BLOG JURIDIQUE – Le 28 octobre dernier, la Faculté de droit de Grenoble organisait une nouvelle conférence citoyenne sur le thème de la démocratie participative au travers des politiques novatrices mises en place par la majorité grenobloise. Volonté affichée dès la campagne de 2014 par l’équipe d’Eric Piolle, la « transition politique » annoncée commence à voir ses premières applications concrètes. Cette innovation politique réveille l’âge d’or de la politique grenobloise, celle où Hubert Dubedout édifiait par sa politique « le mythe de Grenoble ». Analyse de Simon Bernard, étudiant en Master 2 à la Faculté de droit.
L’histoire se répèterait-elle à Grenoble ? En effet, ce virage politique majeur enclenché dans la capitale des Alpes n’est pas sans rappeler celui engagé dans la même ville cinquante ans auparavant par Hubert Dubedout. Ingénieur diplômé de l’École navale, Hubert Dubedout vient s’installer en 1958 dans la ville afin d’occuper un poste au Centre d’études nucléaires (CENG).
Assez rapidement, il décide de s’intéresser à la vie politique de Grenoble. Par le biais du milieu associatif, il fera ses premières armes dans un contexte d’usure de la municipalité en place. En janvier 1965, le petit groupe de militants informel devient le Groupe d’action municipale (Gam). Le Gam est un élément essentiel pour comprendre la philosophie politique qui animait Hubert Dubedout et son équipe.
En effet, avant l’élection de 1965, cette association (qui souhaitait se lancer dans la campagne municipale) a présenté sa méthode et ses prescriptions d’actions pour Grenoble. Elle souhaitait ainsi mettre en place un dialogue entre les administrés et les élus mais aussi pousser ce travail de concertation jusque dans la réalisation des politiques, notamment en matière d’urbanisme. Cette genèse associative a irrigué les politiques des mandats d’Hubert Dubedout en laissant une place importante à la parole des habitants.
C’est donc cette équipe qui se lance dans la campagne des municipales et qui, associée avec les socialistes, ravit la mairie à Albert Michallon. Ce dernier, ultime représentant d’un certain « notabilisme » local, ne savait en effet plus répondre aux attentes d’une ville qui perdait dans les années 1960 le statut de petite ville de province pour prendre le virage de la modernité.
Les politiques menées par Hubert Dubedout participeront à l’édification du « mythe grenoblois » de l’innovation politique, du laboratoire de la décentralisation.
Toute l’énergie mise en place par cette municipalité a en effet été celle d’une réformation profonde des pratiques politiques en cours jusqu’alors, et cela est notamment passé par l’inclusion du citoyen dans la décision politique. Ainsi, en matière d’urbanisme, la municipalité a souhaité intégrer les habitants dans le projet de rénovation du bâti vieillissant du centre-ville, au travers des unions de quartier mais aussi de groupes de travail où le maire n’intervenait qu’en simple départiteur. Ces groupes de quartier étaient composés de six à huit personnes avec un architecte et un technicien.
L’objectif était donc de mener l’opération de son élaboration à sa réalisation en maintenant un lien direct avec les associations et les habitants. Ce travail de conception collective mêlant techniciens et citoyens a été le fer de lance des politiques mises en place par cette municipalité. Pour ce projet urbain unique en son genre, Hubert Dubedout va instaurer « l’équipe Villeneuve » qui a aussi permis l’émergence d’un ensemble urbanistique unique en France – la Villeneuve – où, dans l’effluve libertaire des années 60, il semblait possible de « changer la ville pour changer la vie ».
L’importance de l’échelon du quartier
Hubert Dubedout a donc savamment utilisé les structures existantes pour mettre en place sa politique. En effet, les unions de quartier relèvent d’une tradition grenobloise. La première à se constituer historiquement est ainsi celle de L’Île-Verte en 1926, suivie, un an après, de celle des Eaux-Claires. Elles sont régies par le statut de la loi de 1901 sur les associations. Leur but est d’organiser des réunions afin d’élaborer des propositions qui pourront ensuite être transmises aux élus.
Les unions de quartiers avaient déjà été utilisées par les municipalités précédentes mais leur pouvoir d’action restait assez marginal. Hubert Dubedout a attaché beaucoup d’importance à l’entité que représentent les quartiers. Cet élu avait compris qu’une grande partie des politiques se menait à une échelle plus circonscrite que celle de la ville. En effet, le maire avait compris que l’action réelle de la commune nécessitait un niveau encore plus proche de la population. C’est pour cela qu’Hubert Dubedout a effectué des programmes pour chaque quartier de la ville. Chacun étant d’une composition sociale différente, ils nécessitaient une politique particulière.
Hubert Dubedout voulait même aller plus loin avec ces structures, en observant ce qui se passait à Bologne en Italie. Son objectif : créer de véritables comités de quartiers disposant de compétences propres leur permettant une meilleure effectivité de la démocratie au niveau local, dans le sens où la population ne pouvait être que mieux représentée. Cependant, cette ambition n’a jamais été réalisée en raison d’un cadre législatif encore totalement absent en la matière. Ces difficultés juridiques ont obligé l’équipe d’Hubert Dubedout à passer par le compromis, parfois par le rapport de forces pour mettre en place une politique locale en l’absence de décentralisation.
Une réalité contrastée
La réalité a donc été celle de tenter d’installer une véritable démocratie directe et participative au niveau local de la part d’Hubert Dubedout. Les habitants, au travers des associations, ont réellement été acteurs de la vie politique tout au long des mandats (notamment lors des réunions publiques avec le politique) et plus seulement lors des rendez-vous électoraux tous les six ans. Cependant, il s’est révélé au fil des mandats de cette municipalité que la complexification de l’appareil administratif municipal et, dans une certaine mesure, la professionnalisation du politique ont conduit à l’effritement de cet élan participatif, les habitants étant refroidis pour participer activement à la vie locale.
Ainsi, les « innovations » portées par Eric Piolle et sa municipalité en sont-elles vraiment ? Les jalons n’avaient-ils pas déjà été posés cinquante ans auparavant par, là encore, une gauche alternative ? Cette passion démocratique, n’habite-t-elle pas finalement les Grenoblois en leur cœur ? L’enjeu de cette municipalité à la lueur de l’Histoire sera de savoir réveiller les foules et leurs passions participatives.
L’année en cours nous apportera très certainement son lot de réponses sur la question. Mais une chose est certaine, le « mythe de Grenoble » connaît un sursaut à suivre très sérieusement.
Simon Bernard