REPORTAGE – Au cœur du quartier Notre-Dame, sa devanture donne le ton. Le café restaurant A l’Affût se veut « social et interactif ». Et Caroline Heysch, qui a porté le projet, ne s’en tient pas qu’aux mots. Sur le terrain, elle s’attelle depuis plus d’un an à développer un lieu ouvert au sens large, où entraide et solidarité sont les maîtres-mots.
Il n’est plus très loin de midi quand Caroline Heysch arrive du marché alors que Viérise, salariée à temps partiel, s’affaire dans la petite cuisine de l’Affût. Le café restaurant est encore vide mais les premiers clients ne vont pas tarder. C’est donc dans un calme légèrement électrique que Caroline offre un peu de son temps pour parler d’elle, de ses motivations et des difficultés rencontrées face à une telle entreprise.
Le bistrot, clé de voûte du lien social
« J’ai le goût des transmissions sociales et j’aime l’histoire des gens. » Après une carrière dans les sciences humaines, c’est donc vers l’économie solidaire et sociale que Caroline se tourne. Et si elle s’oriente vers la piste des lieux d’accueil, c’est qu’elle a déjà son idée en tête. « Il faut toucher les gens par du concret. Et rien de mieux qu’un petit bistrot pour cela ! ».
Une formation Arobase en poche, elle rachète un petit restaurant grec de la rue Très-Cloître, en juillet 2013, et ouvre A l’Affût en septembre de la même année. « C’est un quartier très porteur pour les échanges sociaux, avec une population mélangée, exactement ce que je souhaitais ». Pour concrétiser son projet, elle s’entoure d’une équipe de jeunes gens intéressés par l’éducation populaire.
« Il fallait monter quelque chose ici qui soit en phase avec notre souci d’ouverture sociale et de lutte contre les discriminations. C’est notre priorité. Décloisonner les générations et les groupes sociaux pour construire une société plus juste et plus écolo. C’est une ouverture au sens large » tient à préciser Caroline.
Le projet prend alors très vite une forme hybride, où deux structures se complètent au sein du même lieu. Ainsi, outre le restaurant A l’affût qui est une société par actions simplifiées (SAS), l’association le Raffut gère en parallèle un volet animation.
Un équilibre fragile
Après un an et demi de fonctionnement, Caroline Heysch et son équipe sont satisfaits de la fréquentation de leur bistrot solidaire, avec une moyenne de 15 à 20 couverts chaque midi pour une capacité de 35 et, surtout, une mixité sociale au rendez-vous. Il faut dire que les prix restent très accessibles : entrée ou soupe pour 3,5 euros, demi-assiette ou assiette de tapas pour 4 euros, plat du chef pour 8 ou 9 euros…
Deux à trois salariés à temps partiel travaillent en cuisine. « Leurs temps de travail se chevauchent et ça nous permet d’être ouverts au maximum. » La gérance reste néanmoins très compliquée et la pérennité du restaurant fragile. « Moi, en tant que gérante, je ne me paie pas » précise Caroline. « On entend parler d’allègements de charges mais ça ne se produit jamais. L’économie française a un peu de mal avec les petites entreprises. Elle pousse les gens à la case chômage et ne favorise pas du tout les petits projets comme le nôtre. Il faut oser le dire… »
Même si quelques subventions soutiennent le versant animations, toutes ne sont pas gratuites. « Sinon, on coulerait » déclare tout bonnement Caroline. Une réalité qui rattrape les meilleures intentions. « Tout le monde ne comprend pas qu’il faut consommer pour faire vivre un café. Aujourd’hui, nous sommes dans des échanges les plus gratuits possibles, mais on ne peut pas s’en sortir si tout est toujours gratuit. »
Une cagnotte solidaire
Côté bar, l’établissement a adopté le concept d’une cagnotte solidaire qui fait de plus en plus d’émules dans les petits commerces de proximité. « Quand vous payez votre consommation, vous avez la possibilité de mettre l’équivalent dans un pot qui permettra d’offrir un café à quelqu’un d’autre » explique Caroline. « Ici, nous le faisons aussi pour une soupe, un repas, la moitié d’un repas ou un dessert. Ce secteur vient d’être classé zone prioritaire, au même titre que la Villeneuve. Les gens qui profitent de la cagnotte sont parfois en situation critique. »
La demande s’est installée progressivement au cours de la première année, par le bouche à oreille et un travail en réseau avec des associations caritatives. En particulier avec le restaurant solidaire Nicodème (cf. encadré), situé à deux pas. « On ne peut pas stigmatiser les gens, ni afficher « gratuit » sur la vitrine car c’est ambigu » concède Caroline.
« Quand une personne vient de la part de quelqu’un, nous savons tout de suite qu’il s’agit d’une consommation solidaire. C’est plus facile. Quelquefois, ça peut être un SDF qui demande si nous avons des restes. Nous lui offrons alors un sandwich ou une soupe. C’est à nous de les mettre à l’aise. » Parfois, ce sont des étudiants qui font appel à cette aide ponctuelle, précise Caroline.
A l’occasion des fêtes, la cagnotte est symboliquement vidée. Cette année, elle contribue à l’organisation d’un pot solidaire de Noël, sur la place d’à côté. « La cagnotte n’est pas une caisse noire. Elle doit rester vivante. Ce soir, elle va aussi profiter à ceux qui ne poussent pas la porte d’un café » insiste la gérante, qui accueille déjà les premiers clients de la pause déjeuner. Rendez-vous est donc pris à la tombée de la nuit pour le pot solidaire.
“Intégrer au maximum les gens du quartier”
17 h 30 : bien que l’hiver soit doux, le petit brasero est le bienvenu pour réchauffer les mains en cette fin d’après-midi. Salariés de L’affût et bénévoles ont disposé sur les tables, à côté de jeux en bois, des boissons chaudes, du panettone, des mandarines… Et, au pied de l’arbre de la petite place, des décorations de Noël mêlées aux branches de sapin et de houx, mises à la disposition des visiteurs. Mais déjà les plateaux de jeux en bois attirent quelques passants.
« Nous proposons aussi des soirées concerts, des cinés débats, des soirées de discussion autour d’un thème, ou bien des soirées jeux et même des slams avec un poète du quartier », précise Basile Diaz, le jeune président de l’association le Raffut, qui compte une dizaine de bénévoles actifs. « Nous essayons d’intégrer au maximum les gens du quartier. »
Comme à l’accoutumé, l’association a travaillé en réseau. Le Centre de loisir enfance et famille de Grenoble (Clef) a prêté les jeux. L’association Le mieux vivre ensemble a apporté le goûter. Sa présidente, Catherine Ostin, est très attachée à renforcer la cohésion sociale au travers d’actions de solidarité et de proximité. Comme les cafés et baguettes solidaires, qui fleurissent depuis un an à Grenoble, selon le principe de la cagnotte solidaire. « Une dizaine de cafés et quatre boulangeries le proposent, dont celle du Fournil Notre-Dame » se réjouit-elle.
Parfois, l’offre et la demande se rencontrent. D’autres fois, la demande ne suit pas. C’est pourquoi les cagnottes ont servi à proposer le pot solidaire du moment où, peu à peu, des personnes se rassemblent autour d’un vin chaud, d’un thé ou d’un chocolat.
Dans cette chaleureuse ambiance, Basile parle d’un projet pour 2015 : « nous aimerions optimiser l’énorme mur gris, sans fenêtre et pas très joli d’en face ». En effet, de l’autre côté de la rue, en face du restaurant, se dresse sur quelques dizaines de mètres le mur d’enceinte du musée de l’Ancien Évêché. « Nous souhaiterions en faire un espace d’expression pour les gens du quartier, soit en collant des photos, soit en écrivant des messages dessus ou en y faisant des projections. Nous sommes en train de construire le projet et de demander les autorisations. » Ce ne sont donc pas les idées qui manquent…
Delphine Chappaz
Fermé pendant les vacances de Noël, L’Affût rouvre ses portes le 5 janvier prochain.
Programmation de janvier 2015
7 janvier : enregistrement public de l’émission radio Pris d’Asso avec Cap Berriat, de 18 h 30 à 20 heures. Le thème : « l’informatique en liberté », l’open source a révolutionné la propriété industrielle.
14 janvier : Amal se produira pour un concert de musique arabo-andalouse à 20 heures.
Le Nicodème, café associatif
Commander un plat du jour à 2 euros et un dessert à 0,5 euros « fait maison » c’est possible au café associatif le Nicodème.
Situé non loin de l’Affût, sur la place Claveyson, l’établissement est plus ancien, puisque l’association qui lui a peu à peu donné sa forme actuelle existe depuis 1986. Il s’agit du Centre chrétien de discussion et d’échange. Sa vocation est éminemment sociale dans la mesure où il fait partie du « Collectif des associations luttant contre l’exclusion ».
Son fonctionnement est aussi un peu différent de l’Affût puisque le café associatif n’embauche aucun salarié. Tous les postes sont pourvus uniquement par des bénévoles, qui se relaient à la demi-journée. Ils assurent la préparation des repas, le service, l’animation des activités de l’après-midi, le ravitaillement, ainsi que le bricolage nécessaire.
Le matin une brigade de cinq ou six bénévoles préparent les repas pour la cinquantaine de clients attendus chaque midi.
L’après-midi, d’autres bénévoles proposent des consommations ainsi que des activités, les mardis et jeudis une fois par mois : projections de films, après-midi musicaux, conférences, lotos, ateliers peinture ou à thèmes divers etc.Le Nicodème est ouvert le lundi de 12 à 14 heures et les autres jours de 12 à 18 heures, sauf les samedis et dimanches.