FOCUS – L’année 2016 marquera les 400 ans de la disparition de William Shakespeare. L’occasion pour le Centre du graphisme d’Échirolles d’exposer aux Moulins de Villancourt jusqu’au 29 janvier prochain 75 affiches internationales. Lesquelles ont annoncé, depuis les années 1960 jusqu’à aujourd’hui, les représentations d’une quinzaine des pièces du dramaturge élisabéthain. Balade au cœur de l’expo « Shakespeare à la folie », dédale d’affiches éclaboussées de bruit et de fureur.
Noyé sous les affiches publicitaires, notre œil s’est abêti. Lui réapprendre à déchiffrer symboles et doubles sens est l’une des missions que revendique le Centre du graphisme d’Échirolles. Il faut dire qu’il trouve, dans le corpus de l’exposition « Shakespeare à la folie », de quoi ébranler notre regard.
Certes, ces affiches comportent, à l’instar de la publicité, une finalité promotionnelle. Les affichistes répondent bien aux commandes de théâtres. Mais en tant qu’artistes, ils proposent une interprétation de la pièce qui vaut bien celle du metteur en scène lui-même.
L’affiche : un art de l’économie
Certains des affichistes exposés excellent à capturer l’essence de l’esprit shakespearien avec une économie qu’interdit le langage. Pour exemple, l’Américain Lanny Sommese, avec son affiche de Macbeth (voir ci-dessus), inscrit en négatif, dans la couronne du personnage éponyme, le visage de lady Macbeth. Manière de la désigner, graphiquement, comme l’instigatrice de la soif de pouvoir insensée qui grignote l’esprit de son époux !
Dans une esthétique toute différente, le Polonais Tomasz Boguslawski (voir ci-contre) enferme le roi Lear dans l’image du barbon fatigué. Les poils de sa barbe sont ceux d’une brosse à reluire en fin de course. Le personnage s’est en effet coupé de celle de ses filles à n’avoir pas voulu se prêter au jeu de la flatterie à son endroit. L’argent de l’héritage en poche, les deux aînées, plus cajoleuses, ont bien vite causé la perte de leur père.
Vous l’aurez compris, la lecture de ces affiches nécessite d’avoir quelques connaissances du répertoire shakespearien. Des résumés sont toutefois là pour pallier les lacunes, au besoin. Mais on peut regretter qu’en rassemblant les affiches par pièces de théâtre, l’exposition mette davantage l’accent sur la narration plutôt que sur les différentes esthétiques à l’œuvre. Reste que cela force notre œil engourdi à procéder lui-même à ce type de regroupement. Pas bête.
Les affichistes : des témoins de leur temps
Autre ligne rouge qui peut nous guider parmi les 75 affiches exposées : leur propension à s’inscrire dans leur époque, à dépasser le cadre de l’argument shakespearien. Car, après tout, une affiche s’invite dans l’espace public. À ce titre, l’affichiste a toute latitude pour dépasser son cadre promotionnel afin d’interpeler le passant. Ce dont ne se prive pas Grapus dans son affiche de La Mégère apprivoisée (voir ci-dessous), datée de 1979. Une année sur laquelle souffle encore l’esprit libertaire de 1968…
Sans avoir recours à l’histoire de la pièce, on voit ici un bras d’homme, grossièrement dessiné, tendre l’anneau du mariage à une femme lui préférant un geste d’inspiration sexuelle… Derrière le masque de l’institution, l’hypocrisie masculine que piétine gracieusement la gent féminine ! Tout cela fleure bon le souffre des années 1970 !
Plus représentée au sein de l’exposition, l’école polonaise a elle aussi produit, des années 1950 aux années 1980, un grand nombre d’affiches polysémiques capables de contourner la censure en place. C’est même sa marque de fabrique ! Aussi Marcin Mroszczak et Andrzej Krauze lient-ils, dans une affiche de 1971, la figure d’Hamlet à celle du Christ en croix. Pas anodin sous un régime communiste qui se passerait bien de la fièvre catholique de sa population !
Pour apprécier à sa juste valeur la richesse de cette exposition, il ne faut donc pas remiser son cerveau au vestiaire. Ranimer notre regard vaut bien un petit effort. Ou bien, plus simple, on peut s’en remettre aux spécialistes de la question et préférer la visite guidée !
Adèle Duminy
Infos pratiques :
Le Centre du graphisme d’Échirolles présente :
« Shakespeare à la folie », affiches internationales
Du 20 novembre 2015 au 29 janvier 2016
Les Moulins de Villancourt
116 cours Jean-Jaurès, à Échirolles
Entrée libre du lundi au samedi, de 14 à 18 heures
Renseignements : 04 76 23 64 65
Pour les visites guidées, se reporter au site