ENTRETIENS – En novembre 2014, la fédération française du bâtiment et des travaux publics (BTP) tirait la sonnette d’alarme et publiait, à l’attention de l’État, une liste de 17 mesures pour soutenir le secteur, touché de plein fouet par la crise économique et la baisse des dotations de l’État aux collectivités territoriales. Pour ce deuxième volet du dossier BTP, Jean Vaylet, président de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Grenoble, et Pierre Streiff, président de la fédération du BTP Isère, reviennent sur ces 17 propositions et leur application.
Jean Vaylet, président de la CCI de Grenoble :
« Ces mesures ne sont qu’une affaire de bon sens. »
Comment résumeriez-vous les revendications de ces 17 mesures ?
Pour moi, il y a trois types de mesures et donc de revendications. Ces trois critères recouvrent l’ensemble des 17 mesures proposées. Le premier concerne le fait de passer de nouvelles commandes. Le second cherche à faire en sorte qu’elles soient facilitées et réalisables. Enfin, les dernières revendications traitent de la réalisation dans de bonnes conditions des chantiers. Cela concerne les couvertures sociales et la qualité du travail réalisé, par exemple. Autant de mesures qui n’ont rien de révolutionnaire. C’est avant tout un cri d’alarme poussé par le secteur du BTP à l’État.
Il s’agit alors d’un simple « coup de gueule » ?
Ce sont avant tout des propositions intelligentes. Certaines sont liées à l’accessibilité du marché, d’autres à la rénovation. Le BTP s’adresse directement aux administrations et pointe du doigt de grands travaux à réaliser. Il leur dit : « Vos gymnases tombent en décrépitude. Vous avez des consommations d’énergie anormales dans certains bâtiments. Vous allez devoir faire ces chantiers à un moment ou un autre, alors faites-les maintenant parce que notre secteur en a besoin ».
En Isère, plusieurs collèges sont dans un état de vétusté important, sans parler de toutes les structures liées à l’énergie et à la gestion des déchets qu’il faut rénover. L’objectif est d’indiquer au décisionnaire – l’administration – que de nombreux chantiers peuvent être ouverts dans le département. Ces mesures ne sont qu’une affaire de bon sens.
Concrètement, quels en sont les principaux objectifs ?
Beaucoup de ces mesures visent à faciliter le business et mettent en exergue les difficultés auxquelles le secteur est confronté. Par exemple, lors de l’ouverture d’un nouveau chantier, les entreprises doivent acheminer leurs équipements à moindre coût. Il faut donc améliorer les axes desservant le territoire isérois et, notamment, le réseau ferroviaire, très décrié.
Il y a aussi dans ces mesures, la question du respect des délais de paiement. L’extrême complexité de notre administration peut être très pénalisante. Tout processus administratif et chantier public est long et complexe. Et cette complexité peut entraîner les administrations à ne pas payer les entreprises à temps et à s’acquitter d’indemnités de retard. Cela pénalise les entreprises qui souhaitent avant tout être rémunérées dans les délais impartis initialement.
Y a‑t-il d’autres problèmes auxquels est confronté le BTP et que l’on retrouve dans les 17 mesures ?
La question d’une main-d’œuvre qualifiée et formée aux besoins des entreprises du BTP est plusieurs fois soulevée. Dans le secteur du bâtiment, il y a de très forts besoins d’apprentissage. C’est quelque chose que nous devons absolument développer, dans notre système éducatif en particulier.
Toujours dans le domaine de la formation, il faut également faire en sorte qu’il n’y ait plus de concurrence déloyale, notamment avec l’arrivée d’une main-d’œuvre étrangère venue d’Europe de l’Est. Il faut savoir que la sous-traitance à une entreprise venue de ces pays est légale mais que ces sociétés n’ont pas les mêmes contraintes par rapport à nos entreprises. Les ouvriers travaillent plus et ne bénéficient pas de la couverture sociale française, entre autres. La concurrence s’en trouve donc déséquilibrée.
Quelles suites a eues ce mouvement ? La situation est-elle en bonne voie ?
Lors de l’assemblée générale du Bâtiment, le jeudi 2 avril, au World trade center de Grenoble, Jean-Pierre Barbier, le président du conseil général, a annoncé un plan de 100 millions d’euros pour le secteur du BTP. C’est un de ses engagements de campagne qui, personnellement, me convient bien. Mais il n’est pas seul à vouloir améliorer la situation. Christophe Ferrari, président de la Métro, considère de son côté qu’il faut lancer de nombreux nouveaux projets. Il a d’ailleurs un budget à la hauteur de ses ambitions. Enfin, Eric Piolle, maire de Grenoble, a indiqué qu’il n’arrêterait aucun chantier en cours. Pour lui, il n’y a cependant pas de retard dans le programme fixé lors de sa campagne, ce qui n’est pas le point de vue du secteur du bâtiment.
Il ne faut pas oublier que, derrière ces revendications et les réponses que leur apportent les administrations, il y a un affichage politique, un débat public mais aussi et surtout une réalité économique difficile qu’il faut prendre en considération.
Propos recueillis par Raphaëlle André
TROIS QUESTIONS À…
Pierre Streiff, président de la fédération du BTP IsèrePourquoi avoir publié ces 17 mesures ?
Les 17 mesures ont été publiées par la fédération nationale du BTP afin d’alerter le gouvernement sur la situation difficile dans laquelle le secteur reste plongé. Il ne faut pas oublier que les premiers touchés sont les compagnons professionnels [titulaires d’un brevet ou d’un bac professionnel, ndlr]. Les entreprises gèlent leurs salaires, parfois les licencient. Or ces compagnons font fonctionner l’économie locale autant que leurs patrons et dirigeants. Nous avons voulu, par une concertation de l’ensemble des fédérations départementales et régionales, donner des pistes à nos politiques sur les principales mesures à mettre en œuvre.
Comment se situe le département isérois par rapport au reste de la France dans le secteur du BTP ?
Quatre régions tirent leur épingle du jeu : Rhône-Alpes, Paca, l’Île-de-France et le Sud-Ouest. D’un point de vue national donc, nous nous en sortons bien. Toutefois, au sein de la région Rhône-Alpes, l’Isère fait figure de dernier de la classe, contrairement à la Haute-Savoie, par exemple, qui continue à ouvrir de nombreux chantiers. Les stations de ski se développent et de nombreux logements s’y construisent encore.
Avez-vous observé un changement en Isère depuis la publication de ces 17 mesures ?
Aucun ! D’une part parce que nous sommes dans une année d’élections départementales qui a gelé tous les lancements de projets. D’autre part, le contexte économique difficile et la forte baisse des dotations de l’État aux collectivités territoriales pénalisent grandement le secteur du BTP. Cette situation augmente la concurrence entre les entreprises, désormais trop nombreuses pour une offre de chantiers limitée.
R.A
LES 17 MESURES EN BREF
Consolider les entreprises :
– soutenir les trésoreries en élargissant le dispositif avance + de la BPI ;
– augmenter le recours à l’escompte et au Dailly ;
– renforcer la relation avec les assureurs crédits ;
– ouvrir une Commission départementale de financement de l’économie (CDFE) spécifique au BTP dans tous les départements ;
– écarter les offres anormalement basses et lutter contre la concurrence déloyale ;
– renforcer et cibler les contrôles le week-end, avec le renfort des douanes, si nécessaires ;
– consolider et maintenir les budgets d’investissement des collectivités territoriales ;
– consommer les budgets effectivement votés ;
– faire en sorte que les collectivités recourent à l’emprunt, comme c’est le cas dans la région
Accélérer :
– réactiver le dispositif de remboursement anticipé de la TVA aux collectivités qui investissent afin qu’elles puissent continuer à mener une politique d’aménagement dynamique ;
– accélérer les délais d’instruction des permis de construire et débloquer les projets qui sont prêts ;
– accélérer la mobilisation du foncier public ;
– signer, sans délai, le contrat de projet État – région 2014 / 2020.
Démultiplier :
– redéployer les subventions non consommées, là où il y a des vrais besoins et, notamment, la dotation d’équipements des territoires ruraux ;
– soutenir les copropriétés qui offrent un potentiel d’amélioration énergétique important (53 % du parc total estimé en Rhône-Alpes) ;
– abonder prioritairement les investissements productifs avec les fonds européens ;
– concourir au développement de l’économie régionale, en requalifiant, par exemple, les friches industrielles.
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