REPORTAGE – Après les violentes émeutes qui se sont déroulées à Moirans ce 20 octobre 2015 vient le temps des bilans. Le maire de la commune, Gérard Simonet, n’entend pas du tout en rester là. Accompagné de Jean-Pierre Barbier, le président du département, l’édile s’adressait à la presse ce mercredi 5 novembre, juste avant la visite du Premier ministre Manuel Valls. Sur place, les habitants sont partagés…
« Il y a eu un avant, il y aura un après. Je ne souhaite pas balayer d’un coup d’éponge ce qui s’est passé dans notre ville ce 20 octobre. Les Moirannais m’en tiendraient rigueur. » Gérard Simonet, maire divers droite de Moirans, n’entend pas en rester là après les violents événements qui ont secoué, quelques heures durant, la petite ville iséroise.
En cause, de graves exactions perpétrées par des gens du voyage qui exigeaient que soit libéré de prison l’un des leurs, le temps des obsèques de son frère.
Ce dernier avait trouvé la mort, ainsi que deux autres occupants, dans un véhicule qui s’était encastré dans un arbre à Saint-Joseph-de-Rivière, le 17 octobre dernier. Le véhicule accidenté avait été volé, deux des victimes étaient cagoulées et des outils destinés vraisemblablement à commettre des cambriolages y avaient été découverts.
Barrages, pneus et véhicules incendiés, trafics routier et SNCF bloqués – 125 trains avaient été arrêtés – dégâts et dégradations divers, forces de l’ordre agressées… L’extrême violence avait alors très fortement choqué les riverains du quartier de la gare et, au-delà, les habitants de la ville, dont beaucoup s’indignaient du peu d’interpellations réalisées sur place au moment des faits.
« Remettre les pendules à l’heure ! »
En guise de préliminaires, ce mercredi 5 novembre, Gérard Simonet a tenu avant tout « à remettre les pendules à l’heure » devant la presse. L’édile s’inscrit en faux contre certaines désinformations « entendues sur les radios » alléguant que rien n’aurait été fait pour les gens du voyage à Moirans. « La collectivité que je représente, tout comme mon prédécesseur, a toujours fait, à son niveau de compétence, le maximum pour les gens du voyage. »
L’élu cite notamment l’aire de stationnement qui leur est destinée, l’intégration de beaucoup d’entre eux dans le parc social et certifie n’avoir jamais refusé de stages à leurs enfants scolarisés. « Quand cela a été possible, nous leur avons même donné du travail », souligne le maire. Et de parfaire la démonstration : « Ils ne payent pas les fluides ni la location alors même que nous aurions pu l’exiger ! »
« Comment peut-on être gens du voyage et sédentaires ? »
« L’après », pour Gérard Simonet, c’est tout d’abord comment assurer, à court et moyen termes, la réparation des dégâts subis par les victimes ? Au nombre d’entre elles, passeront en priorité les personnes qui ont perdu un bien mais aussi les collectivités comme le département de l’Isère et la commune de Moirans ou encore la SNCF, laquelle a subi d’importantes dégradations sur ses infrastructures.
« Je m’entretiendrai avec Manuel Valls, le Premier ministre, pour que tout soit fait afin que toutes ces victimes soient indemnisées complètement, les assurances ne remboursant pas tout », assure Gérard Simonet.
Dans un deuxième temps, l’élu perçoit aussi la nécessité de gérer le long terme avec les gens du voyage sédentarisés de Moirans. « Qu’est-ce qu’on va en faire ? Qu’est-ce qu’ils vont devenir ? »
« Je pose la question : comment juridiquement peut-on être gens du voyage et sédentaires ? », s’interroge l’élu, avant de poursuivre : « C’est également une question que je poserai à Manuel Valls ». Le maire de Moirans s’insurge : « Tout cela a été d’une violence inouïe ! Pourquoi, dans notre belle démocratie, existe-t-il un tel niveau de violence ? Je suis très inquiet. La démocratie et la sécurité sont bafouées. » Et de conclure : « Nous ne pouvons pas rester sans trouver des responsables. Ce serait très grave pour la société. »
Gérard Simonet qui, outre sa charge de maire, est aussi médecin en activité sur la commune, revient sur ce qu’il a pu percevoir, sous ses deux casquettes, des sentiments éprouvés par la population de Moirans à la suite de ces événements.
Réalisation Joël Kermabon
« Il faut être délinquant pour avoir raison en France ! »
Dans les rues de Moirans, quinze jours après les faits, les opinions sont mitigées. Les commerçants refusent de se confier et se défaussent : « Vous comprenez, Monsieur, j’ai un commerce. Ils comptent parmi mes clients », plaident-ils, coincés. D’autres Moirannais sont plus bavards. « Cela ne s’est pas vraiment passé en ville et je n’ai pas eu à en pâtir. Toujours est-il que le comportement de ces gens n’est pas normal. Si tout le monde se met à faire ce qu’il veut et à brûler des voitures pour obtenir gain de cause… », rapporte un quadragénaire laissant planer le sous-entendu.
« J’ai de toute façon toujours considéré qu’ils n’étaient pas à leur place, je n’ai rien d’autre à dire », lance quant à elle une dame, la cinquantaine, très remontée.
Un père, venu attendre ses enfants devant l’école, dit avoir été très choqué mais « tout cela n’a duré que cinq heures. Les gens ont repris la main depuis », tempère-t-il.
Pour lui, rien de changé sauf « qu’au final on s’aperçoit qu’il faut être délinquant pour avoir raison en France ». Une maman regrette : « Nous avions l’habitude de la proximité des gitans, cela se passait bien. Nos enfants vont dans la même école. Et tout d’un coup tout a dégénéré, c’était vraiment choquant ! »
Pour un jeune adulte, casque audio sur la tête, c’est l’évidence, ils ont eut raison de réagir comme ça : « Ils ne demandaient pas la lune, on leur a répondu comme s’ils étaient des chiens », proteste-t-il avec véhémence.
Un autre jeune passant pense que ce sont des gens venus de l’extérieur qui ont mis le feu aux poudres. « Les gens du voyage, j’en connais certains qui habitent sur l’aire, ce sont même des amis. Ce ne sont pas eux qui ont agi mais ils sont de leur côté [des fauteurs de trouble, ndlr]. Ceci dit, Ils ont quand même perdu quelqu’un, ces gens, et c’était grave pour eux », affirme-t-il, compréhensif.
Une opinion reprise par une jeune femme : « Je n’ai pas été choquée. Il faut se mettre à la place de la maman, si cela nous arrivait, que ferait-on ? Cela n’a aucunement changé ma vision des gens du voyage, ce sont des gens comme tout le monde », affirme-t-elle, péremptoire.
« Cela fait des années qu’ils sont à Moirans, ils n’ont jamais causé de soucis particuliers. »
Dans l’un des bars de la place, un agent immobilier considère que l’on a trop reculé, que l’on aurait simplement dû faire appliquer la loi « applicable à tout citoyen, qu’il soit de la communauté des gens du voyage ou non ».
Croisé fortuitement dans Moirans, Adèle Vinterstein, mère de l’adolescent décédé et d’un autre fils détenu à la prison d’Aiton − celui-là même pour lequel elle souhaitait obtenir une permission de sortie −, se montre peu prolixe. Pour cette dernière, les choses sont claires : « C’est toujours comme ça, on ne nous aime pas, nous sommes rejetés. On nous a toujours traités comme des chiens, je n’ai rien d’autre à vous dire. »
« À situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle ! »
« Je suis là tout simplement parce que les événements du 20 octobre sont inacceptables », a expliqué Jean-Pierre Barbier, président du département de l’Isère, également en déplacement à Moirans ce jeudi 5 novembre. Nous voyons trop souvent l’autorité de l’État défiée et, face à ces actions qui mettent en péril notre démocratie et notre République, il est impératif de former un front républicain pour dire “non, ce n’est pas possible !” »
Ce dernier réaffirme la compétence du département en matière de solidarités et assure « que le département sera aux côtés des victimes prises en otage pour les aider d’une manière ou d’une autre ». C’est ainsi que l’institution, sollicitée par des victimes ayant perdu leur moyen de locomotion, a mobilisé cinq véhicules, dont deux utilitaires, qui seront mis à disposition durant deux mois. En contrepartie, légalité oblige, les attributaires devront s’acquitter d’un montant symbolique de 10 euros. « Les conventions sont d’ores et déjà signées », assure le président.
« C’est une réponse modeste mais c’est une prise en compte de la souffrance des gens. Bien sûr, des voitures il s’en brûle tous les jours et le département ne va pas les remplacer toutes. Mais à situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle », conclut Jean-Pierre Barbier.
Un vaste élan de solidarité
A une échelle plus large, ces événements ont également déclenché un vaste élan de solidarité. La mairie de Moirans déclare recevoir tous les jours des courriers de la part de personnes privées, mais aussi de collectivités souhaitant venir en aide aux victimes. Renée Vialle, adjointe aux affaires sociales et vice-présidente du CCAS, annonce que c’est la raison pour laquelle la municipalité organise une récolte de dons dont la redistribution sera effective à la fin du mois de novembre.
« Les promesses de dons sont nombreuses et nous en avons déjà enregistré un tout premier aujourd’hui », se félicite l’élue. Quid des victimes qui ne se seraient pas encore signalées ? Il n’est pas trop tard, un guichet unique est à leur disposition. « Elles sont invitées à se faire connaître. Elles trouveront en mairie un accompagnement administratif, juridique et une écoute personnalisée pour passer ce cap difficile », assure la conseillère municipale.
Joël Kermabon
Manuel Valls : « On a voulu faire plier par la menace une décision de justice »
Manuel Valls, Premier ministre, accompagné de Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, se sont déplacés à Moirans ce vendredi 6 novembre. Une première visite initialement programmée pour le 23 octobre avait dû être reportée du fait du terrible accident survenu, le même jour, entre un car et un camion à Puisseguin (Gironde).
Juste après les faits, Manuel Valls s’était engagé devant les députés à ce que les auteurs des troubles « puissent être implacablement recherchés et poursuivis ». C’est ce qu’il a confirmé aux victimes qu’il a rencontrées dans les rues de Moirans et réitéré dans une allocution à la préfecture de l’Isère où il se rendait juste après.
Devant un parterre composé du préfet de l’Isère, d’élus, de policiers, de gendarmes et de sapeurs-pompiers, le Premier ministre s’est employé, dans un premier temps, à regonfler le moral des troupes.
« Je veux, tout d’abord, saluer le sang-froid dont vous avez fait preuve à Moirans. Par votre action, l’État a répondu présent et a affirmé son autorité », les a félicités le Premier ministre.
Et de poursuivre : « Ce qui s’est passé à Moirans, c’est une émeute avec un but, faire plier par la menace une décision de justice […] Tous ces faits sont d’une extrême gravité. Ils ne peuvent pas rester impunis. Les forces de l’ordre ont réagi comme il se devait. Elles ont assuré un retour au calme sans qu’il y ait de blessés. Le bilan aurait pu être bien plus grave. »
« La République ne plie pas ! »
Revenant sur les événements de Moirans et notamment les poursuites judiciaires, Manuel Valls se montre à la fois intraitable et rassurant. « Les fauteurs de troubles seront poursuivis sans relâche parce que la justice doit passer. C’est vrai, cela peut prendre du temps […] mais tout sera fait pour que les auteurs soient identifiés, interpellés, jugés et condamnés », promet le serviteur de l’État. Ce dernier précise encore que « les victimes ont été convoquées au palais de justice pour leur faire connaître le premier bilan de l’enquête ».
Quid de l’indemnisation des victimes ? Là aussi, le chef du gouvernement garantit une action efficace, en assurant que « le nécessaire a été fait pour que les procédures d’indemnisation soient mises en œuvre rapidement ».
Pour Manuel Valls, rien ne justifie la violence. Tous ceux qui la commettent doivent être sanctionnés et donc la justice passera à Moirans.
« Il s’est passé quelque chose d’important dans cette ville, on a tenté de substituer la colère et la violence au respect de la loi, on a essayé de tordre le bras à la justice, on s’en est pris aux forces de l’ordre, on a défié la République, mais la République ne plie pas et elle sera intraitable avec ceux qui la défient », conclura le Premier ministre.