EN BREF – La Ville de Grenoble porte plainte contre X auprès du procureur de la République d’Albertville pour détournement de fonds publics et prise illégale d’intérêts. En cause, les liens opaques entre la Société française du tunnel routier du Fréjus, dont la Ville de Grenoble est administratrice et le Fonds pour le développement d’une politique intermodale des transports dans le massif alpin.
Le Fonds pour le développement d’une politique intermodale des transports dans le massif alpin (FDPITMA), établissement public créée pour booster le report modal de marchandises de la route vers le rail et, donc, financer en partie le Lyon-Turin, serait-il une holding au fonctionnement opaque ?
En août dernier, la Ville de Grenoble, par l’intermédiaire du conseiller municipal Pierre Mériaux (EELV), s’interrogeait sur Place Gre’net. Le 9 juin dernier, elle a décidé de porter plainte contre X auprès du procureur de la République d’Albertville pour détournement de fonds publics et prise illégale d’intérêts.
Dès 2015, la Ville de Grenoble – qui s’est depuis désengagée du Lyon-Turin – réclamait des éclaircissement sur les comptes de la Société française du tunnel routier du Fréjus (SFTRF), dont elle est actionnaire depuis la mandature précédente. Après de nombreuses demandes et relances, Pierre Mériaux, représentant de la Ville auprès de la SFTRF, a reçu une réponse en novembre 2017 par l’intermédiaire du ministère des Transports.
Siphoner des bénéfices d’un côté pour renflouer de l’autre
Dans ce courrier, Christine Bouchet, directrice des infrastructures de transports, annonce l’existence d’une « convention de subvention tripartite, signée le 20 juin 2012, entre ATMB [Autoroutes et tunnel du Mont-Blanc, ndlr], SFTRF et le FDPITMA ». Celle-ci « permet à ce dernier de s’engager, jusqu’au 1er octobre 2050, à reverser à la SFTRF, sous forme de subvention, des dividendes perçus d’ATMB la même année ».
La société ATMB, bénéficiaire, aurait ainsi versé au travers du FDPITMA vingt millions d’euros par an à la SFTRF, déficitaire. « Soit près de 120 millions en six ans, il suffit de faire la multiplication », calcule Pierre Mériaux.
Or, le FDPITMA est un établissement public créé en 2002 dont l’objet est de « concourir à la mise en œuvre d’une politique intermodale des transports dans le massif alpin par le financement des différents modes de transport et les éventuelles prises de participation nécessaires à cet effet », comme le rappelle la lettre du ministère des Transports.
Des conflits d’intérêt ?
En clair, le FDPITMA n’est pas censé œuvrer uniquement pour le transport routier, comme le souligne Pierre Mériaux. « La façon de régler les problèmes est scandaleuse : pour une plateforme réellement intermodale comme celle d’Ambérieux-en-Bugey, on nous dit qu’on manque d’argent. La ligne de train Grenoble-Gap est menacée à très court terme. Et en parallèle, de telles manipulations sont faites. »
La plainte de la Ville de Grenoble porte aussi sur les potentiels conflits d’intérêts entre les conseils d’administration du SFTRF et du FDPITMA. « Michel Bouvard est administrateur des deux structures. Patrice Raulin puis François Drouin ont été présidents du SFTRF en ayant siégé au conseil d’administration du FDPITMA », pointe Pierre Mériaux. Et de conclure : « C’est pourquoi nous tenons à mettre ces faits sur la place publique. Mais j’ai toute confiance en la justice de notre pays, et je suis certain que le procureur de la République d’Albertville va mener ce dossier avec toute la diligence requise. »
Florian Espalieu
Une première procédure rejetée par le Conseil d’État… sur la forme
En 2017, Daniel Ibanez avait saisi le Conseil d’État pour demander l’annulation de la convention après le « refus implicite » de la ministre de l’Environnement de mettre fin à cet accord tripartite.
Le ministère avait alors expliqué que le rôle du FDPITMA ne se limitait pas à recapitaliser la société. Les ressources du fonds, tirées des infrastructures routières dont il est actionnaire, sont selon lui censées contribuer au financement de la construction du Lyon-Turin.
Le 11 avril dernier, la plus haute juridiction administrative a finalement rejeté la demande de l’opposant savoyard au Lyon-Turin. Le Conseil d’État a considéré que la question n’était pas de son ressort mais de celle du tribunal administratif, et que Daniel Ibanez n’était pas fondé à demander l’annulation de la convention, puisque « ne lésant pas ses intérêts de manière directe et certaine ».