REPORTAGE – Il suffit de lever les yeux… Scellée dans un paysage de carte postale, entre les quais de l’Isère et le fort de la Bastille, la cité universitaire du Rabot surplombe singulièrement l’entrée nord de Grenoble. Retirée dans son écrin fortifié, elle accueille chaque année 500 étudiants venus du monde entier. Qui sont-ils et comment vivent-ils dans ce lieu peu ordinaire, perché entre deux mondes ? Immersion dans une étrange cité aux allures insulaires, où anciens et nouveaux venus nous racontent “leur” Rabot.
La résidence universitaire du Rabot vue depuis les quais. © Delphine Chappaz / placegrenet.fr
© Delphine Chappaz / placegrenet.fr
Y a‑t-il seulement une récompense au bout de la montée ? « Oui ! » assure Simon. « Le privilège évident est le panorama exceptionnel sur Grenoble. Il suffit de regarder par la fenêtre : le lieu est ensoleillé du matin au soir. Les promoteurs immobiliers se l’arracheraient. Tu es à l’extérieur de la ville mais seulement à quinze minutes à pied du centre, avec l’avantage d’être au calme. Et puis, très vite, tu t’aperçois qu’il règne une ambiance particulière ici. »
Simon, étudiant, dans sa chambre universitaire du Rabot. © Delphine Chappaz / placegrenet.fr
Bettina et Maria, étudiantes allemandes Erasmus. © Delphine Chappaz / placegrenet.fr
Les fameuses toilettes à la turque du Rabot. © Delphine Chappaz / placegrenet.fr
Le Rabot apparaît ainsi comme un lieu autogéré par ses habitants. Un endroit où chacun peut exercer son esprit d’initiative ou développer des qualités organisationnelles via l’association.
Partie de volley dans la cour du Rabot. © Delphine Chappaz / placegrenet.fr
Chaude ambiance dans la cour du Rabot. © Delphine Chappaz / placegrenet.fr
Barbecue géant dans la cour du Rabot. © Delphine Chappaz / placegrenet.fr
Repas étudiant dans la cour du Rabot. © Delphine Chappaz / placegrenet.fr
La cuisine commune au Rabot. © Delphine Chappaz / placegrenet.fr
Une ancienne citadelle militaire
Si avec ses 600 000 visiteurs par an, la Bastille représente aujourd’hui l’un des premiers sites touristiques de l’Isère, le Rabot en contrebas a connu un tout autre destin, loin des touristes. Il a toutefois, lui aussi, une histoire militaire. Premier élément de fortification datant de la fin du XVème siècle, sa maison forte tiendrait son nom de Bertrand Rabot. Conseiller au parlement de Grenoble, celui-ci l’aurait acquise en 1513 et sa famille en serait restée propriétaire plus de 120 ans. Quant au fort du Rabot, construit entre 1840 et 1847 sur les flancs du Mont Rachais, il fait partie d’un vaste ensemble fortifié dont la pièce principale est la Bastille, située au sommet. Il répondait alors au souhait, qui s’était exprimé durant trois siècles, de faire de l’extrémité sud du massif de la Chartreuse un site défensif de la vallée iséroise. Un site dont Lesdiguières, Vauban et le lieutenant général Haxo ont été les principaux édificateurs. Rien d’étonnant dès lors à ce que l’ensemble des ouvrages militaires de la Bastille, dont les bâtiments du Rabot, soit inscrit à l’inventaire des monuments historiques depuis le 30 janvier 1989. « Dès la fin des années 40, cent ans après sa construction, l’armée cède le bastion militaire » rappelle Bernard Merg, directeur adjoint du Rabot. Le lieu change alors d’univers. Les soldats ayant déposé les armes et s’étant retirés, les premiers étudiants investissent pacifiquement les lieux. « En 1952, le Rabot devient définitivement cité universitaire. L’Université construira par la suite les bâtiments Vercors, Chartreuse et Nouveau Barbillon, entre 1960 et 1965 » précise Bernard Merg.Vestige du fort militaire du Rabot. © Delphine Chappaz / placegrenet.fr
C’est ainsi que, depuis plus de soixante ans, sur la colline du Rabot, les murs d’une ancienne forteresse militaire vibrent de l’énergie de jeunes étudiants, bien loin de la discipline d’origine.
Paul : “Le Rabot m’a donné envie de parcourir le monde”
Témoignage – Âgé de 29 ans, Paul vit aujourd’hui à Durban, en Afrique du Sud. Il a passé sept ans au Rabot, le temps de terminer des études de physique. Une période “rabotine” qui l’a fortement marqué. Il raconte en quoi cette expérience a été une étape spéciale et déterminante de sa vie. « Le Rabot, c’est assez surréaliste. Ce qui m’a le plus marqué, c’est peut-être cette sorte de « réalité augmentée » propre à un espace un peu perché, isolé, mais vivace, avec des personnes de tous horizons. Un état d’esprit solidaire qui s’instaure entre des personnes liées par une même (légère ?) épreuve quotidienne : la montée du Rabot. Et bien sûr, les chiottes turcs ! C’est peut-être là le début de la relation si spéciale au lieu… C’est une relation « physique », forgée dans l’effort. Ce qui me tenait à cœur, c’est ce que l’espace me donnait comme liberté et le refuge qu’il constituait, adossé à la montagne. Ce lieu nourrit l’inconscient et donne des moyens au conscient. En cinq minutes, on peut monter dans la forêt, contempler la ville de nuit, puis revenir boire des bières lors d’une fête dans une chambre, un couloir ou au foyer. Faire des dîners d’étage qui s’éternisent, s’éternisent… Ou juste boire le thé et dormir.Un lieu qui allie une vie sociale riche et diversifiée, avec la nature derrière son bâtiment et la ville devant, ça n’est en fait plus tellement fréquent ! Sans mentionner le cadre original bien propre au lieu : un ancien fort perché sur une colline dominant la ville. Le Rabot réserve ses surprises et une activité cachée toujours présente. Des anecdotes un peu caractéristiques du Rabot ? Pouvoir monter sur un coup de tête à la Bastille, de jour comme de nuit, grimper le mur sous la neige ou la pluie et finalement s’arrêter en chemin : on trouve quelques personnes autour d’un feu dans la montée ou on s’arrête simplement au pied d’un arbre, pour profiter de l’instant présent. Et des fois, on ne s’arrête pas : on monte jusqu’au Mont Jalla !Vue sur le téléphérique de la Bastille depuis le Rabot.
Et puis il y a les feux d’artifices du 14 juillet de Grenoble, Saint-Martin-d’Hères et Claix, simultanément visibles depuis sa fenêtre. Ou depuis le toit de son bâtiment, un verre à la main, une cigarette dans l’autre. Ah, tiens, il neige ! On peut aller essayer les skis dans la résidence ! Les soirées, les concerts et festivals encore aussi. On a eu le privilège d’accueillir des artistes de tous horizons et de tous styles.Parfois, le Rabot, c’est un peu la solitude aussi, surtout l’été quand il n’y a plus personne et que l’on n’a pas bien envie de descendre en ville. Alors on vit en ermite, l’espace de quelques temps, et on se sent bien étranger, de “retour à la civilisation”. Je ne saurais pas quoi dire qui ne réduirait pas le Rabot à un cliché. En tout cas, je suis profondément reconnaissant à la conseillère qui, lors de mon premier jour à Grenoble, m’a demandé, après deux heures de queue avec mes sacs au Crous du campus : « Alors, vous voulez quelle résidence ? – Euh, ben je ne sais pas trop… Vous me conseillez quoi ? – Le Rabot ! » (sourire)Vue sur le Rabot et Grenoble depuis la Bastille. © Delphine Chappaz / placegrenet.fr
Le Rabot m’a donné des amis, des aventures, des expériences de toutes les couleurs, et l’envie de parcourir le monde : « Merci » est dérisoire ! »
1 réflexion sur « Le Rabot : une cité U pas comme les autres »
Je suis Russe, j’habite Moscou et je garde de merveilleux souvenirs de mon séjour au Rabot (Esclangon, chambre 221, avec vue sur la Bastille). A l’époque il n’y avait pas de navette, on montait à pied. Par contre, il y avait un restaurant.
Mais l’essentiel, c’était une ambiance tout à fait particulière, familiale – on y vivait vraiment en famille.
C’était une éxpérience tout à fait unique que je n’ai jamais vécu nulle part ailleurs.
Maintenant, lorsque je m’en souviens, je trouve que c’était un bonheur, dont je ne me rendais pas compte à l’époque.