FOCUS – Le parquet a requis des peines s’étalant de six mois de prison avec sursis jusqu’à quatorze mois fermes à l’encontre des douze suspects des émeutes de Moirans. Des réquisitions jugées « bien gentilles » par certaines parties civiles tandis que la défense salue des peines « mesurées ». Un réquisitoire en décalage avec les peines encourues – jusqu’à dix ans fermes – qui laisse les parties civiles sur leur faim à l’issue d’un drôle de procès.
On attendait un procès au long cours, celui-ci devant initialement durer deux semaines, à la mesure des événements qui avaient secoué et sonné les habitants de la ville de Moirans, le 20 octobre 2015. Il n’en a rien été.
Plusieurs indices laissaient cependant augurer des audiences sortant de l’ordinaire. Ne serait-ce que par le caractère très violent des émeutes pour lesquelles sont jugés les présumés participants – la moitié appartenant à la communauté des gens du voyage – , le déploiement d’importantes forces de polices dans l’enceinte du palais de justice, l’afflux de médias nationaux…
Au final, c’est après seulement quatre jours de débats, sans incidents notoires, dans une salle d’audience garnie d’un public clairsemé que le procès est parvenu à son terme ce jeudi 22 septembre. Laissant les parties civiles quelque peu sur leur faim.
« Les accusés partaient, revenaient au gré de leurs humeurs »
Un drôle de procès donc, tout particulièrement pour ce qui concerne l’attitude adoptée devant le tribunal par les présumés émeutiers. « Je suis sidéré […] de la décontraction avec laquelle les prévenus ont abordé cette audience », déclare Me François-Xavier Fayol, l’avocat de la SNCF, l’une des parties civiles.
C’est également le sentiment de Me Denis Dreyfus, l’avocat de la commune de Moirans, qui se dit très choqué « de la légèreté de ce comportement et de l’absence totale de prise de responsabilités ».
De fait, Joëlle Beylard-Ozeroff, la présidente du tribunal, n’avait-elle pas qualifié de « procès libre-service » ces audiences où certains des accusés venaient et repartaient au gré de leurs humeurs et de certificats médicaux qu’ils n’ont pas toujours produits ?
« Il a fallu que la présidente se fâche [notamment en évoquant le recours à la force publique, ndlr] pour qu’ils reviennent. C’est un peu comme si ce procès se passait dans l’indifférence des prévenus à l’égard de faits d’une extrême gravité », déplore Me Fayol.
« Une absence totale de remord et de compassion »
Si certains prévenus ont reconnu avoir été présents sur la barricade dressée sur la route départementale, la plupart ont obstinément nié leur participation aux émeutes et notamment aux importantes dégradations infligées à la gare de Moirans. Le tout sans émettre le moindre regret. « Ils se disent non coupables, c’est leur droit mais ce qui caractérise ce dossier, c’est l’absence totale de remords, de compassion pour les victimes et pour ce qui s’est passé », regrette Me François-Xavier Fayol.
Et ce dernier de réclamer au terme de sa plaidoirie, 200 000 euros de préjudices pour les dégâts causés aux infrastructures, le retard des trains et le déficit d’image subi par son client.
La commune de Moirans réclamant quant à elle 20 000 euros au titre du préjudice matériel et 80 000 euros pour le préjudice moral.
« Vous tapez aujourd’hui Moirans dans un moteur de recherche et cela vous retourne ces images de volutes de fumée […] de sales images qui vont rester, perdurer et qui renvoient l’image d’une commune, d’un territoire de la République laissés à la violence et à l’abandon pendant de trop nombreuses heures », justifie Me Denis Dreyfus. Au total, les parties civiles auront demandé près de 400 000 euros de dommages et intérêts.
Personne n’ira en prison
Toujours est-il qu’aucun des accusés ne sera emprisonné si la cour décide de suivre les réquisitions du parquet représenté par le vice-procureur Michel Coste. Les réquisitions les plus sévères sont pour les trois seules femmes présentes dans le box. Celles-ci écopent respectivement de six, douze et quatorze mois de prison ferme sans mandat de dépôt.
Suivront douze à quinze mois avec sursis pour trois présumés émeutiers au casier judiciaire vierge et de seize à vingt mois avec sursis contre deux autres dotés d’un pedigree judiciaire autrement plus grand.
La plupart des peines sont assorties de mises à l’épreuve ou de travaux d’intérêt général dont tous les accusés ont accepté le principe. De plus, les peines pourront être éventuellement aménagées sous condition d’indemnisation des victimes. Les accusés risquaient des peines pouvant aller jusqu’à dix ans d’emprisonnement.
« Je suis extrêmement surpris par le décalage entre les réquisitions prises par le procureur de la République et la gravité des événements, leur impact sur l’ensemble de la société française », déplore Me Denis Dreyfus, l’avocat de la ville de Moirans. Ce dernier dénonce des réquisitions « bien gentilles » ou encore « laxistes » et souhaite que le tribunal « puisse aller au-delà des réquisition du procureur ».
Et de compléter : « Pour la commune de Moirans et ses citoyens, cette réponse de la justice n’est pas à la hauteur des enjeux de société. » Quant à l’indemnisation des victimes, l’avocat est plus que dubitatif. « Je suis convaincu, par expérience professionnelle, que pas un centime à la sortie ne pourra effectivement être versé aux victimes », prédit-il.
« Des peines mesurées, bienveillantes et intelligentes »
La défense, quant à elle, salue quasi unanimement « des peines mesurées, bienveillantes et intelligentes ».
Me Emmanuel Decombard qui assiste cinq des prévenus les trouve même « plutôt justes… sur le papier ». Même si ce dernier est loin de s’en satisfaire.
« Le problème pour moi, c’est qu’il y a beaucoup d’absents. On sait qu’il y avait plus d’une centaine de personnes sur site. Cependant, seuls douze ont été renvoyés et, à mon sens, certains sont innocents », déclare l’avocat. Me Descombard dénonce en outre « une instruction menée très vite et le manque de preuves pour beaucoup d’infractions et les cinq clients que j’assiste ».
Pour ce dernier, on a voulu faire de ce procès un exemple, c’est du moins ce qu’il nous confie.
La décision du tribunal a été mise en délibéré. Verdict mercredi 28 septembre à 14 heures.
Joël Kermabon