FOCUS – Dans le contexte de la contestation contre la loi El Khomri, près d’une trentaine de permanences du Parti socialiste (PS) ont été la cible de dégradations en France. Ce lundi 23 mai au matin, un cap a été franchi à Grenoble avec la découverte de douze impacts de balles de calibre 9 mm sur la devanture de la fédération du PS de l’Isère. Des faits condamnés par l’ensemble de la classe politique, tant au plan local que national.
« Un tir à balles réelles, c’est quelque chose de lourd ! Un cap a été franchi », s’indigne Jérôme Safar, membre du Parti socialiste (PS) et président du groupe d’opposition municipale Rassemblement de gauche et de progrès.
Une réaction faisant suite aux douze balles de calibre 9 mm tirées sur la devanture de la fédération du PS de l’Isère, à Grenoble.
« Rien ne saurait justifier ces actes inqualifiables qui visent à porter atteinte à notre démocratie et qui mettent gravement en danger la sécurité des permanents de la fédération et du voisinage », déclare, de son côté, la Fédération de l’Isère du Parti socialiste dans un communiqué.
La classe politique, qu’elle soit nationale ou locale, est sous le choc. La violence va crescendo. Voilà que, maintenant, on tire à balles réelles contre la permanence d’un parti. Réactions.
Une escalade dans les attaques contre les permanences du PS
Ce lundi 23 mai au matin, l’équipe de la fédération du Parti socialiste de l’Isère découvrait douze impacts de balles sur le rideau de la devanture de son siège grenoblois, rue Nicolas-Chorier. Ces faits, d’une « extrême gravité » et non revendiqués, sont constitutifs, selon les instances locales du PS, d’une réelle escalade dans les attaques contre les locaux ou permanences du parti.
Des dégradations qui se sont multipliées depuis le début du mois de février un peu partout en France, dans le cadre de la contestation contre la loi El Khomri.
Une enquête pour dégradation volontaire avec arme a été ouverte et a été confiée à la Sûreté départementale de l’Isère. « Tout est entrepris pour interpeller au plus vite les auteurs de ces actes inacceptables. Ils devront en répondre devant la justice », annonce dans un communiqué le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve.
« Une offense à la démocratie »
Cette attaque en règle du siège du PS isérois a trouvé un écho tout particulier durant la séance du conseil municipal grenoblois, qui se déroulait – hasard du calendrier – lundi 23 mai en fin d’après-midi. L’occasion pour les élus des différents groupes, tous clivages politiques momentanément oubliés, d’exprimer tour à tour leur indignation.
« Il est un sujet qui nous rassemble tous (enfin presque tous) particulièrement dans cette assemblée, c’est le respect de la démocratie et de celles et ceux qui la font vivre. Hier soir, les tirs qui ont touché le siège du Parti socialiste de l’Isère sont bien une offense à la démocratie », a déclaré solennellement Éric Piolle, le maire de Grenoble, dans son discours d’ouverture. Une manière de compléter ses propos, tenus un peu plus tôt dans la journée.
L’élu déclarait en effet, dans un communiqué : « Quelles que soient les opinions de chacun, la violence et les détériorations de bâtiments ne peuvent être une réponse. »
Une position dans la droite ligne d’Europe Écologie les Verts (EELV) Isère, qui condamne également avec force les tirs contre le local du PS. « S’attaquer au siège d’un parti politique, tout comme à celui d’une association ou tout autre lieu où s’exerce le débat d’idées, a pour nous un relent de déni du droit de penser ce que l’on veut et exercer son libre arbitre. C’est une atteinte à la démocratie, mais également une atteinte aux droits de l’homme. Nous la condamnons fermement », déclare le parti écologiste.
« Ce n’est pas une “dégradation inadmissible”, c’est un attentat ! »
Quant à la réaction de Richard Cazenave, conseiller municipal du groupe Les Républicains – UDI et Société civile, elle est plus incisive. « Il faut appeler les choses par leur nom, l’agression à l’arme automatique n’est pas une “dégradation inadmissible”, c’est un attentat ! Il vise, par l’usage de la violence, à intimider les démocrates et à imposer la loi de la rue », fustige l’élu.
Le député honoraire ne manque pas d’enfourcher, au passage, l’un de ses chevaux de bataille préférés. « Il faut que chacun prenne conscience de ses responsabilités. En particulier en se gardant d’afficher une forme de complicité intellectuelle avec l’ultra-gauche démocratique, en évitant de banaliser les actes de dégradation et les agressions contre les forces de l’ordre. » Toutes choses susceptibles, selon l’élu, de cautionner directement ou indirectement des comportements « qui ne peuvent conduire qu’au désordre, à l’anarchie et à la violence ».
« C’est leur lieu de travail, ils auraient pu être sur place »
« Nous dénonçons de la façon la plus ferme cet acte d’une extrême gravité. C’est une atteinte insupportable à la vie démocratique de notre pays qui, malheureusement, est le reflet d’un climat de violence qui tend à s’amplifier », a déclaré à son tour Jérôme Safar en préliminaire d’une question orale.
L’élu socialiste ne cache pas que les militants sont fortement choqués, secoués. « Même si cela s’est passé durant la nuit, c’est leur lieu de travail, ils auraient pu se trouver sur place ! », s’inquiète-t-il rétrospectivement.
Mais Jérôme Safar en est convaincu, Grenoble ne doit pas céder à la violence.
Selon le président de groupe, le débat démocratique est l’une des grandes forces de la ville de Grenoble et « sa vitalité n’est pas compatible avec des actes de violence graves dont ont pâti, cette fois-ci, les militants socialistes ». Et de citer Erwann Binet, député PS de l’Isère : « Tirer à balles réelles sur un siège de parti, c’est tirer sur la démocratie. »
« Un acte de guerre ou de pré-guerre civile »
« Certes, nous ne partageons pas grand-chose avec le Parti socialiste mais nous tenons à dénoncer cet acte absolument inqualifiable que pour ma part je qualifierais d’acte de guerre ou de pré-guerre civile », lance Alain Breuil, conseiller municipal du groupe Front national. Selon ce dernier, l’événement est la suite logique de toute une série d’actions qui se sont déroulées sur Grenoble courant mai.
« Nous avons vu des banques, le journal local [Le Dauphiné libéré, ndlr], La Poste, l’école de commerce [Grenoble École de management, ndlr] se faire caillasser en long, en large et en travers », énumère l’élu frontiste. « Nous ne sommes plus là dans le cadre de manifestations revendicatives mais dans le cadre d’actions concertées contre la démocratie mais aussi contre l’État », constate Alain Breuil.
Joël Kermabon
JÉRÔME SAFAR : « NOUS NE POUVONS PAS FAIRE LES AUTISTES »
Nombre de permanences du Parti socialiste ont récemment fait l’objet de dégradations dans toute la France. Ce lundi 23 mai, plus grave, celle de Grenoble a été la cible de tirs. Lors d’une interruption de séance du conseil municipal, nous avons recueilli la réaction de Jérôme Safar.
De quoi cette ambiance délétère vous semble-t-elle révélatrice ?
En dehors de tout débat sur la loi El Khomri, sur l’utilisation de l’article 49 – 3, notre pays a un problème d’estime de soi qui est bien réel. Tous les gens qui viennent de l’étranger nous le disent. Un de mes amis de Montréal m’a récemment dit ne pas comprendre cet état de surtension qui est le nôtre alors que nous avons tout pour réussir et être heureux.
Évidemment, il y a des difficultés sociales, un chômage de masse qui n’est toujours pas réglé dans ce pays. Mais il faut, à un moment, admettre que s’il y a des difficultés, nous ne sommes pas dans un pays qui est “à la rue”. Nous avons des atouts considérables mais nous n’avons toujours pas réussi à faire en sorte que la jeunesse française soit l’un d’entre eux. C’est le gros problème. Les jeunes se vivent comme une génération sacrifiée. C’est impossible d’entendre ça !
Que vous évoquent leurs revendications ?
J’ai personnellement commencé à militer lors des grèves contre la loi Devaquet. On se battait pour plus d’égalité, pour des choses positives. Là, ils sont obligés de se battre en défensif et ils ont le sentiment d’être un peu la variable d’ajustement. Il faut l’entendre, ça !
Nous ne pouvons pas faire les autistes mais il ne faut pour autant pas tomber dans cette forme de démagogie qui consisterait à leur dire qu’ils ont raison sur tout. Il faut savoir expliquer, savoir prendre le temps de l’explication.
Quelles sont d’après vous les priorités pour le PS aujourd’hui ?
Les rythmes politiques aujourd’hui sont très saccadés, très précipités. Je n’étais pas favorable au quinquennat quand il a été mis en place. Je pense que c’est une erreur colossale. Il faut que nous regardions comment rééquilibrer ce couple président – Premier ministre qui, aujourd’hui, est un peu brinquebalant. Mais la priorité, c’est l’économie et tout faire pour que l’emploi redémarre. La gauche doit se ressaisir sur les 35 heures que nous n’avons pas réussies parfaitement, notamment dans les hôpitaux et d’autres administrations.
Il y a des pistes pas uniquement libérales. Je pense qu’il faut surtout voir, non pas comment réenchanter la politique – je n’aime pas ce terme passe-partout –, mais comment donner des signaux de réelle attention à des populations qui attendent vraiment qu’on leur tende la main.