DÉCRYPTAGE – Dernière exposition inaugurée dans le cadre de l’opération Paysage –> paysages, pensée par le département de l’Isère, « Chorégraphies nocturnes » met en lumière le patrimoine hydroélectrique local jusqu’au 1er octobre 2017. La Maison Bergès – Musée de la Houille blanche accueille ainsi les photographies du light painter Jadikan, qui a sublimé barrages, centrales hydroélectriques et autres aménagements hydrauliques grâce à son sens aigu de la lumière et de l’espace. Explications.
« Jadikan présente de nombreux points communs avec Aristide Bergès », soutient Sylvie Vincent, responsable de la Maison Bergès – Musée de la Houille blanche, qui accueille l’exposition Chorégraphies nocturnes jusqu’au 1er octobre 2017. L’assertion pourrait prêter à rire. Et pourtant.
En plus de son origine iséroise, le jeune light painter Jadikan partage bel et bien avec l’industriel éclairé qu’était Aristide Bergès – pionnier de la houille blanche et de l’hydroélectricité – un goût évident pour l’innovation.
Si l’expansion du light painting comme discipline photographique et artistique est relativement récente, le jeune homme n’est cependant pas le fondateur du genre, quasi contemporain de la naissance de la photographie. Guilhem Nicolas, alias Jadikan, l’a découvert par la pratique en 2005. Et ce à la faveur d’une pointe de cigarette incandescente déplacée devant son appareil photographique. Résultat : une trace lumineuse avait impressionné la pellicule.
Le light painting : une aventure technique et artistique
Un environnement nocturne, des sources lumineuses, un appareil photo, un temps de pose relativement long : voilà les conditions sine qua non du light painter. Entre le moment où l’obturateur de l’appareil photo s’ouvre et le moment où il se ferme – le temps d’exposition donc –, l’artiste déplace dans l’espace différentes sources lumineuses – lampes de poche, ampoules, leds, etc. : l’équivalent des pinceaux pour le peintre. L’aboutissement de cette chorégraphie dans l’espace – d’où le nom de l’exposition « Chorégraphies nocturnes » – s’incarne en un cliché.
On voit comme cet art en croise de nombreux : la composition et la science de la lumière propre à la peinture, la gestuelle de la chorégraphie, le tracé de la calligraphie, la technique et le sens du cadre de la photographie, la compréhension de l’environnement inhérent au land art ou au street art…
C’est paradoxalement ce qui fascine. Le résultat photographique n’est pas tout. Pour en mesurer les tenants et les aboutissants, le spectateur doit en imaginer la genèse. Démarche qui nécessite d’appréhender, au moins au minimum, ses présupposés techniques. Le musée en offre la possibilité grâce à un appareil de médiation – quelques textes muraux – tout à fait simple d’accès.
Nulle trace du light painter
Les œuvres qu’expose la Maison Bergès – Musée de la Houille blanche sont le fruit d’une commande. Le musée départemental, dédié à la mise en valeur du patrimoine industriel isérois, a demandé à Jadikan d’exercer son art sur l’architecture hydroélectrique, désormais inexploitée, notamment présente dans les vallées de la Romanche et du Grésivaudan. Le light painter n’était pas novice en la matière puisqu’il faisait déjà des friches industrielles son terrain de jeu favori.
Les rouages d’une vielle turbine, la craquelure d’une peinture fatiguée, la superbe d’un équipement qui a d’abord incarné le progrès avant de subir les assauts de la nature… Tout cela comble manifestement le light painter, qui possède un sens aigu du cadre et de la mise en scène. Ce travail in situ, qui tient de la performance, ne laisse pourtant aucune autre trace que celle sur la pellicule.
Contrairement au street artist qui appose sa marque sur les murs de la cité, de manière plus ou moins durable certes, le light painter laisse vierge l’espace qu’il a investi. Anciens barrages, centrales hydroélectriques ou autres aménagements hydrauliques laissés à l’abandon – en nombre dans le département isérois – demeurent donc intacts après le passage de Jadikan.
De la 2D à la 3D
L’artiste ne regrette qu’une chose : que son medium, la photo, ne traduise pas la manière dont il investit un lieu dans son volume.
La chorégraphie lumineuse en 2D ? Difficilement concevable autrement que par l’imagination. C’est sans penser à la possibilité de donner du relief à ces clichés. Il y a bien sûr le recours aux techniques d’immersion à 360° (quelques casques de réalité virtuelle sont mis à disposition par le musée).
Mais Jadikan, tout innovant qu’il est, sait aussi jeter un coup d’œil dans le rétro. Son recours au stéréoscope – fondé sur le couplage de deux diapositives – possède un charme davantage en accord avec le caractère désuet des décors investis. La poésie lumineuse à l’œuvre dans les clichés de Jadikan y gagne un relief qui conserve, malgré les progrès constants en la matière, une magie irréductible.
Adèle Duminy
Infos pratiques
Maison Bergès – Musée de la Houille blanche
Chorégraphies nocturnes. Photographies de Jadikan
Du 8 décembre 2016 au 1er octobre 2017
Entrée gratuite
Dans le cadre de Paysage –> paysages