CLINATEC ÉPISODE 6 | L’expérimentation animale fait l’objet d’un débat récurrent. Faut-il l’interdire ? À Clinatec, centre de recherche biomédicale grenoblois, médecins, scientifiques et vétérinaires défendent le bien-fondé des tests pré-cliniques sur les animaux. Quant à André Ménache, directeur du comité scientifique Antidote Europe, il milite pour une recherche biomédicale fiable, non basée sur l’expérimentation animale. Regards croisés.
« Il faut accepter de réaliser des tests en amont sur les animaux. » La position de Clinatec, centre de recherche biomédicale grenoblois, a le mérite d’être claire. « La première greffe cardiaque n’a pas été réalisée chez l’homme mais chez le veau ou chez le cochon », poursuit Stephan Chabardès, neurochirurgien au centre hospitalier universitaire Grenoble-Alpes (Chuga), conseiller scientifique et responsable du secteur sujet-patient à Clinatec.
« Nous n’allons quand même pas implanter dans le cerveau d’un patient ce que l’on veut ou lui donner des médicaments n’importe comment, sans tests préalables ! »
Le neurochirurgien reconnaît toutefois le caractère chronophage et le coût financier élevé de ces expériences, menées au nom du principe de précaution.
De son côté, la société civile réclame moins de tests sur les animaux, jugeant ces expérimentations cruelles. Redoutant l’interdiction de l’expérimentation animale sous la pression de l’opinion publique, Stéphan Chabardès s’inquiète : « Cela va clairement ralentir la recherche », déplore-t-il dans cette hypothèse.
Mais pour l’heure, les essais pré-cliniques sur les animaux sont autorisés. Ces derniers sont pratiqués à Clinatec sur des souris, rats, mini-porcs et primates.
Du personnel dédié au bien-être animal
Sur la question de la souffrance des animaux de laboratoire, l’établissement se montre rassurant : « Aujourd’hui, les activités de recherche ont l’obligation de prendre en compte le bien-être animal », précise la vétérinaire et responsable de l’animalerie à Clinatec. Et cette dernière tient à détailler sans tabou les efforts réalisés par le personnel du centre de recherche, spécialement dédié à cette tâche.
« Ces personnes prennent soin au quotidien des rongeurs, mini-porcs et primates hébergés », indique la vétérinaire. S’occupant aussi des animaux quand ils veulent jouer.
Les singes sont en outre regroupés en “famille” de deux ou trois, de façon à ce qu’ils maintiennent des contacts entre eux.
Le confort des animaux passe aussi par le respect de leur espace vital. Ainsi, les macaques de 3 à 8 kilos sont logés dans des systèmes de contention – de grandes cages en inox – de dimension réglementaire. Au minimum, 2 m² au sol et plus de 2 m de haut pour que chaque animal puisse se déplacer dans un certain volume.
Outre les aliments spécifiques octroyés à chaque espèce, le personnel de l’animalerie leur distribue des fruits, des légumes et des friandises différents chaque jour, « pour qu’ils ne se lassent pas des conditions dans lesquelles on les maintient », précise encore la responsable de l’animalerie.
« Nous les soignons comme n’importe quel patient »
Et quand, pour les besoins d’un protocole de recherche, les singes sont rendus parkinsoniens au moyen de neurotoxines, comment sont-ils accompagnés ? « Nous les soignons avec un traitement antiparkinsonien, comme n’importe quel patient », garantit la vétérinaire, soulignant au passage que la gestion de la douleur fait aussi partie de l’accompagnement thérapeutique des cobayes.
Pour autant, même si le personnel soignant parvient à contrôler douleur et tremblements, souvent, les singes parkinsoniens sont très ralentis dans leurs mouvements et particulièrement fatigués, comme les patients humains. « La conséquence est qu’ils s’alimentent difficilement. Donc, à chaque repas, on veille à ce que l’un d’entre nous les nurse, en leur donnant la soupe dans la bouche, précise-t-elle. Cette assistance au repas, nous la faisons comme dans un service hospitalier. »
Clinatec, soumis à la règle des 3R
Améliorer les conditions d’hébergement, gérer la douleur… Dans le langage réglementaire, c’est ce qu’on appelle “Raffiner”. En outre, Clinatec est soumis, comme tout centre de recherche européen, à la règle des 3 R, imposée par la réglementation européenne depuis 2010 : “Raffiner” donc, mais aussi “Remplacer” et “Réduire”.
Remplacer ? « Nous avons recours au modèle animal uniquement si nous ne pouvons pas répondre à la question posée en utilisant un modèle de substitution. Et quand on choisit une espèce animale, on retient celle avec laquelle on peut répondre à la question posée mais qui est, pour autant, la moins évoluée [par exemple, plutôt une souris qu’un singe, ndlr] », explique la vétérinaire.
Quant au dernier item, qui est Réduire : « Nous diminuons en outre au maximum le nombre d’animaux, tout en gardant des lots de taille suffisante pour pouvoir conclure de façon statistiquement significative à la question posée. » Ainsi, dans le protocole de recherche NIR, quinze macaques ont été sacrifiés sur l’autel de la recherche médicale.
L’animalerie, ce lieu que l’on nous cache
Qu’en est-il réellement du bien-être animal sur ce lieu d’expérimentation ? « Les règles et les normes en vigueur sont scrupuleusement respectées à Clinatec », assure le centre de recherche. Pour autant, l’institut ne nous a pas ouvert les portes de son animalerie, « pour des raisons sanitaires », tient-il à préciser. Est-ce la seule raison ? En effet, ne joue-t-on pas sur les mots ?
Peut-on parler de confort et de bien-être animal quand les animaux ne vivent pas dans leur milieu naturel, qu’ils sont achetés dans des élevages agréés pour être instrumentalisés à des fins scientifiques ? Non, si l’on en croit les détracteurs de l’expérimentation animale.
Ceux-ci se montrent par ailleurs particulièrement intransigeants sur les problèmes éthiques voire philosophiques soulevés par cette pratique. En Occident, où beaucoup de progrès ont été faits dans le respect des droits de l’homme, de la femme, de l’enfant, pourquoi se limiter ainsi aux seuls êtres humains ? Nous sommes dans un continuum de l’évolution. Les animaux ressentent eux aussi des émotions, de la souffrance…
Une civilisation digne de ce nom ne fait-elle pas la démonstration de son incohérence en ne donnant le droit à une vie décente qu’aux seuls êtres humains et pas à tous les autres êtres sensibles ?
Les animaux, mauvais modèle pour l’homme
Il faut renoncer aux expérimentations animales, même dans le cadre de la recherche médicale, selon les défenseurs des droits des animaux. D’autant que « la probabilité de sauver un homme après avoir fait des expériences sur l’animal est infime », affirme André Ménache, zoologiste et chirurgien vétérinaire, directeur du comité scientifique Antidote Europe, opposé à l’expérimentation animale, et membre du comité scientifique de l’initiative citoyenne européenne « Stop Vivisection ».
Et d’avancer pour preuve le taux de succès de la recherche fondamentale s’appuyant sur l’expérimentation animale, calculé dans une revue de synthèse[1]. Ainsi d’après l’étude, seulement 0,004 % des expériences réalisées sur les animaux conduisent finalement à une application médicale chez l’homme. « On ne peut donc pas dire que les résultats obtenus par l’expérimentation animale soient prédictifs pour l’homme », en conclut-il.
Les gènes étant différents d’une espèce à l’autre, aucune ne peut réagir à un traitement de façon identique à une autre. Pour lui, c’est donc clair : « Les animaux ne sont pas un bon modèle pour l’homme. »
Les expériences sur l’être humain, interdites depuis le procès de Nuremberg
La solution ? Il faut, selon le vétérinaire, mener directement les expérimentations sur l’espèce humaine. Et donc revenir sur l’exigence légale d’effectuer des expériences sur les animaux dans le champ de la recherche sur les traitements médicamenteux. Beaucoup l’ont peut-être oublié, mais l’obligation date du procès de Nuremberg après la seconde guerre mondiale. Pour que plus jamais des expériences sur les prisonniers, comme l’ont fait les nazis, ne puissent être commises.
« À cette époque, c’était logique d’imposer l’expérimentation sur les animaux. Mais depuis soixante-dix ans, la science a beaucoup évolué et des solutions alternatives respectueuses de la vie humaine existent aujourd’hui », argumente-t-il. Tester, par exemple, de nouvelles molécules sur des cellules humaines en culture avant de passer aux essais sur l’homme. Ou encore, d’utiliser davantage les méthodes non invasives comme l’imagerie médicale.
Des comités d’éthique sous influence
Alors, pourquoi tant de résistances ? « Les comités d’éthique qui donnent leur approbation pour les expériences sur les animaux sont majoritairement composés de personnes impliquées dans la recherche animale », avance-t-il, et donc, selon l’expert, lui sont d’emblée favorables.
Plus de 11 millions d’animaux sont encore utilisés chaque année dans les 28 états membres, selon la Commission européenne.
L’occasion pour le défenseur de la cause animale de regretter qu’aucun scientifique compétent pour remettre en cause la recherche animale n’intègre jamais ces comités.
« Si un laboratoire n’est pas obligé d’utiliser une méthode substitutive, il ne va pas le faire », d’après le vétérinaire, qui dénonce aussi le poids des habitudes.
« Sur 1 000 euros alloués à la recherche biomédicale, 980 euros vont à la recherche animale et seulement 20 euros à la recherche et au développement de solutions alternatives », déplore-t-il. Alors, il en est convaincu, « le changement de pratiques doit être imposé politiquement par une interdiction légale ».
« Changer de paradigme est la seule issue »
Les solutions alternatives sont-elles toujours possibles ? Comme à Clinatec, où pour tester les implants cérébraux – électrodes, fibres optiques ou capteurs posés sur ou implantés dans le système nerveux central –, il faut nécessairement un cerveau dans un corps vivant. Difficile d’imaginer que des volontaires humains soient prêts à faire le grand saut dans l’inconnu, sans validation des tests effectués chez les animaux, tant du point de vue des risques que de l’efficacité.
« Il y a toujours des complications quand on passe de l’animal à l’homme », objecte André Ménache, jamais à court d’arguments, tant la cause lui tient à cœur. La seule issue, selon lui ? Changer de paradigme. Et d’ajouter non sans ironie, concernant l’absence d’alternatives dans certains cas : « Si on interdisait aux chercheurs de réaliser des tests chez les animaux, croyez-moi, ils trouveraient très vite des méthodes substitutives ! »
Véronique Magnin
[1] Contopoulos-Ioannidis DG, Ntzani E, Ioannidis JP. Translation of highly promising basic science research into clinical applications. Am J Med. 2003;114:477 – 484. doi : 10.1016/S0002-9343(03)00013 – 5.
QUID DU CADRE RÉGLEMENTAIRE ACTUEL POUR L’EXPÉRIMENTATION ANIMALE ?
Un agrément obligatoire pour les animaleries de laboratoire
La législation s’est mise en place en France en 1987 – 88 et n’a cessé d’évoluer depuis. La dernière révision réglementaire date de 2013, lors de l’homogénéisation des réglementations nationales et européennes. Le code rural français a été aménagé par un décret et des arrêtés d’application qui ont redéfini les contraintes réglementaires pour les animaleries de laboratoire.
La toute première ? Les établissements où ont lieu des expérimentations animales doivent y être autorisés réglementairement. Pour ce faire, les centres de recherche doivent présenter un dossier d’agrément à la direction départementale de la protection de la population (DDPP) rattachée au ministère de l’Agriculture.
Qui se doit de vérifier si l’animalerie de l’établissement répond bien aux normes françaises et européennes : normes d’espace et d’organisation de l’animalerie. Cette dernière devant être adaptée aux espèces hébergées.
Est aussi contrôlée la formation du personnel : concepteurs des projets, techniciens qui manipulent les animaux et personnels de soin aux animaux.
Une demande d’autorisation obligatoire pour chaque protocole de recherche
Aucun protocole expérimental ne peut être mené s’il n’a pas reçu au préalable une autorisation du ministère de la Recherche. Ce dernier s’assure de la légitimité du protocole, en particulier vis-à-vis des méthodes alternatives. Pour éviter les doublons, il doit aussi être prouvé que la recherche est innovante, c’est-à-dire qu’elle n’a pas déjà été menée par une autre équipe.
Le degré de gravité doit en outre être précisé. Par exemple, « Quand on génère une maladie de Parkinson chez un animal, on déclare le protocole en classe sévère », précise la responsable de l’animalerie.
Le ministère présente ensuite le dossier à un comité d’éthique composé de membres neutres par rapport au fonctionnement de l’établissement.
Un double-contrôle des expérimentations et du fonctionnement des animaleries
Les expérimentations autorisées sont ensuite soumises à un double contrôle. Le premier est interne. Chaque établissement de recherche est tenu de mettre en place une structure du bien-être animal qui comprend un vétérinaire, des chercheurs et des représentants de chaque personnel. La structure se réunit au moins deux fois par an et peut être saisie à la demande d’un personnel. « Dans ce cadre, on peut parfois faire appel à un expert extérieur pour débattre d’une question », précise encore la responsable.
Le deuxième contrôle est externe et revient au ministère de l’Agriculture. Il est impromptu et obligatoire au moins une fois tous les trois ans. Mais pour les établissements qui hébergent des primates comme à Clinatec, l’obligation de contrôle de l’animalerie est annuelle.
VM