REPORTAGE – Le président du Medef Pierre Gattaz était à Grenoble jeudi 14 juin pour participer à l’assemblée générale du Medef Isère. En fin de mandat, le “patron des patrons” a loué le « pragmatisme » d’Emmanuel Macron, et égratigné ses opposants les plus retors. Sans oublier de vanter un département de l’Isère qui compte pour beaucoup dans son histoire familiale.
L’Isère, « le plus beau département du monde dans le plus beau pays du monde » ? Tel est le message que lance le président du Medef Pierre Gattaz. Invité à participer à l’assemblée générale du Medef Isère ce jeudi 14 juin, le “patron des patrons” n’a pas oublié de rappeler ses attaches familiales avec le département. Son père et son oncle, Yvon et Lucien Gattaz, sont des enfants de Jallieu, nés avant la fusion de la commune avec celle de Bourgoin. Et y cofondèrent la société Radiall, que Pierre Gattaz dirige aujourd’hui.
Mais le président du Medef n’avait pas uniquement fait le déplacement jusqu’à Grenoble pour évoquer les charmes de l’Isère. Alors que son mandat touche à sa fin, Pierre Gattaz veut marteler encore et toujours un autre chant d’amour : celui lancé aux entreprises. Et, accessoirement, au président Emmanuel Macron, dont il vante à l’envi le « pragmatisme ». Tout en se défendant de faire de la politique, l’entreprise n’étant, clame-t-il, « ni de droite, ni de gauche ».
Emmanuel Macron, le président qui « redonne le sourire » aux entreprises ?
Pour Pierre Gattaz, aucun doute : depuis l’arrivée du président En marche à l’Élysée, les entrepreneurs ont de nouveau le sourire. Et de décrire des années Hollande difficiles : « Les gens avaient le moral dans les chaussettes : les taxes qui augmentaient, les contraintes, les obligations, l’impression de ne pas être entendus, parfois d’être méprisés. » Seule la dernière phase du quinquennat, à travers notamment le CICE et la loi El Khomri, trouve grâce aux yeux du Medef.
Le message des chefs d’entreprise, résumé par le patron des patrons ? « Laissez-nous bosser, redonnez-nous confiance, et comprenez qu’une entreprise, c’est là où l’on crée la richesse d’un pays, de l’emploi, de l’intégration ! » Loin de « l’idéologie » de François Hollande, ce président qui disait n’aimer ni « les riches », ni « la finance », Pierre Gattaz voit dans la figure d’Emmanuel Macron un président « qui a compris que l’entreprise fonctionne partout, dans le monde entier, de la même façon ».
Pierre Gattaz rêve à présent de simplifications de la « bureaucratie française » ou de « l’environnement législatif réglementaire » pour permettre aux chefs d’entreprise, qu’il désigne comme « les vrais héros de la nation », de développer leur activité et, in fine, créer de l’emploi. Car c’est bien le leitmotiv du président du Medef : la France doit parvenir à atteindre les 5 ou 6 % de chômeurs, à l’image de l’Allemagne ou des pays du nord de l’Europe.
Des opposants… opposés à l’emploi, décrit Pierre Gattaz
« C’est par l’entreprise que l’on crée de l’emploi. Tous les pays du monde, de gauche comme de droite, ont compris cette logique en dépolitisant l’entreprise », juge Pierre Gattaz. Qui n’hésite pas à accuser ses opposants de refuser la création d’emplois par rejet de la « logique infernale de l’entreprise ». Et d’interpeller ses détracteurs virtuellement : « Dîtes-moi monsieur Mélenchon, dîtes-moi monsieur Martinez, comment vous allez au plein emploi ? »
Des détracteurs qui n’ont pas manqué de rappeler la promesse du million d’emplois formulée par le patron des patrons en échange du CICE. Celui-ci l’affirme : ce million d’emplois est presque une réalité. « On doit être à quasiment 700 000 emplois créés en trois ans. Si la conjoncture reste bonne, je pense qu’on devrait avoir les 300 000 emplois qui manquent d’ici la fin de l’année ou de l’année prochaine », pronostique-t-il. Tout en espérant voir l’économie française doubler au moins ce chiffre, pour atteindre les 5 % de chômage tant espérés.
Autant dire que les manifestations de refus de la politique du gouvernement n’impressionnent pas le président du Medef, même lorsqu’elles donnent de la voix durant sa propre conférence de presse (cf. encadré). « Quand vous réformez un pays, quel qu’il soit, vous avez des manifestations », estime-t-il en prenant pour exemple l’Allemagne de Gerhard Schröder dans les années 2000. Tout est question de pédagogie, ajoute-t-il, en déplorant une économie jugée mal comprise et mal enseignée aux Français. Et des opposants « qui font de la politique, et pas forcément du syndicalisme ».
Demain, Pierre Gattaz à la tête du Medef européen… et d’une fondation
Est-ce la raison pour laquelle le patron des patrons rêve d’une « nouvelle forme de dialogue social » dans les entreprises ? « La lutte des classes généralisée en France dans toutes les boîtes, ça suffit ! », s’agace-t-il. Pierre Gattaz plaide pour une véritable « révolution culturelle » et un « dialogue social humain de terrain ». Basé sur la motivation et le bonheur des troupes, autant que sur leur formation car, ajoute-t-il, « on ne peut pas donner d’emplois à vie à nos salariés ».
« L’entreprise est une communauté humaine unique, donc le dialogue social doit être unique », résume le président du Medef. Qui attend des partenaires sociaux qu’ils repensent à leur tour leur méthode de dialogue, en les basant sur « des sujets intéressants à partager ». À savoir ? « La France en 2030, les grandes mutations qui arrivent, le numérique, l’Afrique, le climat, l’environnement… » Bref, tout sauf un dialogue « judiciarisé ».
Si son mandat au Medef touche à sa fin, Pierre Gattaz n’a pas l’intention de chômer. D’une part en prenant la tête du “Medef” européen, Business Europe. D’autre part, en créant une fondation destinée à accompagner les créateurs d’entreprises dans les territoires les plus sinistrés de France.
« Ces gens ont besoin de boulot, de pouvoir d’achat, d’espoir et de fierté : qui peut apporter cela ? De l’activité et des usines. Pas des partis qui vont dire : “demain matin, je vous donne de l’argent et vous serez beaucoup plus heureux” », décrit-il pour évoquer le rôle de sa fondation à venir. Et toujours, naturellement, sans faire de politique.
Florent Mathieu
POUR LES SYNDICATS, MACRON ET MEDEF, MÊME COMBAT
Sans surprise, la venue de Pierre Gattaz à Grenoble à l’occasion de l’assemblée générale du Medef Isère n’a pas plu à tout le monde. Une cinquantaine de militants CGT et Solidaires l’ont saluée à leur manière, réunis sous les fenêtres de la Fédération du bâtiment et des travaux publics de l’Isère (FBTP) où se tenait la réception. Des manifestants peu nombreux mais remarqués, entourés par des policiers aussi suspicieux à leur égard qu’à celui des journalistes venant discuter avec eux.
Pour les syndicats, aucun doute : Macron et Gattaz, même combat. Casse des services publics, recul des droits sociaux, spoliation des richesses, les slogans multiplient les critiques à l’égard de la politique menée par le gouvernement Philippe. Tandis que les militants sifflent et huent copieusement les personnes accédant au bâtiment de la FBTP pour écouter l’allocution du président du Medef.
Des opposants “anormalement constitués” ?
Pendant ce temps, Pierre Gattaz leur répondait indirectement durant la conférence de presse, en affirmant que « l’image du Medef chez les gens normalement constitués est très forte et très belle ». Sans doute “anormalement constituée” selon les critères du patron des patrons, Mathilde dit de son côté manifester autant contre ce qu’elle appelle la « dynastie Gattaz » que contre le « laminage » de l’industrie française par un Medef qu’elle décrit soumis aux actionnaires et au grand patronat.
« Aujourd’hui, je n’ai qu’un mot : bonne retraite, Monsieur Gattaz ! Et surtout restez en vie très longtemps pour pouvoir contempler de vos fenêtres le massacre de l’entreprise et de l’industrie, et tout ce qui va en résulter en termes de misère », nous confie la militante. Peu avant que le rassemblement ne se dissolve, faute de renforts suffisants… et face à un impressionnant dispositif policier pour une poignée de manifestants.