DÉCRYPTAGE – Une semaine jour pour jour après les deux fusillades survenues place Saint-Bruno, deux trentenaires ont été grièvement blessés à l’arme blanche au même endroit, ce jeudi 25 juin vers 19 h 30. Une violente agression qui ne fait que raviver le débat sur la sécurité publique à Grenoble. Signe d’une crispation croissante, les élus ont essuyé des volées de bois vert de la part d’habitants exaspérés, lors d’un rassemblement à l’initiative de la Ville, ce dimanche 21 juin.
« La sécurité publique relève de l’État ! Je ne suis pas shérif, Élisa n’est pas shérif et nous ne sommes pas juges ! » C’est en ces termes que le maire de Grenoble, Éric Piolle, a défendu sa première adjointe en répondant à un habitant fort remonté lors du rassemblement organisé place Saint-Bruno ce dimanche 21 juin.
Au grand dam des élus, la mobilisation qui se voulait « pacifique et citoyenne pour un espace public apaisé » s’est transformée en confrontation.
À travers leur colère et leurs questions pressantes, les habitants du quartier Saint-Bruno ont ainsi exprimé leur malaise devant ce qui ressemble de plus en plus, selon eux, à une banalisation des actes de violence dans leur quartier.
Retour en images sur ce rassemblement.
Réalisation Joël Kermabon.
« Reconquérir l’espace public »
Pour autant, tout cela n’a pas laissé la municipalité de marbre. Éric Piolle y est d’ailleurs revenu dans son discours d’ouverture du conseil municipal du lundi 22 juin.
« Chaque fois qu’un petit groupe décrète que l’espace public est son territoire privilégié alors, toutes les dérives sont possibles. En matière de sécurité publique, un constat est largement partagé par-delà les courants politiques : les coups de menton et les slogans sécuritaires ne marchent pas ! »
Et l’élu de définir les priorités de l’équipe municipale sur ce thème, sensible s’il en est : la prévention, la répression et le traitement des causes. Comment les mettre en œuvre ?
« En travaillant main dans la main avec les services de l’État pour reconquérir avec fermeté l’espace public mais aussi en allant plus loin, en accompagnant les habitants qui sont prêts à réinvestir les espaces délaissés. »
Pour Éric Piolle, il faut regarder les choses en face. « Quand les effectifs de la police nationale ont baissé d’une centaine d’agents, quand l’austérité continue de détricoter ce grand service public, malgré les coups de menton à répétition, c’est bien le travail de terrain, de réseau et la présence dans les quartiers qui s’affaiblissent. Voilà ce que nous avons dit aux habitants de Saint-Bruno. Des paroles d’écoute, de soutien et de mobilisation. »
« Que chacun joue sa partition ! »
Évoquant le bien-être des citoyens, le premier magistrat estime qu’il s’agit là d’un domaine complexe « qui demande que chacun joue sa partition de son mieux ».
Et de répartir les pupitres : « À l’État, au procureur de la République, au préfet de démanteler les réseaux, d’interpeller les fauteurs de trouble et d’assurer le maintien de l’ordre. A nous, la Ville et l’ensemble des collectivités locales, main dans la main avec les habitants, d’être vigilants et de s’assurer que des projets positifs émergent dans chaque quartier ».
Pour l’élu, certaines des initiatives de la Ruche à projets, issue du budget participatif qui s’est déroulée dernièrement à la halle Clémenceau, sont un bel exemple de réappropriation de l’espace public par les habitants.
Et de conclure : « À nous d’être porte-parole de ces besoins pour que les acteurs qui disposent des leviers d’action puissent y répondre ».
Des appels au rassemblement “exaspérants”
Pour autant, cela sera-t-il suffisant ? Pas si sûr ! En tout cas, pas pour l’opposition de gauche. Jérôme Safar, président du groupe Rassemblement de gauche et de progrès, reproche à la ville de ne plus intervenir au quotidien sur « des problématiques qui relèvent pourtant pleinement des pouvoirs du maire et des élus ».
Et de fustiger « des rassemblements qui exaspèrent les victimes plus qu’ils ne les sécurisent, encore plus lorsqu’ils sont la seule réponse concrète apportée par les élus ». L’opposant pointe également une « défausse systématique sur l’État », laquelle masquerait en réalité deux problèmes : d’une part, le manque d’intérêt réel de la municipalité en place sur ces questions de sécurité ; d’autre part, « l’impasse dans laquelle l’équipe se trouve suite à une approche dogmatique de ces sujets ».
« Une action claire et lisible en matière de sécurité »
Revenant sur la vidéoprotection que beaucoup de citoyens appelleraient de leurs vœux, Jérôme Safar est bien d’accord. Oui, elle comporte des failles, oui elle doit être judicieusement utilisée, non, elle n’empêche pas le passage à l’acte. D’accord aussi sur ses coûts de fonctionnement dispendieux et la nécessité d’équipes de visionnage. Mais le consensus s’arrête là.
« La vidéoprotection fait partie d’un ensemble de moyens à mobiliser pour la sécurisation de l’espace public », affirme-t-il.
Et l’élu de poursuivre : « Elle joue un rôle indispensable aux enquêtes […] et elle évite d’avoir recours au seul témoignage humain et donc de protéger les habitants de toute intimidation ».
In fine, Jérôme Safar exhorte le maire à assumer ses pouvoirs d’officier de police judiciaire ainsi que le rôle de la police municipale.
A savoir « veiller à la tranquillité publique, prévenir et réprimer […] toutes les petites incivilités qui pourrissent la vie d’un quartier […] Assumez votre rôle ! Et si, comme l’a dit Élisa Martin, “la fermeté ne suffit pas”, qu’elle soit au moins la base d’une action claire et lisible en matière de tranquillité et de sécurité ».
Un ratio policiers/habitants inférieur à la moyenne nationale
S’exprimant à son tour sur les événements de la place Saint-Bruno, Matthieu Chamussy, président du groupe Les Républicains – UDI – Société civile n’est guère plus tendre. « Le soir-même où paraissait l’interview de Mme Martin dans le Dauphiné libéré, il y a eu ce drame survenu place Saint-Bruno dans un quartier que nous avons identifié, depuis longtemps, comme un quartier en train de basculer. » Le conseiller municipal s’indigne : « Quand je vois que la seule réponse que donne Mme Martin, c’est un rassemblement citoyen censé rétablir la sécurité, je constate qu’à l’évidence nous n’avons pas les mêmes solutions ».
Et de renchérir : « Moi, je crois à des solutions qui ont fait la preuve de leur efficacité : le doublement des effectifs, l’armement de la police municipale sur la durée du mandat – pour rattraper le retard – et le développement de la vidéosurveillance ».
Justifiant ainsi ses propos, l’élu rappelle au passage que le ratio policiers/habitants est, à Grenoble, inférieur à la moyenne nationale. Vincent Barbier, conseiller municipal du groupe LR/UDI – Société civile, enfonce le clou à propos d’une délibération visant à accorder une subvention à une association de danse gymnique.
« Bien qu’elles soient nécessaires, il ne faut pas résumer la politique de sécurité globale dont Grenoble a besoin aux seules subventions accordées à des associations œuvrant dans le cadre de la prévention de la délinquance. » L’élu manifeste ainsi sa crainte de voir « l’idéologie de la majorité l’emporter sur la recherche de vraies solutions sur les problématiques de sécurité ».
« Grenoble n’est pas une ville de Bisounours »
Mireille d’Ornano, présidente du groupe Front national et députée européenne, réagissant sur la même délibération, remue le couteau dans la plaie. « Je pense que vous n’êtes pas dans la réalité, Grenoble n’est pas une ville de Bisounours, […] Je crois que vous ne vous rendez pas compte qu’il y a des actes de guerre qui se déroulent dans notre ville ! » Et d’asséner : « La sécurité n’est pas votre priorité ! La sécurité des citoyens est de votre ressort, Monsieur le maire. Il faut que vous sachiez une fois pour toutes que les Grenoblois vous regardent sur ce que vous allez faire ».
Pour l’élue, c’est certain, Grenoble est une ville dangereuse et « ce ne sont pas avec des mesurettes [les subventions accordées dans le cadre de la prévention de la délinquance, ndlr] que va être réglé le problème de la délinquance ». Et de conclure : « Je vous demande de faire en sorte que, dans vos budgets, vous preniez de l’argent pour la sécurité des Grenoblois ! ».
Au bout du compte ? Chacun campe sur ses positions et défend sa chapelle. Une chose est sure, ni l’indignation ni les déclarations ne dissuaderont les délinquants. Pour certains habitants, l’idéal d’un quartier apaisé, débarrassé de ses démons semble s’éloigner au fil des jours. Vous avez dit désillusion ?
Joël Kermabon
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Article complété le 26 juin à 13 h 00.