FOCUS – Vous les avez peut-être croisés ou entendus : des cris épars et parfois une clameur sinistre s’élevant par-dessus les toits. Ils étaient là, en nombre, à la fois horde et troupeau, courageusement – mais brièvement – contenus par quelques survivants motivés. De quoi s’agissait-il ? Du « truc de zombie », pour citer une passante, et plus précisément de la Zombie Walk, la Marche des zombies de Grenoble.
« C’est pour le fun, comme un carnaval. On fait une Zombie Walk comme d’autres feraient un défilé pour le steampunk [rétrofuturisme, ndlr] ou la SF [science fiction, ndlr]. Aucune manifestation politique derrière : on s’amuse juste ! », nous dit Vava, organisatrice de la Marche des zombies.
Mais pourquoi le zombie plutôt que les poneys ou les Bisounours ? « C’est avant tout quelque chose de populaire et qui réunit. C’est l’occasion de défiler tous ensemble, de se décomplexer vis-à-vis du maquillage… Bref, c’est vraiment pour s’amuser sans qu’il n’y ait aucune culture du morbide derrière. »
S’amuser, c’est bien le maître mot, celui qui revient naturellement dans la bouche de toutes les personnes que nous croisons ce samedi. Le matin d’abord, à l’Atelier du 8, où les plus motivés s’étaient inscrits pour bénéficier d’une séance de « relooking » zombie réalisé par les maquilleuses professionnelles de Plast’o’Morphoses. L’après-midi, ensuite, place Victor Hugo, où morts-vivants comme survivants étaient invités à se retrouver avant que la marche ne commence.
Avis aux amat(u)eurs
Si certains participants se revendiquent clairement fanatiques du mythe du mort-vivant, d’autres sont avant tout là pour le déguisement… et le défouloir. Quand Jordan explique sans ambages qu’il a « une âme de zombie », Noémie l’étudiante en Prépa précise qu’elle est juste venue « s’amuser avec ses potes », après une longue année universitaire.
Ses potes, c’est-à-dire quatre étudiantes toutes plus jolies – et au final plus affreuses – les unes que les autres, qui s’amusent d’avance du regard des gens dans la rue. La Zombie Walk sera-t-elle le remède ultime contre le harcèlement de rue ?
Réalisation Véronique Magnin.
Tous d’accord pour s’amuser, mais quand il s’agit de savoir pourquoi les morts reviennent à la vie dans les rues de Grenoble, les théories des marcheurs et des marcheuses sont diverses. Virus fabriqué par l’homme, maladie transmise par les pigeons, apocalypse divine, monstres revenus à la vie à la faveur des crues de l’Isère, et même… François Hollande. « S’il se représente en 2017, les zombies vont arriver, c’est sûr ! », prédit un jeune homme. Celle-ci, même « Valeurs actuelles » n’aurait pas osé la faire.
Un mythe contemporain
Mais quelle est au fond la dimension métaphorique et politique du zombie ? Voilà presque cinquante ans que celui-ci peuple l’imaginaire collectif et apparaît régulièrement dans le cinéma, la littérature, la bande dessinée ou les jeux vidéos. Mais c’est bel et bien dans les années 2000 que le mort-vivant anthropophage a pris place dans les cœurs du grand public, à travers le succès d’un Shaun of the Dead ou du comic américain The Walking Dead, dont l’adaptation en série est l’un des plus grands succès de la télévision américaine.
Il est pourtant né presque par accident. En 1968, George A. Romero réalise avec un budget plus que limité La Nuit des morts vivants, dans lequel apparaissent pour la première fois ces cadavres ambulants mangeurs de chair humaine qui ne sont d’ailleurs, à aucun moment, désignés sous le vocable de « zombies ».
C’est leur allure désincarnée et leur personnalité pour le moins effacée qui amènera le public à les désigner par ce nom emprunté à la culture vaudou. Il faudra cependant attendre 1979 et L’Enfer des zombies de Lucio Fulci pour qu’un scénariste ambitieux tente d’imaginer un lien effectif entre le zombie « romerien » et le zombie haïtien. Avec plus ou moins de bonheur, d’ailleurs.
Politic fiction
Avatar contemporain du vampire – n’oublions pas que Dracula est lui aussi un mort-vivant – le zombie tire sa force de son nombre. Seul, sa lenteur et sa stupidité font de lui une menace modérée. En groupe, en horde ou en masse, il devient le pire prédateur que l’humanité ait jamais affronté, faisant sombrer le monde dans un chaos où seuls les plus forts, hélas rarement les plus intelligents, survivent.
Cette notion du nombre conduit évidemment à de nombreuses théories sur le sens même de ce mythe moderne. Et cela d’autant plus que Romero ne cache jamais dans ses films ses sympathies gauchisantes, sinon anarchistes, moquant et dénonçant la société de consommation (Dawn of the Dead), l’emprise du lobby militaire (Day of the Dead), l’exploitation capitaliste (Land of the Dead), la dictature de l’image (Diary of the Dead) ou l’esprit de clocher (Survival of the Dead).
Le zombie symbolise-t-il les classes populaires opprimées par une caste élitiste, qui le craint d’autant plus qu’il lui doit son pouvoir ? Ou est-il au 11 septembre ce que le Martien était à la guerre froide, autrement dit la métaphore d’un Occident paranoïaque se sentant menacé par une horde de barbares plus ou moins terroristes ? C’est ce que semble penser Max Brooks lorsqu’il écrit son célèbre, et inclassable, Guide de survie en territoire zombie.
Sirènes en putréfaction sous escorte policière
Pour cette quatrième édition grenobloise de la Zombie Walk aura été retenu le thème des « Sept mers ». L’occasion d’observer parmi la foule un certain nombre de pirates cadavériques, quelques sirènes en putréfaction et de bien étranges méduses humaines. Mais les zombies classiques n’auront pas été oubliés pour autant. Peaux pâles sinon vertes, plaies ouvertes sanguinolentes, moignons disgracieux et morceaux épars de corps humains étaient de sortie. Ainsi, bien sûr, que la traditionnelle mariée.
Sous les yeux amusés ou circonspects des passants, le cortège de zombies a su donner de la voix et n’a pas manqué de se faire remarquer. Les participants étaient pourtant bien moins nombreux qu’escomptés, si l’on en juge par la seule page Facebook de l’événement, rejointe initialement par plus de six cents internautes.
L’attentat de Saint-Quentin Fallavier n’y est pas pour rien, nous explique un organisateur. Mais en plein plan Vigipirate renforcé, la marche aura tout de même eu lieu, dans la même atmosphère festive et bon enfant que les années précédentes, solidement encadrée par une équipe consciencieuse et bénéficiant, comme chaque année, de l’escorte de la police municipale. Car après tout, face à la barbarie, mieux vaut encore jouer au zombie que faire le mort.
Florent Mathieu