ENTRETIEN – En déplacement à Grenoble le vendredi 8 novembre, Corinne Lepage a officialisé l’alliance des sociaux-démocrates du Rassemblement citoyen et de la liste menée par le socialiste Jérôme Safar pour l’élection municipale. Ce qui n’empêche pas la députée européenne de critiquer la politique environnementale du gouvernement et de réprouver la complicité des écologistes. Elle défend une conception de l’écologie moins punitive et compatible avec les difficultés économiques.
Avocate de profession devenue femme politique par conviction, Corinne Lepage s’est fait connaître en défendant les sinistrés de l’Amoco Cadiz en 1978 et ceux de l’Erika depuis 1999. Entre 1995 et 1997, elle a occupé la fonction de ministre de l’Environnement des gouvernements Juppé. Elle a notamment contribué au non redémarrage de la centrale Superphénix et a obtenu un moratoire sur les OGM. Députée européenne depuis 2009, elle siège à la commission environnement, santé publique et sécurité alimentaire. En 2007, elle a participé, avec son parti écologiste Cap21, à la fondation du Modem de François Bayrou qu’elle a quitté en 2010. Elle a lancé cette année la coopérative politique du Rassemblement citoyen. Quel est le motif de votre venue à Grenoble ? Cette visite s’inscrit dans la préparation des élections municipales de mars 2014. J’ai entamé une série de déplacements afin de rencontrer les candidats avec lesquels travaillent les membres de Cap21 et du Rassemblement citoyen sur le territoire. Après Dijon et Grenoble, je dois me rendre à Tours, puis à Lyon. À Grenoble, j’apporte mon soutien à la liste conduite par Jérôme Safar, qui partage notre approche de sociaux-démocrates marqués par l’écologie. Les socialistes sont-ils moins « sectaires » à Grenoble qu’à Paris, où vous avez refusé une place sur la liste d’Anne Hidalgo pour cette raison ? Les circonstances sont différentes à Paris. Anne Hidalgo, la candidate socialiste, m’avait sollicitée il y a un an et demi, mais au moment de parler du programme et de l’équipe qui m’accompagnerait, elle m’a renvoyée vers Rémi Féraud, le coordinateur de sa campagne. Or, celui-ci a été d’une fermeture absolue. Ils me voulaient seulement sur la photographie. Ce n’est pas ma façon de faire de la politique. J’ai refusé à deux reprises d’être ministre de Nicolas Sarkozy pour des raisons similaires. Décliner l’offre d’Anne Hidalgo ne m’a donc pas peinée. Par ailleurs, je suis déjà députée européenne et comme je suis contre le cumul des mandats, je me l’applique à moi-même. À Paris comme à Grenoble, vous ambitionnez de peser sur les programmes. Quelles sont les valeurs que vous défendez et les propositions que vous apportez ? Ce sont d’abord des engagements sur la méthode de gouvernance, entre les citoyens et les décideurs. Le Rassemblement citoyen réunit des personnalités politiques et des citoyens engagés, comme d’autres partis, sauf que nous souhaitons les porter aux postes de responsabilités. Le mode décisionnel est donc primordial à nos yeux. Sur le fond, nous sommes particulièrement attentifs aux questions d’urbanisme. Grenoble est une ville attractive. Pour y faire face, seules trois solutions existent : densifier la ville, accepter l’étalement urbain ou refuser les nouveaux arrivants. J’estime que nous avons besoin de nos espaces naturels pour conserver notre autonomie alimentaire et utiliser, à l’avenir, des espaces libres pour produire une partie de notre énergie. Il n’y a donc pas d’autre solution aujourd’hui que de densifier les villes, de façon esthétique et avec des bâtiments énergétiquement sobres. Ne pas le reconnaître, c’est du déni de réalité !Vous êtes également très vigilante vis-à-vis des enjeux de santé environnementale. Les mandats locaux sont-ils appropriés pour influencer les décisions en la matière ? Un Français sur cinq est en affection de longue durée. Cela est en partie lié à des facteurs environnementaux, comme la nourriture ingérée, l’air respiré ou les produits chimiques manipulés. Par exemple, les municipalités doivent porter une attention particulière à une restauration collective aussi saine que possible. Ne serait-ce que parce que certains bénéficiaires ne peuvent avoir les mêmes exigences à leur domicile, car cela coûte plus cher. Je souhaite aussi que nos équipes portent des projets de relance d’une agriculture urbaine. Ce n’est pas ringard, mais plutôt avant-gardiste. Enfin, il y a la question de la troisième révolution industrielle et du réseau énergétique. Grenoble a la chance d’avoir des pôles de spécialisation. Le Commissariat à l’énergie atomique, par exemple, ne traite pas uniquement du nucléaire mais permet aussi la recherche et le développement des énergies renouvelables et des nouvelles technologies de l’énergie, comme le stockage plus performant de l’électricité ou des compteurs intelligents. Ce sont des politiques modernes qui doivent être menées en parallèle de la décentralisation de la production d’énergie. À Grenoble, les écologistes siègent dans l’opposition et présenteront une liste autonome aux municipales. N’êtes-vous pas la caution « verte » de la liste socialiste pour rassurer l’électorat grenoblois, très soucieux de l’environnement ? Je ne suis pas une caution écologique. La position que j’ai adoptée vis-à-vis d’Anne Hidalgo le prouve. Nous défendons une approche plus pragmatique de l’écologie qu’Europe-Ecologie-les-Verts (EELV) et probablement plus efficace sur le plan de la popularité. Les positions punitives des Verts ont contribué à faire détester tout ce qui touche à la protection de l’environnement dans la société française. Nous défendons le mariage de l’écologie et de l’économie. L’entreprise est fondamentale. Je crois au capitalisme entrepreneurial. Sans activité économique, sans entreprise, il n’y a pas de vie. Mais cela est uniquement possible en prenant en compte les contraintes du monde d’aujourd’hui ; un monde fait de ressources rares et de risques environnementaux élevés. Quelles sont aujourd’hui vos relations avec EELV ? Cap 21 est autonome. Cela ne m’empêche pas de garder des relations étroites avec certains de mes amis qui sont toujours dans leurs rangs, comme Michèle Rivasi. Nous avons, par ailleurs, récupéré, au sein du Rassemblement citoyen, un certain nombre de personnes venues d’EELV, comme Frédéric Bouchareb à Poitiers ou Elisabeth Belaubre à Toulouse. Les écologistes s’interrogent sur leur place au gouvernement. Dans le même temps, vous étiez reçue à l’Elysée le 3 octobre dernier avec une délégation du Rassemblement citoyen. Leur place et leur influence au sein du gouvernement vous intéressent-elles ? La politique environnementale menée par le gouvernement est totalement à côté de la plaque ! L’apport que pourrait constituer la troisième révolution industrielle de l’économie verte est complètement négligé. J’ai l’impression que la présence des écologistes au gouvernement permet surtout de cautionner des décisions qui ne seraient jamais passées dans d’autres circonstances. Par exemple, la tolérance des taux de nitrates en Bretagne ou le rallongement de dix ans de la durée de vie des centrales nucléaires, en plein débat sur la transition énergétique, sont des décisions aberrantes. La politique environnementale du gouvernement manque donc d’ambition à vos yeux ? Il y a un schéma de pensée en Europe qui considère que la crise économique passe avant la crise environnementale. C’est une lecture totalement erronée de la situation car tout est lié. L’exemple breton démontre clairement que choisir un modèle productiviste qui abandonne les préoccupations basiques de préservation des ressources, aboutit à produire des aliments de mauvaise qualité qui ne se vendent plus ! Ce n’est pas seulement le tout biologique mais l’agroécologie qui est un modèle durable sur le plan économique. Ceux qui ont fait ce choix en vivent aujourd’hui. Les autres en meurent. Comment le gouvernement peut-il sortir de l’impasse du dossier de l’écotaxe ? En commençant par faire la lumière sur Écomouv” ! Les conditions de négociations, les intermédiaires et les conditions du contrat ne peuvent pas rester en l’état. Je suis satisfaite qu’une information judiciaire pénale soit ouverte. Sur le fond, l’écotaxe visait à transférer le fret de la route vers le rail. C’était déjà un enjeu quand j’étais ministre de l’Environnement. J’admets volontiers avoir été inefficace sur ce sujet, tout autant que ceux qui m’ont précédée et suivie. En 1960, le fret ferroviaire représentait 40 % du transport de marchandises, aujourd’hui nous en somme à 7%. L’écotaxe est une solution pour changer les comportements. Seulement, la fiscalité verte ne doit pas être une fiscalité supplémentaire mais « à la place de ».
Quels impôts sont selon vous remplaçables ? La fiscalité du travail principalement. Baisser son coût permettrait aux entreprises d’embaucher. J’ai été chef d’entreprise. J’ai eu jusqu’à cent personnes dans mon cabinet d’avocat. Les effets de seuil au-delà de dix salariés sont, par exemple, trop coûteux. Que proposez-vous de manière plus générale en terme de fiscalité ? Il y a un seuil à ne pas dépasser. Mon mandat de députée européenne me permet de comparer notre niveau de fiscalité à celui, plus bas, d’autres pays qui n’ont pas forcément des services publics plus mauvais que les nôtres. Je pense à l’Allemagne, à l’Autriche et aux pays du nord de l’Europe, exception faite du Danemark où la fiscalité est plus élevée. Nous avons également un problème d’utilisation de notre trésor public. Il est impossible de diminuer les dépenses publiques sans une réforme fondamentale de l’Etat, qui n’est toujours pas engagée. Pour rappel, la France a l’une des fiscalités environnementales les plus modestes d’Europe. Elle représente 2,5% alors que la moyenne européenne est de 5%. Sur le plan politique, vous avez quitté le Modem de François Bayrou en 2010. Comment percevez-vous son alliance cette semaine avec l’UDI de Jean-Louis Borloo ? C’est « Retour vers le passé » ! Il s’agit d’une alliance de circonstance pour les élections européennes et municipales. La candidature de François Bayrou à Pau, le lendemain, n’est pas étrangère au calendrier de cette alliance. Encore une fois, les intérêts électoraux du leader coïncident avec l’orientation du parti. Je ne distingue pas les contours du programme unissant les deux hommes, si ce n’est de profiter de l’affaiblissement de l’UMP. À la création du Modem, nous souhaitions sortir de la conception droite-gauche de la politique française pour être le parti innovant du XXIème siècle. L’objectif est aujourd’hui abandonné. Il faut reprendre le flambeau ! Le centrisme politique – l’art du compromis et des alliances en fonction des projets de loi – n’est-il pas incompatible avec un régime présidentiel qui polarise la vie politique ? La France a besoin d’un grand espace de centre-gauche, écologiste, social et démocrate. Cette entité-là n’existe pas. Elle est répartie dans des partis du passé, comme les radicaux de gauche, le parti socialiste, et le Modem, pour ce qu’il en reste. Nous avons besoin de l’équivalent du SPD allemand. En sachant que ceux qui sont le plus à gauche ne s’y retrouveront pas et s’uniront entre eux, comme dans le parti Die Linke en Allemagne. Nous avons besoin du parti du XXIème siècle, qui défende un nouveau modèle de production, une économie verte, un fonctionnement en réseau et décentralisé de la société, où l’entreprise soit reconnue et valorisée. Propos recueillis par Victor Guilbert Photos de Nils Louna L’entretien a été réalisé le vendredi 8 novembre à la brasserie « La City », 102 Cours Berriat à Grenoble. Il n’a pas été soumis à relecture.
Extrait d’ouvrage choisi par Corinne Lepage « Evolution et liberté » de Hans Jonas : « Les grandes contradictions que l’être humain découvre en lui-même – liberté et nécessité, autonomie et dépendance, moi et monde, relation et isolement, créativité et mortalité – ont leur préfiguration déjà en germe dans les formes les plus primitives de la vie, chacune tenant dangereusement la balance entre être et non-être, et portant déjà en soi un horizon interne de transcendance » La conviction qu’elle en tire Hans Jonas est à la base de la réflexion sur le principe de précaution et la société du risque. Dans cet ouvrage, il travaille sur l’histoire des civilisations et prouve que la main, l’oeil et le cerveau ont donné la technique, l’art et la métaphysique.- Consultez ici les autres entretiens politiques du Dimanche de Place Gre’net.