DÉCRYPTAGE – Le groupe cimentier Vicat va-t-il pouvoir mettre en œuvre son plan d’extension de la carrière des Côtes de Sassenage ? Denis Vassor, le commissaire enquêteur chargé de l’enquête publique qui s’est tenue fin 2017, vient en tout cas de donner son feu vert au projet dans son rapport, disponible sur le site de Grenoble-Alpes Métropole. Et cela, malgré l’opposition des riverains qui, lors de l’ouverture des registres, se sont mobilisés en grand nombre pour manifester leur inquiétude.
Depuis cet été, le projet d’extension et d’aménagement de la carrière des Côtes suscitent de vifs débats à Sassenage. En cause ? L’avenir d’une parcelle de 2,4 hectares, située sur le site de Combe Chaude, que le groupe cimentier Vicat ambitionne d’inclure dans le périmètre d’exploitation de sa carrière d’ici 2020. Actuellement classé en “zone de loisirs”, cet ancien champ de ball-trap appartenant à la municipalité serait alors reconverti en terrain d’extraction pour les trente prochaines années.
Au-delà de l’acquisition de cette parcelle, la société Vicat prévoit par ailleurs de réorganiser l’ensemble de ses lots, tout en en modifiant les limites. Parmi les changements au programme : la suppression de presque 2 hectares d’espaces boisés, l’intégration des secteurs présentant un risque d’éboulements dans le but de les sécuriser (voire encadré), ou encore la restitution à la nature de certains terrains inexploités. D’où la nécessité, pour Vicat, de demander une mise en compatibilité avec le plan local d’urbanisme (PLU) de la commune.
Le feu vert donné au projet, malgré l’opposition des habitants
Appelés à se prononcer sur ce dossier, les Sassenageois n’ont pas hésité à exprimer leur inquiétude lors de l’enquête publique menée du 30 octobre jusqu’au 14 décembre.
« Nous disons non à l’exploitation de l’extension de la carrière Vicat sur le site du ball-trap, car nous n’avons aucune assurance que cette exploitation n’aura pas d’impact », protestait notamment un couple résidant aux Côtes de Sassenage, en novembre dernier. Et un autre riverain de renchérir : « Nos maisons sont marquées de fissures provoquées par les tirs de mines, la montagne est littéralement défigurée par cette exploitation toute proche des habitations ».
Voilà quelques exemples parmi bien d’autres des réserves et oppositions claires au projet affichées par des Sassenageois. Plus de 80 contributions au total ont ainsi été adressées par les habitants de la commune, dont plusieurs membres de l’association des Côtes, à Denis Vassor, le commissaire enquêteur désigné par le tribunal administratif de Grenoble. Or celui-ci, en dépit des observations négatives reçues, a donné le feu vert au projet. Son verdict ? Un avis favorable, accompagné de trois réserves et quatre recommandations.
L’extension de la carrière des Côtes : un projet « d’intérêt général » ?
Dans son rapport d’enquête, disponible sur le site de Grenoble Alpes-Métropole depuis lundi 22 janvier*, Denis Vassor affirme en effet que la demande de Vicat « ne remet pas en cause de manière significative les intérêts particuliers des riverains, ses incidences sur l’environnement sont faibles, et ses conséquences positives sur l’économie locale sont avérées ». Avant de trancher : « Le projet présenté d’extension de la carrière des Côtes est donc bien d’intérêt général et la mise en compatibilité du PLU de la commune de Sassenage justifié. »
Une décision contestée par le collectif agir pour Sassenage (CAPS). « Dans son compte rendu, le commissaire enquêteur semble évacuer la plupart de nos remarques émises. Et ce malgré la grogne générale et la mobilisation importante des habitants des Côtes. Nombre d’entre eux se plaignent à la fois des poussières et des bruits générés par les tirs de mines… sans compter les témoignages qui dénoncent la présence de fissures dans les maisons », réagit Yannick Belle, conseiller municipal de l’opposition à Sassenage et membre du collectif.
Les habitants des Côtes revendiquent des mesures compensatoires
Tirs de mines, pollution de l’air, renforcements des vents, bruits nocturnes des wagonnets et même risques d’éboulements. Autant de nuisances que les habitants des Côtes de Sassenage et de Rivoire de la Dame, situés à quelque 800 mètres de la carrière, supportent depuis les années 70. Leur crainte majeure : que ces désagréments augmentent avec l’extension sur le terrain du ball-trap.
C’est pourquoi les membres de l’association des Côtes de Sassenage ont unanimement demandé des mesures compensatoires lors de l’enquête publique. Par exemple ? La « construction d’un merlon végétal » visant à empêcher « le renforcement des vents en direction des Côtes », la mise en place de protections visuelles supplémentaires, ou encore la diminution des nuisances sonores avec un démarrage du téléphérique après 6 heures du matin.
Un point qui a fait l’objet d’une des recommandations du commissaire enquêteur. Même si, écrit-il, « le fonctionnement du téléphérique n’est pas affecté par l’extension, dans la mesure où les modalités de production ne sont pas modifiées », la société Vicat doit néanmoins s’engager à prendre « des mesures pour limiter le bruit du transport par câble, comme l’entretien régulier du matériel et l’insonorisation du bâtiment ».
La question de la position des tirs de mines… écartée
Autre sujet de débat : l’intervention d’une société indépendante qui réalise « une étude approfondie sur la propagation des vibrations sur l’ensemble des Côtes », en plus de mesurer l’impact sur les logements. Selon les observations des riverains, les effets des tirs de mines pourraient en effet varier selon leur position au sein de la carrière.
Une question que le groupe cimentier admet n’avoir jusqu’à présent pas étudiée. « Cependant, si un lien direct était fait entre les effets des tirs et leur position, il serait envisageable d’adapter le plan de tirs en fonction des zones de tirs pour en diminuer les effets ressentis », assure Vicat.
L’affaire semble toutefois déjà classée pour le commissaire enquêteur. « Même si le positionnement du tir semble […] avoir un effet sur les vibrations mesurées au niveau de l’habitation la plus proche, celles-ci restent assez, voire très en-deçà de la réglementation [à savoir une limite fixée à 10 mm/s, ndlr] », estime-t-il dans son rapport.
Et de conclure : « Cette extension, située à une distance sensiblement égale ou un peu plus importante des habitations les plus proches, et sans modification de la capacité annuelle et des modalités de production, n’est pas de nature à aggraver de manière significative ce phénomène et son ressenti par les riverains. »
« Vicat laissera un énorme trou à la place du site du ball-trap »
Cette assertion étonne certains membres du collectif agir pour Sassenage, pour qui ce plan d’extension, loin d’apporter des avantages à la commune, ne vise qu’à répondre à « l’intérêt particulier » de l’entreprise Vicat.
Bien que le volume d’extraction actuel ne s’élève qu’à 400 000 tonnes/an, la société Vicat projette en effet « une extraction de 800 000 tonnes de calcaire par an sur l’ensemble du périmètre d’exploitation », rappelle le collectif dans son texte de contribution à l’enquête publique.
« Or, pour une superficie de 2,4 ha et en supposant une profondeur d’excavation de 100 m, la parcelle du ball-trap contiendrait 2 400 millions de mètres cubes de roche ». Un tonnage qui, correspondant à 4 800 000 tonnes de calcaire, représenterait « 20 % du volume total annoncé par la société Vicat pour l’ensemble de la prochaine période de concession 2020 – 2050. »**
« En l’espace de trente ans, Vicat laissera un énorme trou à la place du site du ball-trap, qui ne pourra pas nous être rendu en l’état. Les habitants de Sassenage risquent ainsi de perdre à jamais un terrain communal aujourd’hui destiné aux loisirs », résume Rafael Laboissière, secrétaire et porte-parole du CAPS.
Un site stratégique pour Vicat mais de maigres retombées pour la commune
Quelles retombées la commune peut-elle attendre de ce projet d’extension ? Le « maintien » et le « développement du contexte socio-économique local », indique simplement Vicat dans sa déclaration de projet. En précisant, plus loin : « l’activité de la carrière associée à celle de l’usine emploie 80 personnes (dont 13 personnes sur la carrière) et génère environ 400 emplois indirects, répartis dans des domaines tels que la maintenance, le transport, la sous-traitance. »
La société rappelle en revanche le caractère stratégique que revêt ce site pour elle : « Seule source d’approvisionnement en pierres de la cimenterie de Saint-Égrève », la carrière des Côtes assure « la fabrication de ciments hauts de gamme et dispose de tous les matériaux de composition chimique requise sur un seul et même site d’extraction. »
Vicat met également en avant les atouts de ce site sur le plan environnemental : « La proximité du site d’extraction par rapport au lieu de transformation et l’utilisation du téléphérique comme moyen d’acheminement permettent de réduire les consommations de carburant et par conséquent les émissions polluantes », précise ainsi le cimentier.
Environ 260 000 euros dépensés par la commune sur le site du ball-trap… pour rien ?
Quid des recettes destinées à la commune ? Vicat paiera à la municipalité de Sassenage un loyer annuel d’environ 2 000 euros, suite à la cession du lot de Combe Chaude. Une compensation financière « plutôt maigre », juge le CAPS. Qui propose des mesures alternatives : la renégociation du « loyer de la parcelle du ball-trap en fonction du bénéfice attendu avec le calcaire présent dans le sous-sol » ou, le cas échéant, « l’achat de la parcelle par la société Vicat ».
« Encore une fois, le rapport du commissaire enquêteur évite de prendre en compte nos réserves, en se limitant à dire que ce sujet ne relève pas du champ de l’enquête », souligne Yannick Belle. Et celui-ci d’interroger : « Quid des 260 000 euros dépensés pour l’adduction d’eau potable sur le site du ball-trap ? Voilà une autre question à laquelle le rapport d’enquête ne donne pas de réponse. »
S’opposant à ce « gâchis financier », nombre d’habitants ont en effet demandé une indemnisation pour ces travaux réalisés en 2015, en vue de la création d’une base de loisirs.
Autant de revendications qui, pour l’heure, restent en suspens. Contacté, le maire de Sassenage Christian Coigné a, tout comme le groupe Vicat, refusé de s’exprimer sur le sujet.
Le premier élu prévoit toutefois de rencontrer ses administrés lors d’une réunion publique, le 19 février prochain. L’occasion pour les riverains de faire une nouvelle fois entendre leur voix avant que le projet d’extension de la carrière des Côtes ne soit mis au vote par le conseil municipal de la commune.
Giovanna Crippa
- * Le rapport du commissaire enquêteur a été publié le lundi 22 janvier sur le site de Grenoble-Alpes Métropole, alors que la date prévue pour sa publication était le 14 janvier.
** Souhaitant prolonger l’exploitation de sa carrière pour les trente prochaines années, le groupe cimentier s’apprête par ailleurs à déposer en préfecture une demande de renouvellement de son autorisation. Un dossier qu’il compte clore avant juin 2020, date où l’arrêté préfectoral consentant l’exploitation actuelle arrive à échéance.
Un risque géologique « maîtrisé » selon le commissaire enquêteur
Dans son plan de modification du périmètre de la carrière des Côtes, la société Vicat compte intégrer « un secteur aujourd’hui non exploité, mais sujet à des mouvements » : l’ancienne « carrière de Clet ». L’objectif affiché ? Y réaliser des travaux de “confortement” afin de la sécuriser. Aucune extraction ne serait donc prévue sur cette parcelle.
D’une surface d’environ 1 hectare, cette zone avait en effet fait « l’objet en 1962 d’un éboulement, provoquant le glissement d’environ 60 000 m3 de matériaux », rappelle le groupe cimentier.
Un problème encore d’actualité ? Oui, confirme dans son rapport d’enquête Denis Vassor. Pour lui, « le risque de glissement ou d’éboulement est certes bien présent sur l’ensemble du versant de cette montagne, mais au niveau de la carrière, il est soit écarté, soit suivi et facilement stabilisable, et […] en tout état de cause, les effets resteraient concentrés dans le périmètre de la carrière ».
De plus, une étude d’impact permettant d’évaluer la stabilité des terrains sur cette parcelle, tout comme sur l’ensemble de la carrière, est en cours de réalisation. D’où l’avis favorable du commissaire enquêteur. Estimant que « le risque géologique est maitrisé », ce dernier ne s’oppose donc pas à l’extension du périmètre de la carrière sur ce secteur sensible.