FOCUS – Une tradition, en quelque sorte. Chaque année, l’association Un toit pour tous, en lien avec la Fondation Abbé Pierre, présente son rapport de l’état du mal-logement en Isère. Les chiffres demeurent inquiétants, mais Un toit pour tous veut mettre en avant des solutions innovantes.
« Nous ne souhaitons pas faire acte de désespérance. » Andrée Demon, présidente d’Un toit pour tous, tient à poser ce principe en introduction. L’association présentait, le 30 mars dernier, son nouveau rapport sur l’état du mal-logement en Isère, en présence d’acteurs sociaux du département ainsi que de responsables de la Fondation Abbé Pierre.
La désespérance, elle peut pourtant s’emparer de celui qui compulse le rapport. En 2015, le nombre de ménages sans domicile personnel est évalué à 3 747, soit environ 6 500 personnes. Un chiffre établi en fonction du nombre de ménages différents ayant fait appel au 115 dans l’année1. Et s’il est légèrement en baisse par rapport aux cinq années précédentes, il demeure révélateur de l’explosion des demandes observées à partir de 2010.
La diversité des profils des « mal-logés »
Naturellement, l’ensemble de ces ménages représente des situations variées. Roms, demandeurs d’asile, “droits complets” ou sans-papiers… « L’idée n’est pas d’opposer les situations ou les publics, mais il est important de dire que nous sommes face à des problématiques différentes, car cela n’appelle pas forcément les mêmes solutions », indique Yolande Encinas, responsable de l’Observatoire de l’hébergement et du logement d’Un toit pour tous.
« Il y a une problématique migrants, notamment autour de la demande d’asile ou des populations Roms, et une multitude d’autres situations qui renvoient à des problématiques plus connues de précarité. La crise est passée par là et l’explosion a été parallèle à la dégradation économique et sociale », juge encore Yolande Encinas. Seront notamment évoquées les questions des travailleurs pauvres ou des jeunes en rupture.
La rue ou les habitats indignes comme solutions
Quelles solutions pour les ménages en attente de logement ? Véronique Gilet, directrice régionale de la Fondation Abbé Pierre, dresse le portrait de ménages qui « composent ». « Soit ils ont recours à des refuges temporaires via les communautés religieuses ou avec l’appui de la société civile, soit à des refuges bien plus précaires. Certains s’enlisent dans la rue, d’autres [s’orientent] vers des formes d’habitat indigne : “marchands de sommeil” ou abris de fortune telles que des tentes ou des caravanes. »
La question de l’hébergement par des tiers se pose aussi. « L’hébergement chez des proches puise dans la solidarité privée mais l’épuise également », notent les auteurs du rapport. Pour les hébergés comme les “hébergeants”, « ce nouveau mode d’habiter se traduit par l’inconfort et le surpeuplement, l’absence de vie privée, l’explosion des familles. »
Le logement social trop cher pour certains ménages
La question de l’hébergement pose naturellement celle du logement, auquel les difficultés d’accès demeurent bien réelles, indique Un toit pour tous dans son rapport. La loi Dalo (Droit au logement opposable) « joue insuffisamment son rôle de recours » et le logement social souffre d’un « déficit structurel ». Quand il n’est pas inabordable pour certains ménages.
« Quand vous avez moins de 1 000 euros par mois, au niveau national, vous êtes défavorisés dans votre chance d’accès au logement social, note ainsi Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre. Avoir des ménages à très bas revenus ou aux minima sociaux, c’est difficile à gérer pour les bailleurs sociaux. »
« C’est l’intérêt de la loi Égalité et citoyenneté qui a été votée en janvier 2017 et qui impose un objectif assez minimal : que le quart des plus pauvres qui demandent un logement social aient accès à un quart des logements sociaux chaque année. On s’aperçoit que ce taux de 25 % n’est respecté dans quasiment aucune région de France », ajoute Manuel Domergue.
303 expulsions en Isère en 2015
Le marché privé demeure, de son côté, trop élevé pour les plus modestes, constate Un toit pour tous dans son rapport. Même si les prix se sont stabilisés ou légèrement en baisse et que, note l’association, « Grenoble ne figure plus parmi les villes de province les plus chères ».
Des loyers élevés, mais également une précarité énergétique qui s’installe dans le paysage de l’habitat : autant d’éléments qui alimentent les difficultés des ménages à se maintenir dans le logement. Un toit pour tous a d’ailleurs observé une forte augmentation des expulsions en Isère pour l’année 2015 : sur 2 100 décisions de justice ordonnant l’expulsion, 303 ont été effectuées.
« Il est important de dire que cela n’illustre pas ceux qui vont tout faire pour éviter cette procédure. Pour ne pas être en difficulté de paiement de loyer, de nombreux ménages vont rogner sur leur budget, notamment sur les frais de santé », précise Yolande Encinas. Le chiffre n’est pas révélateur non plus des personnes faisant appel aux dispositifs d’aide tels que le Fond social de solidarité (FSL). Ils sont environ 10 000 en Isère à y avoir recours.
La précarité, absente des programmes et des discours
La présentation d’un tel rapport le 30 mars 2017 résonne nécessairement d’une manière particulière. À la veille de la fin de la trêve hivernale et dans un contexte électoral chargé, la problématique du logement est évidemment une préoccupation brûlante. L’est-elle dans les discours de campagne ? Pas vraiment, déplorent les intervenants. La précarité n’est décidément pas un thème porteur.
Manuel Domergue le souligne : « Dans cette campagne électorale que vous vivez sans doute comme moi de manière douloureuse, aucun débat, aucune proposition forte sur la question du logement et encore plus du mal-logement ! » Le responsable de la Fondation Abbé Pierre n’oublie toutefois pas de tacler la position du candidat Les Républicains sur la question de l’accueil des migrants.
« Quelqu’un comme François Fillon propose noir sur blanc dans son programme d’interdire l’accès à l’hébergement pour les personnes sans-papiers. Cela veut dire que maintenant, en France, un candidat important peut assumer de laisser femmes, hommes, enfants à la rue parce qu’ils n’ont pas de papiers. Que cela soit théorisé ainsi est un danger pour tout le monde… »
Campagne et propositions de la Fondation Abbé Pierre
La Fondation Abbé Pierre espère marquer les esprits via une campagne de communication baptisée On attend quoi, parrainée notamment par Jamel Debbouze, Rachida Brakni ou Éric Cantonna. Mais la Fondation veut également porter des propositions, en mettant en avant la question des personnes sans domicile, à travers un « Objectif zéro. »
« La question des personnes sans domicile, 143 000 environ, est tout à fait à la hauteur de nos moyens. Ce sont quelques centaines, parfois quelques milliers de personnes, sur des agglomérations de 100 000 ou 200 000 habitants. Ce sont des défis à la hauteur de la volonté politique si elle se manifeste ! », estime Manuel Domergue.
Et la Fondation de proposer un plan de résorption du nombre de personnes sans domicile, « en cinq ans dans les villes petites et moyennes, et en dix ans dans les métropoles comme, par exemple, à Grenoble ».
En somme, « mettre l’ambition sur ce qui est la doctrine officielle de notre pays : le logement d’abord. Tout montre que c’est la solution, que maintenir les personnes encore et toujours en hébergement n’est pas une solution viable. » Et pourtant, s’inquiète Manuel Domergue, c’est bien l’augmentation du nombre de places d’hébergement d’urgence, y compris de chambres d’hôtel, qui est présentée comme un succès du quinquennat Hollande…
Les initiatives d’Un toit pour tous
L’association Un toit pour tous a, de son côté, voulu défendre les actions qu’elle mène sur le territoire isérois. Des initiatives comme les Logements d’attente en réponse à des situations d’urgence (Lasur), à savoir la location de logements privés, aux loyers les plus bas possibles, afin de pouvoir loger et accompagner des réfugiés.
« La réponse est modeste mais au moins elle est apportée ! », souligne le directeur d’Un toit pour tous, Frédéric Cesbron. Seize logements ont ainsi été mobilisés, permettant l’accompagnement d’une cinquantaine de personne.
Autre initiative mise en avant par Frédéric Cesbron : « Logement toujours », autrement dit des « logements HLM accompagnés » à l’intention des ménages en grande difficulté, sans passer par la “case” hébergement. Un dispositif qui a récemment eu les honneurs du journal La Croix.
« Ce que nous proposons, c’est de pouvoir mettre à disposition un logement aux personnes, de les accompagner par rapport à leurs difficultés et de leur permettre de rester locataires de ce logement, de ne pas avoir à déménager par la suite », décrit Frédéric Cesbron.
Mobiliser le privé pour augmenter les logements très sociaux
Enfin, le directeur d’Un toit pour tous met en avant son désir de mobiliser le parc locatif privé. « Cela fait des années et des années qu’on milite pour dire que le parc privé est un élément sur lequel on peut faire beaucoup plus de logements sociaux. En Isère, sur les 117 000 logements du parc locatif privé, il y a à peu près 35 000 logements qui changent de locataires tous les ans. Si on transformait 10 % de ces 35 000 logements, c’est 3 500 logements que l’on pourrait transformer en logements très sociaux ! »
Et Frédéric Cesbron de plaider en faveur d’aides, de primes, de compensations et de sécurisations pour les propriétaires acceptant de baisser leurs loyers, augmentant ainsi le nombre de logements sociaux accessibles sur le territoire. « Le parc HLM fait des efforts mais ce n’est pas suffisant, on le voit bien ! » conclut-il.
Florent Mathieu
1 Le rapport indique par ailleurs que ce chiffre de 3 747 personnes, basé sur les appels au 115, est inférieur à la réalité. « En effet, selon les résultats d’une enquête réalisée par la DDCS, le nombre de domiciliations assurées par les CCAS concernait 4 800 ménages en 2015 qui n’avaient pas de logement ou de domicile suffisamment stable pour être visibles et bénéficier de leurs droits », stipule-t-il.