FOCUS – Cristina Iglesias pose ses valises à Grenoble. Le musée de la ville accueille sa nouvelle exposition jusqu’au 31 juillet. Sa démarche, loin de se réduire à des sculptures presque architecturales, est empreinte d’une réflexion sur la spatialité des formes dans laquelle est convié le spectateur.
« Ce travail sur la sculpture rend compte de l’espace de manière directe et puissante. Les œuvres s’adaptent à l’espace dans lequel elles s’inscrivent. » Pour Guy Tosatto, directeur du musée, l’artiste a voulu rendre compte de cette cohabitation entre forme, temporalité et spatialité. « Les formes prennent en compte et s’approprient l’espace et le langage de l’architecture. »
Une architecture précaire qui suggère la relation de l’Homme à la nature. Rien ne s’impose, tout se construit ensemble : les structures exposées semblent être révélatrices de ce croisement entre représentation de la nature et trace du passage humain.
« Chacune des formes et des problématiques développées sont des références à la nature », explique Cristina Iglesias. Cette artiste espagnole est l’une des plus marquantes de ces vingt dernières années.
Découverte dans les années 1980, elle a fait de la sculpture architecturale son domaine de prédilection. Jusqu’au 31 juillet, le Musée de Grenoble offre la possibilité de venir découvrir cette artiste internationale, peu connue du public français. On y découvre des œuvres purement contemporaines, inspirées de sa culture ibérique.
« Le meilleur moyen pour appréhender une figure, c’est de se déplacer autour »
Tout près, un ruissellement. Comme un cours d’eau qui se glisse entre les œuvres, l’eau devient le fil conducteur de l’exposition. Omniprésente, elle habite l’espace visuel et sonore le long du parcours.
D’où lui vient son inspiration ? Ce sont les nombreuses commandes passées sur le thème de l’eau qui ont ouvert la voie à Cristina Iglesias. Pièce majeure de l’exposition, Puits n°1, présentée comme une fontaine d’intérieur qui se remplit d’eau, lentement, et s’écoule comme un marais au travers de ce tissage de branches et racines.
« Le meilleur moyen pour appréhender une figure, c’est de se déplacer autour », estime Guy Tosatto. Le regard est partout, il guide le visiteur au travers des œuvres.
Et l’artiste aime jouer avec les différentes perceptions possibles. À l’image de Jalousies, cette œuvre colossale composée de 18 panneaux en grès qui reprend cette notion de point de vue de façon symbolique. À mi-chemin entre un paravent qui dissimule et un écran qui offre à voir, ces jalousies laissent passer le regard des spectateurs. À chaque position sa sensation : tel pourrait être le crédo de l’exposition, qui évolue selon l’endroit d’où l’on regarde les œuvres.
« C’est une exposition à vivre au travers d’une lente progression méditative »
« L’œuvre nous enveloppe, comme un nouvel environnement. Architecture de mots, de phrases, extraits de livre : l’œuvre est en suspension. » Un espace dans l’espace, à l’image de la sculpture pavillon suspendu IV, dont les panneaux de fragments textuels interfèrent avec l’espace réel.
Chaque œuvre est conçue pour offrir de multiples perceptions. En pénétrant à l’intérieur, on découvre un tout autre univers, bien loin de son apparence extérieur.
Comme Chambre végétale, ce labyrinthe dans lequel le visiteur se perd, se regarde et se questionne sur son propre rapport à l’espace, ces œuvres sont des miroirs de la nature, qui la déforment plus qu’ils ne la représentent.
Des créations pensées autour de la notion d’espace, qui allient représentativité de la nature et désillusion : voilà ce qu’offre à voir l’artiste dans cette nouvelle exposition. Le faux-semblant est partout. Une imbrication de trompe‑l’œil dans lesquels on peut se promener, s’évader, mais qui nous renvoient toujours à la réalité. Une exposition à la jonction entre le mystère onirique et la sombre réalité.
« C’est une exposition à vivre au travers d’une lente progression méditative autour des formes élaborées au fil de ces quinze dernières années », commente Guy Tosatto. Par ses œuvres, l’artiste met en forme la confrontation permanente des antinomies : une nature à la fois rêvée et pétrifiée, sauvage et raffinée, à l’image des parois de la Chambre végétale, une eau bienfaisante et dévastatrice, des jeux d’ombres et de lumières, etc.
« Passer du réel au surréel de façon subtile, tel est le but des œuvres proposées », précise l’artiste par l’intermédiaire de Guy Tosatto. Et celle-ci s’amuse avec les matériaux, pour amplifier ce rapport contradictoire aux œuvres. Entre les formes classiques et sobres, telles que le marbre, et l’univers plus sombre et souterrain créé par les racines en résine.
Les matériaux donnent vie et force à l’exposition, comme deux aimants qui se repoussent et créent de l’énergie. Des panneaux muraux en soie au métal tissé, en passant par le travail de collage de photos : les matériaux sont là, inspirants et mis à l’honneur.
Cassandre Jalliffier
CRISTINA IGLESIAS EN BREF
Cristina est née en 1956 à Saint-Sébastien, en Espagne. Après des études de chimie, elle part se former à la Chelsea School of Art à Londres, en 1980. De là, tout s’enchaîne : accès au titre de professeur, prix national des arts plastiques d’Espagne et multiples expositions lors de biennales, comme à Séville et Venise. En trente ans, elle s’est imposée parmi les artistes espagnols les plus reconnus. D’où les nombreuses commandes publiques qui lui sont passées, principalement sur le thème de l’eau.
PUITS N°1 RESTE À GRENOBLE
La ville de Grenoble a acheté une des œuvres présentées durant l’exposition de Cristina Iglesias, dans le but de compléter la collection du musée de Grenoble.
Il s’agit de Puits n°1, cette fontaine qui aspire et rejette l’eau sur un enlacement de racines et feuilles. Le montant de la transaction est de 180.000 euros, financé à moitié par L’État et la Région.