TROIS QUESTIONS À – Aude Vidal sera à Grenoble, ce mardi 23 janvier, pour présenter son ouvrage Égologie, écologie, individualisme et course au bonheur. Cette militante écologiste de longue date anime par ailleurs un blog sur l’écologie politique et collabore au média Asialyst. Elle est également éditrice de la revue politique L’An 02 et a récemment collaboré à l’ouvrage On achève bien les éleveurs, aux éditions L’Échappée.
Aude Vidal sera à Grenoble, ce mardi 23 janvier, pour une rencontre autour de son ouvrage Égologie, écologie, individualisme et course au bonheur, paru chez l’éditeur grenoblois Le monde à l’envers. Cette rencontre se tiendra à la Maison de la nature et de l’environnement de l’Isère (MNEI), place Bir Hakeim à 18 h 30.
Dans son ouvrage, et sans prendre de gants, Aude Vidal veut redonner à l’écologie une dimension politique forte et s’interroge sur une vision de celle-ci perçue comme une somme de gestes individuels au quotidien : « Cette vision de l’écologie ne succombe-t-elle pas à la logique libérale dominante, signant le triomphe de l’individualisme ? »
PLACE GRE’NET – Vous déplorez dans votre ouvrage une “récupération” de l’écologie au profit d’une certaine forme d’individualisme. Qu’entendez-vous par là ?
AUDE VIDAL – Oui, cette question de la récupération est importante. Ce qui se passe, par exemple, c’est la restructuration du marché du bio avec de grosses enseignes comme Bio c” Bon ou Carrefour bio.
Le schéma alternatif imaginant des petits producteurs sur des marchés locaux ne marche pas, parce qu’il y a une logique de marché et de concentration. Et les petits producteurs historiques se font racheter par de grosses boîtes.
Cette dimension est un peu présente dans mon livre mais j’ai surtout parlé du fait que l’écologie est un champ qui se reconstruit sur des schémas très individualistes et libéraux.
Quand on s’engage dans l’écologie, on ne s’en extrait pas tout de suite et on reproduit des choses problématiques, comme l’individualisme.
Bien sûr, le fait de ne pas oublier ses intérêts est quelque chose d’assez compréhensible. Certaines personnes s’engagent d’ailleurs pour les autres tout en essayant de ne pas s’oublier. Mais j’ai aussi observé des aspects plus égoïstes qui instrumentalisent un peu plus tout cela. Et, surtout, nous sommes tous tributaires du fait qu’il y a de grandes inégalités dans notre société et que l’on se fait reprendre par ce modèle de construction sociale et la manière dont les choses s’organisent. Notamment la distribution des ressources, ou les violences de classe et de genre.
Il semble que pour vous, la « course au bonheur » contribue à cette individualisation, au passage de l’écologie à l’égologie. Vous citez d’ailleurs John Stuart Mill : « Il vaut mieux être Socrate malheureux plutôt qu’un imbécile heureux. »
En fait, l’écologie est l’une des seules idéologies qui s’occupe encore du bonheur. Elle en parle beaucoup. Cela vient de la contre-culture et du droit au plaisir, des questions comme cela. L’écologie a accordé une place très importante au bonheur et, aujourd’hui, on s’aperçoit que c’est devenu une préoccupation très importante aux dépens des questions de justice sociale.
Donc mon objectif n’est pas de promouvoir le malheur à tout prix mais de maintenir l’équilibre dans notre vie entre la recherche du bonheur et la question de la décence des conditions de vie pour les autres, des préoccupations plus politiques et plus altruistes.
La formule « Socrate malheureux » est assez choquante et assez dure. C’est en fait une question à laquelle je pense depuis longtemps. Dans le livre, je me suis efforcée, et nous y avons travaillé avec l’éditeur, de ne pas être jugeante, de me montrer généreuse. Alors j’avoue m’être un peu lâchée dans la conclusion !
Face à des films écologistes très optimistes, comme Demain de Cyril Dion que vous citez, vous souhaitez ainsi ramener l’écologie à sa dimension politique, proche du marxisme des années 70, avec des personnalités comme Pierre Fournier ?
Demain, c’est un film que j’ai vu au moment où j’écrivais le livre. Il est moins critiquable sur l’aspect du travail individuel mis en avant que sur son aspect conforme, sur la manière dont il intègre l’écologie au capitalisme.
On a des exemples de management ou d’entreprenariat écologiste, comme Pocheco, une entreprise très connue pour son côté coopératif et qui fait des produits plutôt écolos, mais dont les enveloppes sont fabriquées par des détenus payés trois sous*. C’est du coup très inéquitable de faire travailler les gens dans ces conditions-là.
En somme, il n’y aurait plus de conflits, parce que les alternatives ne poseraient plus de problèmes au capitalisme. Dans le marché, il y aurait des niches pour les consommateurs écolos et une consommation courante pour le plus grand nombre, ceux qui n’ont pas les moyens. Cette intégration est problématique.
Je suis donc plutôt sur des logiques politiques proches des Verts ou encore plus radicales, c’est-à-dire marxistes ou anarchistes, avec un certain retour aux sources, la nostalgie d’une certaine radicalité. À la campagne, il y a beaucoup de gens alter-écologistes très éloignés du prototype du bobo, souvent pauvres et qui tiennent à ne pas avoir une vie sous l’emprise du travail ou ont des boulots alimentaires. Ce sont des choix très radicaux et des modes de vie très chouettes !
Propos recueillis par Florent Mathieu
* Une situation relayée pas plusieurs médias “alternatifs” dont Bastamag, qui publie également le droit de réponse de l’entreprise, mettant en avant un « but de réinsertion ».