle fonctionne d’ailleurs très bien ! » Quant à l’éclairage public, mis en question par les députés En marche, l’adjointe l’assure : « Nous travaillons de manière très rapprochée avec les services de l’État. » Et notamment, ajoute-t-elle, avec les spécialistes de la police nationale, citant l’exemple de l’éclairage des « points chauds » du parc Mistral, réalisé sous l’égide de leur « bienveillante compétence ». Tout en relativisant : l’éclairage public « ne résout pas tout… mais participe à la résolution des problèmes ».
Pas question en somme de parler de laxisme de la Ville, ou d’une municipalité qui ne s’en remettrait qu’à l’État. « Nous avons une centaine de policiers dans l’espace public. Je ne parle pas de ceux qui se voient bien naturellement confier des tâches administratives, mais ceux qui assurent une présence rassurante dans tous les quartiers de Grenoble ! », clame Élisa Martin. Qui ajoute travailler « de façon extrêmement rapprochée » avec la Direction départementale de la sécurité publique (DDSP). « Tout est très organisé, même si ce sont des choses qui se passent derrière le rideau », confie-t-elle.
La vidéo-surveillance en question
Quid de la vidéo-surveillance, que réclament nombre d’opposants de la Ville de Grenoble ? « Je rappelle pour la énième fois que nous avions une caméra en état de fonctionnement braquée sur le théâtre Prémol… et pour autant il a été incendié. Donc non, ce n’est pas la bonne réponse ! », juge l’élue grenobloise.
Élisa Martin dit préférer la présence de policiers sur le terrain que derrière des écrans. © Élodie Rummelhard – Place Gre’net
« Nous privilégions une réponse par la présence humaine. C’est pourquoi nous avons renforcé les effectifs de police municipale ou le développement de médiation de nuit, en particulier sur le Village olympique », expose-t-elle encore. Avant de rappeler que, malheureusement, les caméras, bien présentes sur la ville de Meylan, n’ont pas su éviter le meurtre d’un jeune homme.
L’adjointe en a surtout assez de se faire taxer d’idéologue. « Contrairement à ce que je lis, nous sommes très pragmatiques en matière de sécurité : nous regardons ce qui est efficace et ce qui ne l’est pas, et la vidéosurveillance ne l’est pas », estime-t-elle. Plutôt que de consacrer de l’argent à « scotcher derrière des écrans » des policiers, Élisa Martin affirme ainsi préférer les voir sur l’espace public. « C’est très pragmatique au contraire comme position ! »
Une montée de la violence à tous les étages
Élisa Martin ne veut pas non plus nier la réalité des faits, alors même que les faits divers se multiplient dans la capitale des Alpes. Outre le décès d’Adrien Perez, des coups de feu ont retenti récemment Place des Géants, un homme a été grièvement blessé par des coups de couteau parc Paul-Mistral, un garçon de 15 ans a été hospitalisé après avoir reçu une balle dans l’œil… « Nous observons une montée dans la société d’une culture de la violence », déclare l’adjointe à la Tranquillité publique, qui refuse d’être caricaturée en « baba cool dans le refus de je-ne-sais quelle réalité ».
Marche Blanche pour Adrien, victime d’une « montée de la violence » ? © Joël Kermabon – Place Gre’net
Mais cette montée de la violence, Élisa Martin dit la voir à « tous les étages » : « Ce sont les 5 euros d’APL en moins décidés unilatéralement, les agressions commises par des conseillers du président, les agressions racistes que nous pu voir aussi, une montée de l’anomie* qui ronge et détruit la République et le pacte social ». Pour elle, la « logique libérale » du gouvernement, la « guerre de tous contre tous », ne peut qu’engendrer un cercle vicieux de la violence et de sa banalisation.
Une violence qu’Élisa Martin affirme aussi retrouver dans le refus de Gérard Collomb d’expérimenter la Police de sécurité du quotidien (PSQ) sur l’agglomération grenobloise. Cela même alors qu’elle en avait fait la demande. « Cela dit quelque chose du mépris absolu de ces gens-là à l’égard des élus locaux. Cela traduit quelque chose d’une violence institutionnelle, qui prend la forme du retrait des dotations mais pas seulement », estime-t-elle.
Police de sécurité du quotidien : « les députés n’ont pas fait leur travail »
La PSQ, Grenoble, Fontaine, Échirolles et Saint-Martin-d’Hères la voulaient en effet, et continuent à la demander. « Notre demande était étayée par la réalité, relayée par le préfet et la DDSP, et accompagnée d’un certain nombre de propositions concrètes. Imaginez que monsieur le ministre de l’Intérieur n’a même pas accusé réception de nos propositions ! », s’indigne-t-elle.
Autant dire que la prise de position des députés En marche Olivier Véran et Émilie Chalas ne lui convient guère. « Si les députés macronistes se préoccupent de la situation grenobloise, ils devraient soutenir d’une façon claire et nette notre demande de PSQ », assène l’élue.
« Mais les députés n’ont pas fait leur travail de dire à Collomb : “Nous sommes des élus de ce secteur, il y a un vrai problème en matière de stup”… On ne leur demande même pas d’agir à nos côtés, mais d’agir de façon concrète pour que nous obtenions cette police de sécurité du quotidien ! », ajoute-t-elle encore.
La sécurité, un enjeu pour 2020 ?
Inutile de lui faire remarquer que les réactions proviennent de personnalités politiques locales nourrissant des ambitions pour les élections municipales de 2020. La sécurité sera-t-elle au cœur de la prochaine campagne ? Élisa Martin reste prudente. « Ça bouge, on verra bien. Mais ce qui est certain, c’est que la question de l’avenir des services publics locaux se posera de façon encore plus cruelle qu’elle ne se pose aujourd’hui », considère l’élue.
En charge de la Tranquillité publique, Élisa Martin sera-t-elle aux premières loges avec le dossier Sécurité lors des municipales de 2020 ? © Yuliya Ruzhechka – Place Gre’net
Et l’adjointe de déplorer encore « la difficulté à porter un message républicain » : « Ça veut dire quoi Liberté, Égalité, Fraternité, Laïcité ? Pour nombre de nos concitoyens les plus précaires, ce ne sont pas des réalités… Et c’est là-dessus qu’on travaille, et qu’on s’acharne même ! », déclare-t-elle. Tout en s’inquiétant d’une parole de haine qui se libère.
« Ce que je vois, ce sont des candidats qui cherchent à instrumentaliser une situation terrible. Je trouve cela écœurant pour sa famille et ses amis et j’aimerais que ça s’arrête », poursuit Élisa Martin. Avant de conclure : « Si l’on veut avoir un débat politique, ayons un débat sur le fond, et pas sur des attaques politiciennes. »
Florent Mathieu
* Concept sociologique décrivant un effondrement des valeurs pouvant conduire à la destruction de l’ordre social.
L’AVOCAT DE LA FAMILLE PEREZ VICTIME D’INJURES ANTISÉMITES
« Le perfide avocat juif de la famille dénonce les Blancs qui veulent se défendre contre la sauvagerie arabe », tel est le titre d’un texte publié par un site internet de « jeunes blancs décomplexés ». Dans une prose directement inspirée des écrits des années 1930, les auteurs développent l’habituelle thèse du complot Juif, accusé de préparer une « submersion totale de la France ».
Manifestation de Génération identitaire devant le tribunal de Grenoble, le samedi 11 aout 2018. D’autres « jeunes blancs décomplexés » ? DR
Motif de ces attaques verbales d’une rare violence ? L’avocat de la famille Perez, maître Denis Dreyfus, a publié un communiqué dénonçant la récupération du meurtre du jeune homme par le groupuscule Génération identitaire. « Il ne faudrait pas que le beau visage d’Adrien devienne, pour certains, l’étendard de la haine », a ainsi fait savoir l’avocat.
Thèses complotistes
Capture du site antisémite, avec la mention « à interdire » du Réseau de lutte contre le fascisme. © RLF
Une déclaration qui ne plaît pas aux mouvements racistes, qui commentent abondamment le fait divers depuis que celui-ci a été exposé médiatiquement à l’occasion de l’organisation d’une marche blanche.
Outre une succession de thèses complotistes, typiques, encore une fois, de la littérature antisémite des années 30, le site affiche un montage représentant l’avocat affublé d’une étoile jaune. Les commentaires de l’article sont, sans surprise, du même acabit.
C’est le Réseau de lutte contre le fascisme qui tire la sonnette d’alarme face à cette violence verbale d’une rare intensité, et fait savoir son soutien à l’avocat de la famille Perez. Les militants précisent que, malgré plusieurs signalements, le site antisémite continue à exister. Celui-ci étant hébergé aux États-Unis, les plaintes ont en effet du mal à aboutir.