PORTRAIT – À l’occasion de la Journée mondiale de la trisomie, le 21 mars, Place Gre’net a rencontré Pascale, une femme de 43 ans épanouie et autonome, malgré sa différence. Atteinte du syndrome de Down, elle a appris au fil du temps à combattre et à surmonter les obstacles liés à sa trisomie, notamment grâce au soutien de sa mère, Isabelle. Rencontre.
« Quel handicap ? Je ne vois pas de handicap moi ! » Sans tabou, Pascale préfère rire de sa « différence ». Un terme qu’elle préfère de loin à celui de “handicap”.
« Être normal. » Pour la famille de Pascale, ces mots soulèvent des questions morales sur la perception de la normalité au sein de la société. « Je suis peut-être plus normale que toutes les personnes qui n’ont pas de cœur », assure-t-elle. Pour sa mère Isabelle, il serait plus juste de parler de « particularité » – au même titre qu’une caractéristique physique – qui participe à la diversité des êtres humains.
Malgré son généreux sourire et la joie de vivre qui se dégage d’elle, Pascale traverse une période particulièrement difficile de sa vie.
Après deux ans d’union, son fiancé vient de mourir brutalement, en mars. Isabelle se dit impressionnée par le courage et la maturité dont fait preuve sa fille. « Au moins, j’ai eu la chance de vivre un amour fort et véritable », témoigne Pascale. Quant à lui, il n’était pas trisomique ; un amour qui avait de quoi faire taire un certain nombre d’a priori.
À travers ce témoignage, Pascale entend montrer qu’elle est aussi capable de mener une vie “normale”. Elle est ainsi actuellement employée à l’Esat du Fontanil, un établissement et service d’aide par le travail qui prévoit des conditions de travail aménagées pour une meilleure intégration du handicap dans la société. Et qui entend « élever le niveau des travailleurs », assure son directeur.
Le combat d’une mère pour sa fille
Après la naissance de Pascale, Isabelle décide de démissionner de son poste d’enseignante pour se consacrer pleinement à l’éducation de sa fille trisomique et de ses cinq autres enfants. En 1981, elle se mobilise activement avec six familles pour ouvrir la première classe spécialisée de Grenoble, à l’école primaire Joseph Vallier. L’objectif ? Offrir un encadrement aux enfants atteints de trisomie et favoriser l’entraide entre élèves valides et invalides.
« À l’époque, cette initiative était peu commune. Il fallait que les instituteurs acceptent ce mode d’enseignement, qui n’est pas anodin », affirme-t-elle. Victoire pour le collectif de parents d’élèves, le projet a été unanimement applaudi. « Cette classe a été bénéfique pour tous, notamment pour les élèves sans handicap. Ils ont appris à accepter la différence, à être bienveillants et plus humains », explique Isabelle.
En CM1, Pascale sait lire et écrire. Elle débute d’abord le collège « classique » avant de rejoindre un établissement spécialisé à l’âge de 13 ans. Au programme, poterie, peinture, repassage, jardinage … Des d’activités manuelles qui permettent de développer ses sens et sa motricité.
Isabelle est aussi à l’initiative d’aménagements de l’espace public grenoblois. « Quand ma fille a commencé à prendre le tram seule vers l’âge de 18 ans, j’ai compris qu’il était nécessaire d’adapter l’espace public », explique-t-elle. Par le bais d’une association, elle a adressé des courriers à la Semitag demandant que les noms des stations soient annoncés dans les tramways. Idée approuvée : « Oui, c’est grâce à nous que les trams parlent ! », affirme modestement Isabelle.
Le piano, une révélation pour Pascale
Assise à son piano, Pascale plonge sur les touches de son clavier. Concentrée, elle débute doucement, sans partition, le prélude de Bach, Ave Maria. La symphonie résonne solennellement dans son appartement. Dans cette harmonie paisible, sa différence laisse rapidement place à son excellence.
La pratique d’un instrument a été une révélation pour Pascale : « La musique lui a permis d’améliorer sa coordination et sa concentration », raconte sa mère. Pour les personnes atteintes de trisomie 21, le retard dans l’apprentissage n’est pas une fatalité. « Elles sont capables de faire énormément de progrès. J’étais si fière de savoir qu’elle était capable de lire des notes de musique, d’exceller dans un domaine. Je l’admire beaucoup », confie Isabelle, émue. En plus du piano, Pascale voue aussi une passion au théâtre et à la danse, qu’elle continue de pratiquer aujourd’hui.
« Les personnes trisomiques ont beaucoup à apporter à la société »
Dotés d’une particulière sensibilité affective, « les personnes trisomiques ont beaucoup à apporter à la société. Elles dégagent beaucoup d’amour », estime Isabelle. « Petite, on a essayé de faire comprendre à notre fille qu’elle avait aussi des qualités que d’autres n’ont pas », poursuit-elle. Émue, elle se souvient du jour de la naissance de Pascale. « À la maternité, j’ai entendu pour la première fois le mot « trisomie ». Je ne savais même pas ce que c’était. Tout restait à découvrir… »
Au fur et à mesure, Isabelle a réalisé que la trisomie faisait l’objet de beaucoup d’idées reçues. « Une infirmière m’avait dit que ma fille ne serait jamais capable de marcher, ni même de parler », raconte-t-elle. Fort heureusement, la médecine a évolué, les mentalités aussi. Pascale ne souffre d’aucun problème d’élocution, ni même de motricité. Son développement psycho-moteur s’inscrivant dans un travail perpétuel, elle n’a cessé de progresser depuis son enfance. « Les personnes s’imaginent des choses très négatives car elles ne connaissent pas réellement la trisomie. À mes yeux, Pascale a été une véritable chance », affirme Isabelle.
De quoi expliquer son intérêt majeur pour la question du handicap. Isabelle se montre particulièrement préoccupée par l’interruption médicale de grossesse, autorisée par la législation en cas de forte probabilité d’affection grave et incurable de l’enfant à naître comme la trisomie. Sur 2 370 cas détectés de manière prénatale, seuls 530 ont donné lieu à des naissances en 2014, rapporte Libération. Des faits qui relèvent d’une forme d’eugénisme, selon Isabelle : « Cette loi entretient une forme de peur et de honte vis-à-vis du handicap. » Sans remettre en question le libre-arbitre des parents, elle estime que « peu importe sa différence, un enfant est un cadeau, il faut l’accepter tel qu’il est ». Avec ferveur, Pascale s’empresse d’ajouter : « Ma vie vaut autant que celles des autres ! »
« Nous ne sommes pas des monstres »
« J’aimerais montrer à tout le monde que nous ne sommes pas des monstres, au contraire ! » Forte de caractère, Pascale fait preuve d’une grande lucidité quant à la perception de sa trisomie : « Je suis une femme comme les autres. J’aimerais aussi encourager les parents qui ont peur d’élever un enfant trisomique ou handicapé. » Et elle n’est pas la seule à défendre ce combat.
Le 14 mars dernier, Mélanie Ségard, également trisomique, réalisait un rêve d’enfance en présentant la météo sur France 2, suite à une mobilisation massive sur les réseaux sociaux.
Quant à Madeline Stuart, jeune Australienne de 20 ans, elle s’est battue contre le surpoids, symptomatique de la trisomie, pour devenir mannequin.
Une démarche qui avait pour objectif de chambouler les critères de beauté communément admis. Pari réussi. Aujourd’hui, la jeune femme défile sur les plus prestigieux podiums américains.
Des exemples de courage et de persévérance qui participent à faire changer le regard de la société sur le handicap et sont autant d’avancées vers une meilleure intégration des personnes, aussi différentes soient-elles.
Anaïs Mariotti