FOCUS – Une délégation du collectif d’artistes Le Tricycle, qui assurait la gestion du théâtre 145 et du Théâtre de poche, a symboliquement remis les clés des deux salles à la Ville de Grenoble, ce mercredi 31 août. Malgré des propositions de médiation, la municipalité n’est pas revenue sur son choix de reprise en gestion directe des deux théâtres, effective dès ce mois de septembre 2016. Le collectif, qui réfute l’argument économique, dénonce un choix politique.
Les gens de théâtre et plus généralement les acteurs du spectacle vivant arborent d’ordinaire une mine réjouie lorsqu’ils apparaissent en public. Ce n’était pas le cas, ce mercredi 31 août. Dans le hall d’honneur de l’hôtel de ville de Grenoble, l’ambiance était plutôt à l’émotion contenue et à la tristesse.
Et pour cause. La quarantaine de personnes rassemblées là accompagnaient une délégation du collectif Le Tricycle qui tenait à remettre symboliquement les clés du Théâtre 145 et du Théâtre de poche à Éric Piolle, le maire de Grenoble. Et elles comptaient bien marquer leur réprobation. Une manière pour le Tricycle de fermer le rideau sur le dernier acte d’une crise emblématique du malaise ressenti par le milieu culturel grenoblois depuis l’arrivée aux affaires de la nouvelle municipalité.
Deux emplois supprimés sans proposition de reclassement
Rien n’y a fait. Les responsables du Théâtre 145 et du Théâtre de Poche, gérés depuis 2011 par le collectif d’artistes Le Tricycle, n’ont pas pu obtenir gain de cause dans leurs tentatives de médiations avec la ville de Grenoble. Cette dernière, qui maintient sa décision de reprise en gestion directe des deux salles de spectacle, avait évoqué, pour justifier la suppression d’une subvention de 187 000 euros, des motifs d’ordre économique liés à la baisse des dotations de l’État.
Mais pas seulement. Corinne Bernard, l’adjointe à la culture, avait soulevé « quelques problèmes de fonctionnement », tout en reconnaissant la qualité du travail accompli par les bénévoles et les salariés des deux structures. Des arguments réfutés par le collectif, notamment par sa porte-parole, la comédienne Hélène Gratet, qui s’est exprimée sur ce thème sur Place Gre’net en réponse à une interview de Corinne Bernard.
Pour Le Tricycle et le Syndicat national des arts vivants Auvergne Rhône-Alpes (Synavi), il s’agit bien là d’un choix politique.
« Nous savons d’expérience que la municipalisation coûte plus cher qu’une délégation à un collectif dont la dynamique bénévole appuie des pratiques professionnelles », affirment-ils.
Toujours est-il que cette décision a aussi entraîné la suppression de deux emplois salariés « sans aucune proposition de reclassement alors que le code du travail le demande », précise le collectif. Un recours en justice est d’ailleurs en cours, selon ce dernier.
« On se faisait la bise et il ne se passait plus rien derrière »
Quant aux tentatives de concertation, de dialogue ou de médiation, elles sont demeurées vaines, affirme Gille Arbona, le secrétaire du collectif. « Nous avons eu des contacts avec Corinne Bernard mais le seul problème avec elle c’est que nous discutions, puis on sortait de la réunion en se faisant la bise et il ne se passait plus rien derrière ! », regrette-t-il. Et d’ajouter : « Nous ne sommes jamais parvenus, en tout cas dans un premier temps, à déboucher sur des suites concrètes. Par la suite, cela s’est un peu arrangé mais pas avec elle comme interlocuteur. » Un avis également exprimé par Hélène Gratet dans le discours qu’elle a prononcé juste avant la remise effective des clés à Éric Piolle.
« Il a fallu des négociations de l’ombre pour enfin reprendre l’angle […] qui ne fait entrevoir comme cadre pour le projet du collectif qu’une place dans un comité d’experts de la municipalité ou encore des espaces de programmation à l’intérieur de ce projet », déplore la comédienne. Des propositions inacceptables, selon elle, « puisque nous ne sommes et ne serons experts en rien et que ces propositions vont à l’encontre même du projet Tricycle se voulant un espace pour et par les artistes […] », expose posément Hélène Gratet.
Avec le théâtre municipal et les deux salles ainsi récupérées, la ville de Grenoble dispose désormais de trois plateaux de jauges différentes placés sous la responsabilité d’Évelyne Augier-Serive, la directrice du théâtre municipal. Une gamme sur laquelle elle pourrait jouer pour affiner sa programmation et ses propositions artistiques ? Ce n’est en tout cas pas l’avis de Gilles Arbona… « C’est une usine à gaz qui programme des choses complètement disparates ! », juge-t-il sévèrement.
« Le théâtre n’est pas une boutique »
Plus tard dans l’après-midi, la ville de Grenoble a fait connaître sa réaction par la voie d’un bref communiqué : « Le maire et l’adjointe aux cultures saluent le travail du collectif et son rôle dans le paysage artistique local, au service d’écritures théâtrales contemporaines, celles qui interrogent, interpellent, provoquent des émotions comme de nécessaires débats pour faire société. »
Et la Ville de tenter de se montrer rassurante quant à l’avenir. « La municipalité souhaite poursuivre le dialogue autour des projets du collectif ou de ses membres, comme d’enjeux artistiques et culturels plus larges. La Ville portera une attention particulière à l’accompagnement de leurs projets, selon un cadre à définir ensemble. »
Pas certain que cela suffise à rassurer le collectif et les artistes…
Tout particulièrement Hélène Gratet qui a terminé son discours par une citation d’Ariane Mnouchkine, laquelle assure en substance que « le théâtre n’est pas une boutique ».
Joël Kermabon