FOCUS – Elles voulaient être entendues des politiques. Elles voulaient que l’affichage publicitaire soit strictement régulé. Le maire de Grenoble a répondu au-delà des attentes des associations antipub et de protection de l’environnement en renonçant à la redevance du numéro un mondial de l’affichage JCDecaux. État des lieux.
Coup de tonnerre dans les mouvements antipublicitaires et de protection de l’environnement. Un vent se lève. A partir de mai 2015, l’espace public géré par la ville de Grenoble sera complètement libéré de l’emprise publicitaire. De quoi changer le paysage urbain et peut-être, aussi, le regard porté sur la publicité.
Engagements tenus à Grenoble
« C’est clair qu’à Grenoble, en ne renouvelant pas le contrat avec JCDecaux, cela réduit le nombre de publicités pour permettre plus d’expression citoyenne » se félicite Khaled Gaiji, porte-parole de l’association Résistance à l’agression publicitaire (Rap). « Éric Piolle a tenu ses engagements de campagne et ceux qu’il a pris auprès de Rap en répondant au questionnaire Opération Ville propre, envoyé aux candidates et candidats aux municipales de 2014 avant qu’ils ne soient élus. »
Une victoire également saluée par l’association de protection de l’environnement Paysages de France, dont le siège national est à Grenoble. Une satisfaction d’autant plus grande pour ses adhérents, que la non-reconduction du contrat avec JCDecaux fut l’une des propositions phares de l’association exprimée à la nouvelle équipe municipale avant l’élection. Donc, parole tenue pour son président, qui rappelle que le maire de Grenoble avait aussi appelé à soutenir son opération Pas de pub, des arbres, en février dernier, alors que la campagne des municipales battait son plein. Cerise sur la gâteau, le maire prévoit que 30 à 50 arbres seront plantés en lieu et place d’anciens espaces publicitaires.
Une mesure révolutionnaire
« Interdire toute publicité dans l’espace public, ce devrait-être normalement la règle, estime Pierre-Jean Delahousse. Il n’y a aucune raison que ce domaine, qui appartient à tous les citoyens, se retrouve être un support de publicité qui ne profite qu’à certains, tout en polluant le paysage urbain. »
Pour Khaled Gaiji, la décision du maire est plus qu’une bonne nouvelle. « C’est une mesure révolutionnaire parce que la ville n’a pas privilégié l’aspect monétaire avant tout, le secteur économique avant la liberté de réception ». Et d’ajouter : « C’est une première pour une grande ville. Lille, Paris et Lyon ne prennent pas ce genre de décision. »
D’après lui, c’est aussi une mesure démocratique. « Il n’est en effet pas normal que des grandes entreprises aient le monopole d’expression dans l’espace public au détriment des autres. Réduire le nombre de pub va amener plus d’égalité dans le secteur des entreprises. »
Entre 500 et 3 000 messages publicitaires par jour
« On reçoit entre 500 et 3000 messages publicitaires par jour, tous formats confondus ! » déplore Khaled Gaiji, pour qui le totalitarisme de la publicité est partout : à la télé, dans les journaux, sur Internet, dans l’espace public… D’où son combat pour libérer le citoyen : « il faut défendre la liberté de réception, tant mise à mal dans l’espace public, où la publicité est imposée aux citoyens. »
Pour l’association Rap, la pub n’est pourtant pas un ennemi en soi. « La liberté d’expression avant tout. » Elle dit simplement « non au bombardement publicitaire. Oui à la réduction du nombre de publicités. Oui à la réduction des formats d’affiche à 50 x 70 cm maxi. Et non aux panneaux éclairés, déroulants, animés, énergivores et intrusifs. »
Rap sensibilise la population, mène des actions pédagogiques, informe. Et tout récemment, l’association a supervisé l’organisation du tout premier festival des luttes antipublicitaires Démarquons-nous, qui s’est déroulé du 13 au 16 novembre 2014 à Paris. Un événement qui a connu un franc succès, dont se réjouit Khaled Gaiji.
Une pollution visuelle
L’association Paysages de France qui n’est pas un mouvement antipub, se concentre, quant à elle, sur l’impact visuel et se place sur le terrain juridique. « Les pubs, les gens trouvent ça moche ! Si vous faite évaluer le prix d’une maison avec à côté un panneau, elle sera dévaluée de 20 %. C’est objectif. C’est bien la preuve que la publicité est une nuisance » conclut Pierre-Jean Delahousse.
Et d’ajouter : « Les panneaux publicitaires le long des routes peuvent être aussi une source d’accidents car ils attirent l’attention des automobilistes. »
Paysages de France s’appuie sur le levier juridique pour, a minima, réduire la pub illégale. « Actuellement, la situation est effarante dans les villes françaises. Tous les trottoirs sont envahis par la publicité et en plus, 90 % de ces panneaux sont en infraction. Les maires ne veulent souvent pas faire respecter le règlement auprès des publicitaires et annonceurs. »
Et dans ce domaine, JCDecaux, comme les autres afficheurs, est montré du doigt. Pierre-Jean Delahousse enfonce le clou : « JCDecaux et les annonceurs qui sont complices – Carrefour, Auchan, Leclerc, Système U, le groupe des Mousquetaires etc. – se considèrent en terrain conquis, se placent au-dessus de la réglementation et en toute connaissance de cause, violent la loi ! ».
En 20 ans, l’association a déjà obtenu 66 condamnations de l’État suite aux carences des préfets dans l’application de la réglementation sur l’affichage publicitaire.
Des emplois à la clé ?
« Nous ne pensons pas que le marché va réellement s’écrouler s’il y a moins de pubs » affime Khaled Gaiji. « Sur 3 millions d’entreprises françaises, seulement 550 détiennent 80 % du marché publicitaire et 21 000 ont accès à quasiment 100 % de ce marché. Les conséquences économiques risquent donc d’affecter essentiellement les commerçants les plus riches . »
Et, comme « le plus gros employeur de France est le secteur des PME, la plupart des entreprises devraient au contraire retrouver de la visibilité. Peut-être y aura-t-il donc peu de pertes d’emplois. Peut-être même plus d’opportunités pour les petites et moyennes entreprises et, finalement, une réduction du chômage. »
Pour Pierre-Jean Delahousse, d’ailleurs, la chose est entendue : « Il y a des pays où il n’y a pas du tout de publicité et où l’économie fonctionne très bien, avec un taux de chômage qui est deux fois moins élevé qu’en France. C’est le cas de la Hollande, du Danemark, des Pays-Bas et de la Suède. »
Prudent, Khaled Gaiji précise : « Cela mérite quand même des études sérieuses et neutres. » Quoi qu’il en soit, Grenoble focalise décidément tous les regards et devient champ d’expérience. Et Pierre-Jean Delahousse se prend à espérer que la ville puisse servir d’exemple au niveau national.
Réduction des coûts indirects
« La publicité est problématique parce qu’elle est manipulatrice » affirme Khaled Gaiji. Et de citer quelques-unes de ses méthodes, selon lui : la répétition des messages, les associations d’idées. « Elle est aussi violente au niveau quantitatif et même, parfois, dans le message véhiculé. »
Pour le porte-parole de Rap, la publicité a des conséquences avérées. « Elle génère des coûts indirects en terme de santé publique : problème d’obésité associé à la surconsommation ; modèles de corps retouchés dans les pubs qui véhiculent des modèles de beauté pouvant conduire à l’anorexie… Trop de pub engendre une surcharge cognitive qui peut provoquer des fatigues et dépressions. »
Autre problème posé par la surconsommation encouragée par la publicité, selon le militant : le traitement des déchets, dont le coût est supporté par le contribuable. « Sans compter d’autres aspects encore. » Ainsi, la baisse du nombre de publicités devrait, à l’en croire, avoir des effets bénéfiques. « Nous pensons que les coûts indirects vont baisser car il y aura moins de conséquences sanitaires, moins de gaspillage… »
L’argument le plus tangible selon Rap ? En tant que consommateurs, nous payons le coût de la publicité en achetant les produits qu’elle vante, puisque ce coût justement est inclus dans le prix. Au final, conclut Khaled Gaiji, « les frais de pub cachés reviennent à 480 euros par an par habitant. »
Pour une économie moins prédatrice
Khaled Gaiji l’assure : « Moins de publicité nous garantit une économie moins prédatrice et plus saine ». Enthousiasmée par la décision audacieuse d’Éric Piolle, Rap proposait d’ailleurs le jour-même à toute personne désireuse de convaincre sa municipalité de réduire la publicité dans l’espace public, d’envoyer une lettre type téléchargeable sur son site.
Pour l’heure, les grandes villes sensibles à la pollution publicitaire optent, plutôt, pour la réduction de la taille des panneaux publicitaires que pour leur suppression. La dernière en date est Bordeaux, qui fera démonter les panneaux 4 x 3 en juillet 2015.
Véronique Magnin
Les Français et la publicité : “je t’aime encore un peu”
En 2013, 79 % des sondés trouvaient les pubs envahissantes, selon un sondage TNS Sofres.33 % des sondés se disaient publiphobes.
Typologie sommaire des mouvements antipublicitaires
Actions légalistes
– Paysage de France, qui n’est pas antipublicitaire mais défend le paysage
– L’association antipubs Rap, qui est la plus importante au niveau national sur le plan quantitatif
– Les chiennes de garde, qui luttent contre le sexisme de certains messages publicitaires- Le Collectif contre le Publisexisme
– Les casseurs de pub, qui critiquent la surconsommation et prônent la décroissance
– La communauté antipub sur Facebook
– L’église de la très sainte consommation
…
Actions illégales
Les collectifs se créent surtout dans les endroits à forte densité urbaine. Le plus connu est celui des Déboulonneurs, qui mènent des actions de désobéissance civile à visage découvert. Il font parfois l’objet de procès. Ils se sont exprimés dans Libération sur l’actualité grenobloise.
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