REPORTAGE – Le jeudi 2 juin aura encore été une journée de plus de mobilisation contre la loi Travail. Outre deux opérations simultanées de la CGT et du comité On bloque tout à Voreppe, une manifestation a de nouveaux réuni étudiants, syndicats, salariés, militants associatifs et retraités. Tous unis pour demander le retrait de cette loi, qu’ils jugent destructrice en matière de droits sociaux et d’emploi.
La journée de mobilisation de ce jeudi 2 juin a démarré sur les chapeaux de roue avec deux actions. L’une à l’initiative de la CGT, dite « Péage gratuit », visait à lever les barrières au péage de Voreppe sur l’A48. Un symbole, selon Lynda Bensella, secrétaire générale de la CGT, « pour montrer qu’on peut lever les barrières de cette loi qui casse le droit des travailleurs ».
Pour le syndicat, pas de doute : « Le moyen le plus efficace pour que le gouvernement retire cette loi, comme il l’a fait dans le cadre du CPE [Contrat première embauche, ndlr], après être passé par le 49.3, c’est d’arrêter le travail et de venir aux manifestations. » D’où la mise en œuvre de ce type d’actions “positives” dans le but de convaincre les Français de se mobiliser.
Radiall bloquée en réponse au qualificatif « voyous »
L’autre opération avait pour but de bloquer l’entrée de l’entreprise Radiall, située dans la zone industrielle Centr’Alp, à Voreppe, et détenue à 89 % par Pierre Gattaz, président du Medef, et sa famille. Une façon pour le comité isérois On bloque tout – composé de membres de la CGT, de Nuit debout, de Solidaire et de la Confédération nationale du travail (CNT) – de protester contre l’usage du qualificatif « voyous » par le patron des patrons pour désigner les syndicalistes opposés à la loi Travail.
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Comme pour l’opération « Péage gratuit », le blocage a commencé à 6 h 15 avec environ 300 personnes. Elle s’est déroulée dans le calme avant de se terminer peu après 10 heures du matin.
« Notre souhait, c’est que le mouvement reste pérenne »
Même si le nombre de manifestants a connu une baisse par rapport au début de la mobilisation – la police évoquant 1400 personnes mobilisées pour cette journée – ces derniers paraissent toujours aussi déterminés et solidaires.
« Il est compliqué pour les gens de faire grève », explique Cyrille Planquart, coordinateur départemental des jeunes communistes. « Ça fait neuf jours que je fais grève, et ça commence à peser sur le porte-monnaie. »
Face à ces difficultés, de nombreux syndicats ont mis en place des caisses de grève pour soutenir la prolongation du mouvement. Parmi eux, l’Union nationale des étudiants de France (Unef), qui commercialise « de petits carrés rouges [symbolisant] la manifestation contre la loi Travail », précise Lena Alexandre, secrétaire générale de l’Unef Grenoble.
« Notre souhait, c’est que le mouvement reste pérenne jusqu’à l’extinction de cette loi Travail », poursuit-elle. Reste à voir si cette solidarité croissante dans les discours et les actes suffira à assurer la pérennité du mouvement.
En attendant, les six organisations de syndicats lancent un appel commun et organisent une action « Tous à Paris », prévue pour le mardi 14 juin. Avec un objectif : centraliser le mouvement en regroupant dans la capitale toutes les forces syndicales départementales, ainsi que l’ensemble des manifestants opposés à la loi Travail.
Julien Deschamps
« J’AI DES CRAINTES POUR LE FUTUR »
Margot Belair, étudiante à Grenoble et co-coordinatrice du groupe des Jeunes Écologistes :
« Les Jeunes Écologistes soutiennent le mouvement au plan national. Il a commencé par des manifestations ; ensuite, ils ont fait passer la loi en force alors qu’il n’y avait pas la majorité à l’Assemblée nationale. À un moment, les gens en ont ras-le-bol. On commence donc à durcir le mouvement en bloquant des raffineries, des autoroutes, des livraisons… Nous soutenons les grèves dans les secteurs de l’énergie, du nucléaire et du pétrole car c’est ça qui va faire reculer le gouvernement. Si on arrive à un stade où presque tout le pays est bloqué, peut-être qu’ils nous entendront…
J’ai quand même comme crainte que le mouvement s’essouffle, parce que les gens se fatiguent, que l’été approche, que d’autres événements arrivent… et que, finalement, la loi Travail finisse par passer comme une lettre à la poste ! Du coup, derrière, on se retrouverait avec un monde du travail toujours plus défavorable aux salariés et plus favorables aux grands patrons. J’ai des craintes pour le futur car on remet plein de droits en question. Pour moi, faciliter les licenciements n’est pas une solution pour l’économie, on prend le problème à l’envers. »
« LA FRANCE EST SURVEILLÉE PAR LA COMMISSION EUROPÉENNE »
Marie-Françoise Devillers, retraitée et membre de l’association Rassemblement du peuple souverain pour une France indépendante et une République sociale :
« Nous faisons l’analyse qui consiste à mettre en lien des informations convergentes, à savoir que l’Union européenne donne des directives, des recommandations au gouvernement français tous les deux ou trois mois. La loi El Khomri est la mise en œuvre d’une directive de l’année dernière, en mai et juillet 2015.
Une nouvelle directive, sortie le 18 mai, insiste sur la nécessité de déréglementer le Code du travail et sur l’urgence de cette réforme. Elle met une pression très importante, en disant que la France est dans une situation de surveillance par la Commission européenne, que l’ampleur de son déficit peut la faire passer du côté préventif au côté correctif et l’exposer à des sanctions.
C’est donc le moment de ne pas lâcher sur la loi Travail. Notre association est solidaire des syndicats et nous demandons le retrait de cette loi. »
« JE RELIE LA SITUATION DES INTERMITTENTS À CETTE LOI TRAVAIL »
Lisa Lehoux, comédienne et intermittente depuis deux ans dans la compagnie grenobloise Vox international théâtre :
« Je relie la situation des intermittents à cette loi Travail, car il faut bien se rendre compte que c’est une logique de système : on attaque tout le monde sans exception, et surtout les plus précaires. Nous, intermittents, sommes dans une logique particulière car il y a une renégociation par l’Unedic de notre régime de l’assurance chômage en général et, donc, de nos annexes 8 et 10.
Il y avait un accord entre salariés et patrons du spectacle assez historique qui reprenait toutes nos revendications depuis 2003, notamment douze mois pour faire 507 heures et non plus dix mois. C’était un retour sur des droits qu’on nous avait petit à petit retirés. Cet accord avait été signé unanimement par les fédérations de spectacles, mais aussi par celle de la CFDT, de la CFTC, de la CGT et bien sûr le Medef. Ils viennent de désavouer leurs propres fédérations et ne vont pas signer cet accord. On reprend donc de plus belle ! Il risque d’y avoir de sacrées surprises cet été dans les festivals. »