REPORTAGE – Situé dans le quartier de la Villeneuve, à Grenoble, le Collège lycée élitaire pour tous (Clept) a été le premier établissement en France à offrir une seconde chance aux élèves déscolarisés. Visite de cette structure pionnière, dans un contexte troublé, alors que la Région vient tout juste d’annoncer le gel d’une avance sur subvention de 32500 euros à l’association La Bouture, en lien avec le Clept.
« Caroline, je peux te poser une question ? »
Dans un établissement scolaire standard, la jeune fille qui vient de franchir le seuil de la salle des profs avec le plus grand naturel vouvoierait Caroline et l’appellerait Mme Crémen.
Cette dernière est prof d’allemand au Collège lycée élitaire pour tous (Clept) mais c’est à la “prof de couloir” que cette élève demande actuellement conseil.
Dans le jargon de cet établissement réservé à ceux qui ont été déscolarisés pendant un temps, le “prof de couloir” est celui qui passe de classe en classe pour relever le nom des absents, avant de les joindre au téléphone pour s’enquérir de leurs motifs et les inviter, le cas échéant, à rejoindre les cours.
Des profs multi-tâches
« On a bâti ce système sur les failles observées ailleurs. Dans un établissement classique, les mômes se glissent dans les interstices des différents services : les profs qui font cours dans leurs classes, le secrétariat qui s’occupe des absences, etc. », explique Agathe Vernay, prof de lettres au Clept depuis son ouverture en 2000.
Ici, les enseignants se partagent donc les tâches administratives et, plus largement, participent pleinement à la vie de la structure. Pour exemple, en ce moment, alors que les élèves de terminale passent les épreuves du bac – le Clept prépare les élèves aux filières générales –, les enseignants s’occupent du recrutement des élèves pour la rentrée prochaine.
Les conditions pour entrer au Clept ? « Avoir entre 15 et 23 ans, être déscolarisé depuis au moins six mois (parfois jusqu’à cinq ans), exprimer le désir d’y retourner », résume Marie-Cécile Bloch, cofondatrice de l’établissement dont les locaux sont basés au cœur de la Villeneuve.
Le Clept, premier en France à avoir rescolarisé les décrocheurs
Pas besoin de définir le terme « décrochage » aujourd’hui. Il est sur les lèvres de nombre de politiques, qui ont décidé d’en faire leur cheval de bataille. Comme François Hollande qui, en plus de la finance (sic), en a fait son ennemi ! Pendant sa campagne, il a ainsi juré de diviser le nombre des décrocheurs par deux d’ici 2017. Le sujet semble beaucoup moins prioritaire pour Laurent Wauquiez, nouveau président Les Républicains de la Région Auvergne – Rhône-Alpes.
L’association La Bouture qui accompagne des jeunes décrocheurs dans leur parcours de vie scolaire en lien avec le Clept, vient en effet de se voir geler une avance sur subvention de 32.500 euros. Soit la moitié des 65.000 euros votés fin décembre 2015 par l’ancienne majorité du Conseil régional, qui représentent 60 % du budget de l’association.
Quand Marie-Cécile Bloch et Bernard Gerde se saisissent du problème dans les années 1990, on ne parle pas encore de décrochage, mais de « produit de l’érosion scolaire » ! Dans leurs lycées respectifs, les deux profs, cofondateurs du Clept, voient disparaître les jeunes silencieusement.
D’où l’idée de fonder un établissement adapté qui puisse leur offrir une chance de reprendre leur scolarité dans des conditions différentes. En 2000, soit quelques batailles plus tard, le Clept ouvre enfin. C’est le premier établissement de ce genre en France.
Confiance et discussion : deux piliers au Clept
Qu’est-ce qui distingue le Clept d’un collège ou d’un lycée classique ? « La relation de confiance qui se noue entre prof et élève », répond instantanément Laurine, élève de terminale L. C’est la première différence soulignée par les élèves interrogés.
De fait, élèves et profs se connaissent. Ils partagent les mêmes espaces de vie, prennent le temps de discuter, aménagent des temps de tutorat…
Jérémy, élève au Clept depuis un an, évoque l’ennui dans lequel le plongeaient les cours d’avant, au sein de classes de 35 élèves : « Tant que tu ne parles pas, les profs ne te parlent pas non plus. Tu peux rester dans ton coin toute l’année sans que personne ne te remarque. »
Grâce à ses petits effectifs – une vingtaine d’élèves par classe –, le Clept s’appuie beaucoup sur la parole des élèves. « Ici, l’enseignement est plus vivant. C’est un vrai ping-pong oral », confirme Jérémy.
Pratique-t-on une pédagogie expérimentale ? « C’est la structure, avec ses règles de vie, qui l’est plus que la pédagogie qu’on y pratique », précise Agathe Vernay.
On y prépare les programmes, comme dans les autres établissements. Les résultats au bac sont d’ailleurs comparables à ceux du lycée Emmanuel Mounier, auquel le Clept est administrativement rattaché.
Adèle Duminy
Collège lycée élitaire pour tous (Clept)
Pour accéder aux conditions de recrutement, rendez-vous sur le site du Clept.
N.B. : Article mis à jour le 18 juin 2016 à 21 heures, pour intégrer la baisse de la subvention régionale à l’association La Bouture.