BLOG ÉCONOMIE – L’échec des négociations entre la Grèce et ses créanciers est un révélateur de l’architecture défaillante de l’euro et d’un recul de la démocratie.
Les ressorts de la monnaie sont avant tout politiques. C’est le cas de l’euro. N’oublions pas que la décision de sa création doit beaucoup à la chute du mur de Berlin. Certes, le projet de monnaie unique faisait partie des nombreux chantiers européens. Mais tout s’est accéléré un jour de janvier 1990, lors d’une rencontre entre Helmut Kohl et François Mitterrand, dans la résidence de ce dernier, à Latche.
François Mitterrand et Helmut Kohl soufflant ensemble dans le même cor : « Wenigstens zwei, die ins selbe Horn blasen » – Das deutsch-französische Zusammenwachsen.- Osnabrück 2009, S. 24
Le président français, exprimant ses craintes à propos de la réunification allemande, obtint l’engagement du chancelier allemand de créer une monnaie européenne. Pas question, toutefois, pour l’Allemagne, de partager la monnaie avec des pays latins, peu enclins à l’orthodoxie monétaire et budgétaire, à n’importe quelle condition. Le deal franco-allemand déboucha alors sur la monnaie que nous connaissons aujourd’hui. L’euro, pilier de la construction européenne, était lancé, sur le modèle du mark allemand.
Politique et monnaie européenne toujours indissociables
Vingt-cinq ans plus tard, politique et monnaie européenne restent indissociables. Les dirigeants des pays de la zone euro et la Troïka (FMI, BCE, Commission européenne) ont feint de l’ignorer, la semaine dernière, en cherchant à imposer au gouvernement grec un nouveau volet de réformes « purement économiques », mais incompatibles avec le programme sur lequel Syriza avait remporté les élections, en janvier dernier. Le Premier ministre grec a alors répliqué en réintroduisant le politique : expliquant qu’il n’avait pas le mandat pour signer un tel accord, il a décidé de soumettre le « plan d’aide » à son pays au référendum.
L’Eurogroupe ne l’entend pas de cette oreille : demander l’avis du peuple grec, vous n’y pensez pas ! Les discussions reprennent alors, mais sans le représentant grec. L’assistance financière est suspendue. La Grèce, berceau de l’Europe et de la démocratie, est sommée de renoncer à l’utilisation du plus basique des instruments démocratiques : le référendum !
Ce n’est pas la première fois que référendum et Europe ne font pas bon ménage. En 2011, un autre Premier ministre grec, Georges Papandreou, avait dû renoncer à un référendum sur un accord avec Bruxelles, avant de laisser sa place… Les Français, quant à eux, se souviennent des prolongements du non au référendum de 2005 sur le traité de Lisbonne : les parlementaires avaient voté en congrès la modification de la constitution préalable à sa ratification, imposant alors au peuple français le traité qu’il avait rejeté.
Une crise de l’euro prévisible
Avec le grexit, le caractère irrévocable de la monnaie unique vole en éclat. Quels que puissent être les griefs retenus contre la gouvernance grecque, il serait simpliste de lui imputer l’entière responsabilité de la crise de l’euro à venir. Car celle-ci était prévisible, pour deux raisons.
Tout d’abord, l’euro est une monnaie incomplète qui ne peut fonctionner efficacement sans fédéralisme budgétaire. Lorsqu’on partage la même monnaie, des transferts budgétaires sont nécessaires entre les différents territoires pour compenser les déséquilibres macroéconomiques. Monnaie unique et union budgétaire vont de paire. Ceci implique un minimum d’union politique et de solidarité financière. On en est bien loin ! L’euro, monnaie complète, n’est pas pour demain.
Ensuite, la solution de l’austérité, choisie en Europe pour dépasser la crise financière globale, a eu des effets catastrophiques sur l’emploi, la croissance, le pouvoir d’achat. Pire, les dettes publiques ont augmenté alors que l’austérité est censée les réduire ! L’obstination à maintenir ces politiques économiques inefficaces a viré à la tyrannie. D’où la rancœur accumulée et la montée des extrêmes sur le plan politique.
L’euro est le pilier de la construction politique de l’Europe. Sa pérennité peut-elle être assurée au prix d’un renoncement aux principes les plus élémentaires de la démocratie ?
Jean-François Ponsot