FOCUS – Le centre national d’art contemporain Le Magasin propose plusieurs mois de manifestations culturelles autour d’un thème original : la marche. Le projet, baptisé Académie de la marche, vise à interroger la dimension politique et créative de celle-ci.
Terriblement banale, la marche. On marche tout le temps, on ne s’en rend même plus compte. Et pourtant : elle porte d’innombrables perspectives, politiques, sociales ou individuelles. Elle est œuvre créatrice. Les artistes n’ont d’ailleurs pas manqué de le remarquer, qui ont été nombreux à utiliser la marche comme objet voire comme support de leur travail, à l’image des fidèles du land art.
C’est à cette réflexion déconcertante sur le rapport entre l’art et la marche que le centre national d’art contemporain Le Magasin des horizons consacre une bonne partie de son année 2018. « On a décidé de parler des marches revendicatives, de la manière dont les artistes s’emparent de la marche pour des raisons politiques », explique Camille Planeix, coordinatrice du Magasin. De cette volonté est née l’Académie de la marche, ensemble de manifestations culturelles entamée au printemps qui s’étendent jusqu’au 14 octobre.
Je marche, donc nous sommes
L’événement repose sur deux piliers : d’une part, une exposition ; de l’autre, une série de marches organisées avec des artistes. Baptisée Je marche donc nous sommes – un nom évocateur au possible, qui renvoie à la dimension collective de la marche – l’exposition est présentée dans les locaux du centre d’art, situé sur le site Bouchayer-Viallet, à proximité du cours Berriat. Elle présente une variété d’images et de vidéos en tous genres, rassemblées par les organisateurs pour former une mosaïque détonante.
Exposition Je marche donc nous sommes au Centre national d’art contemporain de Grenoble. Structure réalisée par l’artiste Pamina de Coulon. © Cnac.
Parmi ces objets, on trouve des évocations historiques de la marche comme protestation politique, telle cette œuvre du Hongrois Endre Tót, qui dénonce la censure des années 1980 par des performances en extérieur, des happenings. Ou encore des images filmées de Trisha Brown, danseuse américaine qui s’est efforcée de faire sortir la danse des théâtres, de la libérer des conventions et des contraintes de la scène. Le Magasin des horizons a aussi récupéré quantité d’images d’archives, notamment auprès de photographes, de manifestations qui remontent jusqu’à 1906.
Une kyrielle de marches collectives
Sur la quinzaine d’œuvres exposées au cœur de l’historique bâtiment d’art, deux sortent particulièrement du lot : elles ont été conçues exprès pour l’Académie de la marche. Sur la porte bleue du Magasin, Guillaume Barborini a peint une fresque intitulée Marcher pour, inventaire à la Prévert des causes profondes de la marche. Quant à l’artiste suisse Pamina de Coulon, associée au Magasin depuis trois années, elle a construit une installation de banderoles « politique et poétique ». Car la marche, la manifestation et la banderole sont intrinsèquement liées, rappelle Camille Planeix. « On montre à quel point la banderole est un endroit de création artistique », nous dit-elle.
Marche organisée par le centre national d’art contemporain de Grenoble, le 26 avril. Crédit photo : CNAC.
Vaste programme, l’Académie de la marche ne se limite pas à l’exposition « Je marche donc nous sommes ». Loin de là. Elle comprend aussi, outre des projections et des ateliers, une kyrielle de marches collectives plus surprenantes les unes que les autres, organisées par des artistes.
La prochaine au programme aura lieu le samedi 16 juin : une rando queer. « Une randonnée où plus on va monter et plus on va se transformer, soit en changeant de genre soit en accentuant son genre », indique Camille Planeix. Et en octobre, une marche de nuit en plein cœur de Grenoble est prévue en guise de cérémonie d’adieu à l’Académie de la marche.
« Une exposition aussi politique, évidemment »
Avec son centre-ville piétonnisé et sa situation géographique, encerclée qu’elle est par les montagnes, Grenoble apparaît comme la ville idéale pour rendre hommage à la marche. La période, elle aussi, est propice. Cinquante ans après mai 1968 et alors que les manifestations sociales contre le gouvernement se succèdent, l’exposition s’inscrit dans un contexte où la réflexion sur la marche en politique semble plus que jamais d’actualité.
Exposition Je marche donc nous sommes au Centre national d’art contemporain de Grenoble. Structure réalisée par l’artiste Pamina de Coulon. © Cnac
« Quand on a commencé à penser l’exposition, raconte Camille Planeix, c’était l’hiver 2017, on ne connaissait pas encore la mobilisation générale actuelle. » Mais la coordinatrice du centre d’art revendique absolument la dimension contestataire de l’Académie de la marche : « c’est une exposition aussi politique, évidemment », affirme-t-elle.
Et de citer l’exemple de la tour de banderoles réalisée par Pamina de Coulon, qui fait référence aux constructions de la Zad de Notre-Dame-des-Landes. Pas si anodine que ça, la marche ?
Le programme des événements et des marches est à retrouver en intégralité sur le site web du Magasin des horizons.
Samuel Ravier