ENTRETIEN – « Contester l’hégémonie du parti socialiste à gauche et le dépasser ». L’ambition nationale du Parti de Gauche prend tout son sens à Grenoble pour les élections municipales, où la formation participe à la liste « Grenoble, une ville pour tous », dissidente de la municipalité sortante. À l’occasion de la marche pour une révolution fiscale organisée ce dimanche à Paris, Alain Dontaine, cadre du parti en Isère, détaille les revendications de la manifestation et précise la stratégie nationale et locale de sa formation politique.
Arrivé à Grenoble en 1980, pour ses études à l’Institut d’études politiques (IEP), Alain Dontaine n’en repartira pas. Egalement titulaire d’un CAP de charpenterie-menuiserie-ébéniste, il obtiendra son doctorat en sciences politiques en 1989. La même année, il donne ses premiers cours d’économie en tant que maître auxiliaire dans l’enseignement secondaire. Après avoir fait « le tour des lycées du département et de presque tous ceux de l’agglomération grenobloise », il enseigne depuis un an à l’université Stendhal. Sur le plan politique, élu conseiller municipal en 1995 à La Tronche, Alain Dontaine adhère d’abord au Parti socialiste avant de participer à la création du Parti de gauche avec Jean-Luc Mélenchon en 2009. En 2012, il est candidat aux élections législatives dans la première circonscription de l’Isère et obtient 6,38% des voix. Le Parti de gauche organise ce dimanche 1er décembre une marche pour la révolution fiscale. Pourquoi ? Elle cible en premier lieu l’augmentation de la TVA qui doit être effective le 1er janvier prochain. C’est une réforme injuste qui était pourtant décriée par François Hollande pendant l’élection présidentielle. Il y avait jusqu’à aujourd’hui un consensus à gauche contre une TVA trop forte, car c’est un impôt sur la consommation qui pénalise en premier lieu les ménages aux revenus modestes. Quand on est en situation de stagnation, augmenter la TVA est une faute économique. Manifestez-vous contre la hausse de la TVA ou contre son fondement même ? C’est le symbole de la fiscalité injuste. Le maintien de la TVA à 5,5 % sur les produits de première nécessité n’est que de la poudre aux yeux car tout le reste va augmenter. 6 à 7 milliards de rentrées fiscales par an sont prévues grâce à ces changements de taux. Nous avons donc décidé de focaliser l’appel de la marche sur la TVA mais notre souhait, c’est une révolution fiscale. La « remise à plat » de la fiscalité promise par Jean-Marc Ayrault n’est pas suffisante. Que proposez-vous ? Nous souhaitons un impôt réellement progressif. Il est aujourd’hui régressif car le taux global d’imposition est moins élevé pour les plus riches. Résultat : l’impôt sur le revenu pèse très peu sur l’impôt général. Nous demandons quatorze taux d’imposition au lieu des cinq actuels. Le gouvernement a tenu son engagement de changement sur certaines questions sociétales, comme le mariage gay, mais sur le plan économique, rien n’a changé. Il reste dans une logique d’austérité. Les erreurs sont répétées. Pourquoi vous mobilisez-vous seulement aujourd’hui contre l’augmentation de la TVA alors qu’elle a été présentée il y a un an ? L’année dernière, les Français ne mesuraient pas les changements concrets que cette mesure provoquerait. Par ailleurs, la situation fiscale et l’ambiance politique n’étaient pas les mêmes non plus. Nous devons tenir compte de l’évolution de perception des décisions gouvernementales par les Français et du rapport de force. Ils ont porté François Hollande au pouvoir sur une promesse de changement qu’il n’a pas encore honorée. Proposer une mobilisation sur des mesures précises, c’est aider les Français à développer leur conscience politique et encourager François Hollande à appliquer des mesures pour provoquer ce changement. Cette manifestation n’est-elle pas aussi le moyen de reprendre la main sur la contestation fiscale, accaparée aujourd’hui par le mouvement des « bonnets rouges » ? Évidemment ! À son origine, ce mouvement a eu le bénéfice de faire descendre dans la rue des personnes qui souffrent de la situation économique. Ce sont des chômeurs, des employés de l’agro-alimentaire, des petits artisans, commerçants et agriculteurs qui ont trouvé un cadre pour exprimer leur mécontentement. Malheureusement, le mouvement a depuis été récupéré par les milieux organisés de la droite, comme le Medef et la FNSEA, ou des organisations plus radicales issues de l’opposition au mariage pour tous qui profitent de la grogne contre l’écotaxe pour s’en prendre au gouvernement d’une manière générale. Contrairement à eux, nous souhaitons défendre l’intérêt général et pas seulement quelques intérêts particuliers. Nous ne nous contentons pas de dire que les « bonnets rouges » se trompent de colère. Nous proposons un chemin de sortie de crise par cette manifestation. Pourquoi les mécontents vous écouteraient aujourd’hui alors que vous avez appelé à voter François Hollande à l’élection présidentielle ? La contestation est aujourd’hui occupée par la droite et le Front national qui, dès le lendemain de l’élection présidentielle, pouvaient s’opposer frontalement au gouvernement. Nous avons effectivement une responsabilité dans l’élection de François Hollande car nous avions appelé à voter contre Nicolas Sarkozy. Mais si nous l’avons aidé à accéder au pouvoir, nous sommes aussi des « ayant-droits » de cette victoire, comme le rappelle régulièrement Jean-Luc Mélenchon. Nous sommes donc légitimes à réclamer notre part de la victoire. Et sommes force de proposition par nos manifestations politiques. C’est la troisième que nous organisons aujourd’hui, après celles contre l’austérité et pour la sixième République. Je ne sais pas si cette méthode nous permettra de reprendre la main sur la contestation, mais c’est notre façon de montrer qu’une autre politique de gauche est possible. De déplacer le curseur de gouvernance. Cette manifestation permet-elle également de surmonter les différends qui vous opposent aux communistes au sein du Front de gauche ? Ce n’est pas l’objectif, mais ce peut être un intérêt. Si nous sommes capables de montrer que le Front de gauche peut résister à ces tensions en continuant de mobiliser ensemble, c’est utile. C’est toute la gauche de combat qui se rassemble aujourd’hui. À Grenoble, les dirigeants communistes vous accusent, en substance, de vouloir piller leurs militants, en participant à la liste de rassemblement autour des écologistes notamment. En quoi les militants communistes feraient-ils une erreur en votant une alliance avec les socialistes le 10 décembre, selon vous ? D’abord, nous ne pillons pas leurs militants, nous les appelons à voter pour que leur parti nous rejoigne. Les élections municipales ne seront pas seulement locales. C’est le premier scrutin arrivant après l’élection de François Hollande et de sa majorité. Ce sera donc le premier vote sanction. Dans un climat particulièrement morose, les Français vont se détourner puissamment du Parti socialiste. Le défi du Front de gauche est de ne pas apparaître seulement comme une force qui critique les renoncements, mais de proposer un nouvel horizon. Sinon, nous sommes enfermés dans une bulle contestataire. Dans ces conditions, s’allier avec le Parti socialiste brouillerait totalement notre discours et créerait une confusion totale. Comment expliquer, alors, que les dirigeants communistes locaux soient aujourd’hui favorables à cette alliance ? J’ai l’impression que nous avons été rattrapés par des problèmes de personnes que j’avais sous-estimés. Par leur présence dans la majorité Destot à Grenoble, les communistes ont été la cible de critiques virulentes de la part de l’Association démocratie, écologie et solidarité (Ades) et d’Europe-Ecologie-Les Verts (EELV), pourtant leurs voisins de table au conseil municipal ! Il s’agit donc surtout d’une question de personnalités ? Pas seulement, c’est aussi une affaire de “tranchées politiques”. Les communistes se perçoivent comme une grande organisation du passé qui doit sauver ce qu’il en reste. Par exemple, ils ont été surpris du score de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle et l’ont vécu comme une renaissance, alors que pour nous ce n’était pas assez. Cette vision-là ne permet pas de monter à l’offensive. En étant les éternels supplétifs du Parti socialiste, ils ont intériorisé le fait qu’on ne pouvait pas gagner. L’objectif initial du Front de gauche n’était pas de peser sur le PS, mais de contester son hégémonie à gauche et de le dépasser. Il souhaite faire un bon score lors des élections pour peser. Être une force d’appoint du PS avec une stratégie d’aiguillon pour le rappeler parfois plus à gauche. Pour quelles raisons avez-vous fait le choix de rejoindre la liste « Grenoble, une ville pour tous » ? Nous pensons que ce discours d’alternative au social-libéralisme aura un écho plus important en nous alliant avec d’autres formations qui partagent certaines de nos positions. Cela nous permettra de constituer un rassemblement plus large, voire majoritaire. Une liste Front de Gauche pourrait faire un beau score, mais sans victoire possible. En revanche, « Grenoble, une ville pour tous » le permet. Quelles étaient vos conditions pour vous associer à cette liste ? Nous n’avions pas d’élus à reconduire. Notre première condition a donc été celle des contenus. Le texte socle, qui a été rédigé en commun avec les différentes composantes du rassemblement, correspond totalement à notre vision des choses. Nous étions donc compatibles pour ce qui est du programme. L’autre condition était qu’il n’y ait pas une force hégémonique qui impose son point de vue. Nous en sortons avec le PS, ce n’est pas pour retrouver cela ailleurs. L’écologiste Eric Piolle est fortement pressenti pour occuper la tête de liste. Il ne cache d’ailleurs pas cette ambition. Ne craignez-vous pas une hégémonie des écologistes, justement ? La tête de liste sera dévoilée le 7 décembre. Ce devra être une personne capable d’incarner le changement et de conduire une liste victorieuse. D’autres personnes y prétendent, mais toutes ne réunissent pas ces conditions qui seront nos principaux critères de désignation. Chaque composante du rassemblement a des prétentions. Certaines formations doivent faire des concessions. Les écologistes pourraient faire un excellent score à Grenoble et avoir un nombre important d’élus s’ils partaient seuls. En faisant le choix du rassemblement, il est possible qu’ils se retrouvent avec moins d’élus. Il faut reconnaître leur modestie. C’est donc la volonté de changement et la conviction que nous sommes capables de gagner qui nous réunissent et nous permettent de dépasser les problèmes. Comment expliquez-vous le retard pris par votre rassemblement par rapport à vos concurrents entrés en campagne, déjà dotés de leur tête de liste ? Nous avons constitué un rassemblement historique et inédit. Notre méthode est celle du consensus. Elle prend nécessairement plus de temps par rapport aux autres listes qui se constituent, a contrario, autour d’une tête de liste désignée ou héritée. Les Grenoblois reprochent à la municipalité sortante sa distance et son manque de concertation sur les décisions importantes. Les réunions dites de concertation relevaient davantage de la « présentation » que de la « co-construction ». Si nous réussissons, Grenoble deviendra l’exemple national prouvant que cette alternative à gauche est possible et cet exemple ouvrira de nouvelles perspectives politiques. Grenoble pourrait renouer avec la tradition d’innovation sociale, dans l’héritage des groupes d’action municipale de Hubert Dubedout. Une méthode dont la municipalité sortante est aujourd’hui bien éloignée. Vous sentez-vous aujourd’hui plus proches des écologistes ou des communistes ? Nous sommes à mi-chemin des deux. Les écologistes ont été les premiers à tracer le chemin de la crise écologique. Cette vision-là est relativement absente de l’idéologie politique communiste. Contrairement à nous, les écologistes ont un corpus idéologique moins resserré. Ce qui les réunit, c’est avant tout leur sensibilité écologiste. Ils ont de nombreux courants. Leur congrès le démontre. Certains ne sont pas toujours sensibles aux questions sociales. À Grenoble, ils le sont et c’est là notre chance. Nous sommes compatibles ! Les communistes sont, quant à eux, éloignés des questions environnementales et, par exemple, pro-nucléaires. Nous voulons faire la synthèse entre le socialisme et l’écologie. Propos recueillis par Victor Guilbert Photos de Véronique Serre L’entretien a été réalisé le mercredi 27 novembre, dans le bureau d’Alain Dontaine, à l’université Stendhal. Il n’a pas été soumis à relecture.Extrait d’ouvrage choisi par Alain Dontaine « Sortez-nous de cette crise… maintenant ! » de Paul Krugman : « Évaluer les effets de l’austérité requiert donc un examen rigoureux des mesures qui en régissent l’application. Fort heureusement, certains chercheurs du Fonds monétaire international se sont donnés cette peine et ils ont identifié pas moins de 173 épisodes d’austérité budgétaire dans des pays développés entre 1978 et 2009. Ils ont constaté que les politiques d’austérité sont suivies de contraction économique et d’augmentation du chômage. » La conviction qu’il en tire Il est des vérités scientifiques que les responsables politiques ne devraient pas avoir le droit de mépriser car, ce faisant, ce sont nos vies, celles de millions de personnes qu’ils méprisent. Oui, les politiques de réduction des dépenses publiques sont aujourd’hui les responsables de la montée du chômage et de la souffrance de millions de personnes.- Consultez ici les autres entretiens politiques du Dimanche de Place Gre’net.