ENTRETIEN – Montrer que les citoyens ont un réel pouvoir, que tout le monde a la légitimité de s’engager en politique, « remettre les comptes de la nation à l’équilibre », avoir une politique cohérente quant aux sujets du climat, de la géopolitique, de la migration ou encore du statut de travailleur… Charlotte Marchandise-Franquet, candidate à la présidentielle issue du vote citoyen sur la plateforme laprimaire.org, a partagé lors de sa première visite à Grenoble sa vision de la politique et dévoilé des éléments de son projet de société. Rencontre.
Charlotte Marchandise, bienvenue en terre grenobloise
Consultante-formatrice spécialisée dans les inégalités sociales de santé, Charlotte Marchandise a rejoint en 2014 en tant que membre de la société civile, la liste “Changez la Ville” (composée de 30 % d’EELV , 30 % de Front de Gauche et 30 % de citoyens) aux élections municipales de Rennes. Élue après une fusion avec la liste PS au second tour, elle a été nommée adjointe déléguée à la santé.
A ce titre, elle a été élue en septembre 2014 à la présidence du Réseau français des villes-santé de l’OMS par les élus des 86 villes membres en France. A travers ce réseau, elle porte une action en faveur des politiques de santé municipales, en luttant contre les inégalités sociales de santé. Elle se porte candidate citoyenne à la présidentielle 2017 suite au vote populaire sur la plateforme laprimaire.org.
C’est à l’invitation de Pascal Clouaire, adjoint à la démocratie locale, et du Réseau citoyen de Grenoble que Charlotte Marchandise-Franquet est venue pour la première fois dans la capitale des Alpes ce mardi 14 février.
Au programme : des rencontres avec des citoyens, des militants, des politiques – dont le maire de Grenoble Eric Piolle – et une conférence publique sur le thème « Comment passer outre des choix imposés par les partis politiques ? »
Pourquoi l’a-t-on invitée à Grenoble ? « Charlotte Marchandise-Franquet représente extrêmement bien ces mouvements citoyens qui émergent partout en France et qui, à Grenoble, s’inscrivent pleinement dans notre histoire avec la pratique de participation ancrée dans le territoire depuis le début du siècle, confie Pascal Clouaire. Nous souhaitons l’encourager parce que, pour nous, c’est une première pierre, première étape dans quelque chose de nouveau qui commence à apparaître. »
Place Gre’net : Pourquoi avez-vous décidé de vous engager dans la campagne présidentielle ?
Charlotte Marchandise : Il y a plusieurs raisons. Premièrement, j’ai découvert la plateforme laprimaire.org, créée par David Guez et Thibauld Favre, qui ont décidé d’inventer un outil pour que tout le monde puisse se présenter à cette élection. Ils ont fait un tour de France, ils ont présenté le projet à Rennes et j’ai été bluffée par l’ouverture, la transparence et la rigueur de leur démarche.
Je n’avais pas du tout l’intention de me présenter. Sauf que, quand je suis allée voir la plateforme, j’ai vu que 200 hommes se présentaient et seulement 8 femmes. Cela m’a d’abord fait râler. Puis je me suis dit : « Les femmes n’y vont pas. Prenons nos responsabilités en engageons-nous. Et si ça ne marche pas, au moins on l’aura fait. »
Deuxième raison :voter blanc aurait été, au fond pour moi, un choix cohérent pour l’élection présidentielle, sauf que ce vote n’est pas reconnu. Quelqu’un qui est élu avec 70 % d’abstention est quand même élu. Et si je ne fais pas ça, qu’est-ce qu’on propose, qu’est-ce qu’on invente ? Comment on attaque le populisme en proposant quelque chose de différent, quelque chose qu’on n’a pas encore fait ?
La troisième raison est celle du travail à long terme : montrer que tout le monde peut s’engager dans la politique et se sentir légitime en s’engageant à un moment donné. Peu importe si on l’a des diplômes ou pas, comme vous l’avez fait à Grenoble ! L’idée est de se dire qu’on est tous co-responsables.
Je n’ai pas de grande expérience en politique, je ne prétends pas tout savoir et, néanmoins, ça ne m’empêche pas de débattre au niveau politique. Au contraire, c’est une façon de témoigner qu’on peut faire de la politique autrement. C’est important que d’autres personnes le fassent ! Il ne s’agit pas pour moi d’être un modèle, mais d’être comme tous les gens qui font le premier pas, qui s’engagent pour dire aux autres : « Engagez-vous aussi ! »
Vous dites que « la politique n’est pas un métier ». Cependant, votre activité d’élue vous prend beaucoup de temps et peut être considérée comme une profession…
J’ai gardé ma carrière de formatrice à côté de mon mandat et je me bats pour la garder, ce qui n’est pas toujours facile parce que, quand on est élu, on ne trouve pas de travail. Je me bats pour garder ma profession, parce que je ne veux surtout pas être dépendante à 46 ans (à la fin de son mandat, ndlr), me retrouver sans rien (il n’y a pas de possibilité de chômage après un mandat) et devoir me trahir en acceptant les deals que je n’aimerais pas. Pour moi, il est essentiel de continuer ma carrière ou, en tout cas, de travailler sur le statut de l’élu qui permet de se retourner et d’avoir droit au chômage et droit à la formation. Il faut aller plus loin au niveau national pour éviter le “pantouflage”, c’est-à-dire des élus qui partent dans le secteur bancaire par exemple, ce qui est scandaleux.
A l’issu de ce mandat, pensez-vous vous présenter pour un deuxième ?
Je suis convaincue qu’au deuxième mandat à la santé je serai moins bonne qu’au premier. Sans prétendre être très bonne, je pense avoir apporté beaucoup de choses avec une énergie nouvelle… Je n’aurai pas la même énergie pour un deuxième mandat et c’est bien de laisser la place. Après, ce qui se passera au niveau politique dans la ville de Rennes ou ailleurs, difficile à dire… Est-ce qu’il y aura d’autres échéances électorales avec du sens ? Je pense notamment à des européennes… En fait, peu importe ce que moi je ferai, ce qui est important c’est comment on est en train de construire une nouvelle éthique de l’élu. Je suis complètement contre le cumul des mandats et c’est fondamental.
Est-ce que pendant votre campagne vous allez conserver votre poste d’élue ?
Si j’ai les 500 signatures de maires, non. Déjà aujourd’hui, j’ai réduit mon activité d’élue à deux jours par semaine, ce qui n’est pas complètement incohérent par rapport à mes fonctions d’élue telles qu’elles sont aujourd’hui. Si nous avons les 500 signatures, on passera dans une autre phase de campagne, je demanderai donc à la maire (et c’est une chose déjà discutée avec elle et avec mon groupe) d’être relevée de ma délégation d’adjointe pour continuer d’être une conseillère municipale, mais ne plus être adjointe le temps de la campagne.
Vous sentez-vous proche des idées de certains partis politiques ?
Au niveau local, je me sens proche de plein d’idées. Il se passe des choses formidables au niveau local dans des villes qui sont PS, qui sont de gauche, même les villes de droite… Dans des banlieues parisiennes, il y a des villes de droite où les élus font un boulot extraordinaire. Je me sens extrêmement proche de toutes les démocraties locales, citoyennes appliquées…
On n’est pas d’accord sur tout, mais ce n’est pas grave, car c’est aussi ça la politique. Je pense qu’on a une richesse dans la démocratie locale qu’on ne donne pas à voir, qu’on a des élus locaux extrêmement impliqués. Mais ce n’est pas eux qu’on voit, on a plutôt tendance à voir ceux qui abusent.
On ne voit pas assez le nombre d’élus qui bougent, qui se battent pour leur population, les élus ruraux qui se battent tous les jours pour garder de la culture, pour faire des ludothèques mobiles, pour garder les écoles… La question n’est pas celle de « droite ou gauche ». Je suis très fière de participer à la majorité de la ville de Rennes, même s’il y a des points avec lesquels je ne suis pas en accord, car cela n’empêche pas de travailler. Et le jour où, éthiquement, je ne pourrai pas y travailler, on arrêtera. Mais aujourd’hui, on avance et on avance bien.
Dans votre carrière de formatrice, vous travaillez avec le statut d’auto-entrepreneur ?
Oui, je suis auto-entrepreneur et j’essaie d’en sortir. Je me suis retrouvée au RSI (régime social des indépendants) et c’est un cauchemar… Les organismes de formation recrutent de moins en moins de formateurs auto-entrepreneurs, parce que c’est considéré comme du travail déguisé. Il faut donc plutôt trouver des contrats de formateur occasionnel. Je connais bien toutes les difficultés liées au statut d’auto-entrepreneur. La première fois où je me suis dit que j’allais me présenter à la présidence de la République, c’était pour supprimer le RSI. C’était pour rire, mais je continue de porter cette idée-là.
Vous vous définissez en tant qu’humaniste. Qu’est-ce que cela veut dire pour vous ?
C’est la notion de droit fondamental humain, d’égalité, de fraternité, de solidarité et, évidemment, de liberté. C’est-à-dire la liberté de choisir son travail, son éducation, son lieu de vie. Pour moi, la politique humaniste est la politique qui permet à chacun de s’épanouir et de développer son droit à vivre bien, à égalité et pas au dépens des autres.
Vous parlez de l’installation de « l’humanisme, [de] la justice sociale et [de] la protection du vivant au cœur d’une démocratie réelle ». Quelles seront vos mesures concrètes pour cela ?
D’abord, la démocratie c’est l’appel à l’assemblée constituante pour changer la cinquième République qui a été créée par de Gaulle pendant les trente glorieuses et qui n’est clairement plus adaptée, avec un président qui vit dans un palais. Ensuite, il faut réformer l’Assemblée, pour y avoir un groupe citoyen. Et ça c’est un objectif, « moi, présidente ». Ce groupe de citoyens ne doit pas être d’accord sur tout, mais sur les questions d’éthique, de transparence, ils doivent se dire « ce n’est pas normal qu’on soit le seul pays au monde où les parlementaires gagnent de l’argent ». Et on fait une assemblée qui ne soit pas constituée que d’hommes blancs de 60 ans qui ont fait Science Po – Ena. C’est un enjeu majeur pour qu’on puisse croire aux politiques.
Sur la justice sociale, une des mesures emblématiques est le revenu universel. On l’envisage comme une dotation inconditionnelle d’autonomie. C’est bien de mettre « autonomie » dans cette notion-là, mais c’est un projet de société. Le revenu universel c’est permettre à chacun de vivre dignement et d’avoir accès aux droits fondamentaux comme l’eau, l’électricité, le logement…
C’est aussi travailler autour des mesures de logement, autour de la fiscalité – il y a une réforme essentielle à avoir sur la fiscalité qui est en lien avec le revenu universel –, c’est travailler sur la question du temps de travail, sur la formation tout au long de la vie. Sur ce sujet, on est très en retard en France. Le revenu universel est un façon de redonner l’accès aux droits d’abord, mais aussi de donner des possibilités d’évolution, des possibilités d’engagement vis-à-vis des proches, du monde associatif, du politique… J’irai un peu plus loin dans ce qu’on est en train de travailler. C’est aussi une façon de remettre les comptes de la nation à l’équilibre.
Dans vos propositions pour une culture de la paix, vous accordez une place importante à la « citoyenneté mondiale ». Est-ce que vous vous définissez comme mondialiste ? Qu’est-ce que « citoyenneté mondiale » veut dire pour vous ?
C’est la notion de « mondialité » plutôt que la « mondialisation ». On a peut-être plus que jamais un destin partagé en terme d’humanité. La transition écologique, on ne va pas pouvoir la faire chacun au niveau de son pays, il faut la faire au niveau mondial. Les transitions démocratiques également. On a des enjeux mondiaux qui peuvent aller vers le pire ou le meilleur.
Il y a de vrais mensonges par rapport aux questions migratoires : on ne peut pas fermer les frontières, ça ne marchera pas. On ne peut pas continuer d’avoir des gens qui se noient dans la Méditerranée devant nous, alors que nous sommes extrêmement riches. L’humanité grandit, comment est-ce qu’on va devenir 9 milliards de personnes ? On a des solutions pour réfléchir au climat, nourrir l’humanité… Et ces solutions ont une influence fondamentale sur la politique. Sortir du pétrole ce n’est pas qu’une question de pollution de l’air, c’est une question géopolitique : c’est arrêter d’acheter le pétrole qui potentiellement finance le terrorisme.
Dans votre projet, vous envisagez de « mettre nos forces armées en charge des interventions extérieures sous commandement de l’Onu »…
Je ne suis évidemment pas en capacité de développer une stratégie politique militaire toute seule. En revanche, j’ai rencontré des hauts gradés de l’armée, des gens qui travaillent pour le mouvement de la paix… Il est question de l’inefficacité des décisions, y compris au plus haut niveau. Il y a des questions qui se posent quand on a un président de la République qui prend la décision d’intervenir en Libye un dimanche soir, après avoir parlé à Bernard-Henri Levy sans consulter son haut commandement.
Il y a de vraies questions qui doivent se poser en alliance avec des associations internationales, avec les gens qui sont sur le terrain. Les recommandations peuvent évoluer au fur et à mesure que l’on rencontre des gens. Ce qui est certain c’est qu’il faut arrêter de faire n’importe quoi et surtout, si on veut faire la paix, il faut arrêter de faire la guerre. Les interventions militaires, l’ingérence qu’on peut avoir au niveau des peuples font plus de mal que de bien. On le voit dans plein d’endroits.
Quant à l’Otan, on peut déjà imaginer en sortir pour faire un commandement armé (sortir du commandement intégré de l’Otan) et pouvoir reprendre une posture de diplomatie. Si demain je suis plus proche de la présidence, on sera en mesure de consulter des spécialistes sur ces questions. Mais ce qu’on ne lâchera pas c’est la cohérence.
Que pensez-vous de Grenoble « ville-laboratoire » ?
On parle souvent de Grenoble au conseil municipal, en citant l’exemple des mesures concrètes comme l’interdiction de la publicité, le système de votation citoyenne… A Grenoble, il y a cette idée de groupe citoyen, de collectifs citoyens en dehors des partis et c’est une façon d’aborder la politique différemment, par d’autres logiques que ce qu’on a actuellement. Quand on cite Grenoble, évidemment on parle de politique vélo et politique transport.
J’avais très envie de venir à Grenoble, parce que j’entends souvent parler de cette ville. J’ai rencontré plusieurs élus de Grenoble à diverses occasions. L’exemple d’une ville-laboratoire permet de passer à une autre échelle. Du fait de la situation de crise, il ne faut pas qu’on ait une ville-laboratoire, il faut qu’on passe à dix mille, vingt mille…
Comment vous sentez-vous dans ce “système politique” depuis le début de la campagne ?
Je me sens comme un objet politique non-identifié. J’ai l’impression que dès que je vais dire quelque chose je vais vexer quelqu’un. Je ne comprends pas tous les enjeux politiques. Comme ils ne m’intéressent pas, je ne tâche pas de les comprendre. Je me sens complètement en dehors.
Yuliya Ruzhechka
« REDONNER CONFIANCE DANS LES POLITIQUES »
Ce qui lui tient au cœur ? « La transversalité et une façon différente de faire de la politique, qui permettrait d’avoir des logiques cohérentes. C’est-à-dire, au lieu d’avoir une politique de la paix d’un côté et de l’autre de donner la légion d’honneur à l’Arabie Saoudite ou de vendre des armes à des dictateurs, que nous soyons cohérents partout, avec toutes nos politiques. Ne pas avoir la Cop21 d’un côté et les bus Macron de l’autre. »
Les enjeux de sa campagne ? Redonner confiance dans les politiques (« On a une urgence démocratique dans notre pays avec 98 % de jeunes qui pensent que les politiques sont corrompus »), donner « le réel pouvoir aux gens » pour faire marcher la démocratie directe, dénoncer les « pratiques mafieuses » de la politique.
« Je connais une candidate aux législatives à qui on a dit « si tu ne soutiens pas notre candidat à la présidentielle, on met quelqu’un en face de toi.
C’est scandaleux ! On dit dans la presse « les maires ont peur de donner leurs parrainages, parce qu’ils ont peur des représailles ». C’est un droit démocratique de grand électeur mais c’est une pratique mafieuse ! Un maire m’a dit « je te soutiens, mais ne le dis pas tout de suite »…
Sortir des « clivages gauche-droite »
Un autre enjeu important pour la candidate est de changer la paradigme et de sortir des « clivages gauche-droite » : « A l’issue de la première étape de la primaire citoyenne, on s’est retrouvées à 16 personnes et j’ai lancé un appel à la candidature collective en disant « si on veut renverser la vapeur, certes, on joue le jeu de la 5e République avec un candidat, mais ce n’est pas parce que je suis candidate que je sais tout. Renversons le système avec une candidature collective. […]
Je pense que l’humanisme n’est pas une question de gauche, la lutte contre l’évasion fiscale n’est pas une question de gauche, l’entrepreneuriat n’est pas une question de droite, on change de paradigme. […] « Nous étions 12 au 2e tour avec le jugement majoritaire, ce qui est vraiment hautement démocratique : on ne vote pas pour une personne, mais on évalue chacun de candidats en donnant une note de “insuffisant” à “très bien”. Cette note est la plus représentative de l’opinion générale. Certes, c’était en ligne, mais nous avons eu beaucoup de votants, environ 32 000. »
Pour passer à l’étape suivante de l’élection présidentielle, Charlotte Marchandise Franquet a besoin de recueillir 500 parrainages de maires, députés, sénateurs, parlementaires européens, conseillers régionaux et généraux ainsi que de membres de l’Assemblée corse et des Assemblées d’outre-mer. Pour l’instant, elle a une quarantaine de parrainages confirmés. « En plus de cela, 200 élus sont intéressés par la démarche. » « On aurait un mois de plus, on aurait les 500 parrainages, affirme la candidate. Commencer le 31 décembre était trop tard pour se donner des moyens. Je pense qu’on va les avoir, mais c’est la course contre la montre ».YR