EXPOSITION – Pour la reprise de la saison, Le Magasin explore l’art à travers le prisme lituanien, avec une exposition dans le cadre de la Biennale de Kaunas, au centre de ce pays balte. Le bâtiment grenoblois de verre et de fer expose ainsi les œuvres de l’artiste Deimantas Narkevičius, qui explore l’Histoire de son pays à travers une série de films. Mais aussi celles du jeune Vytautas Viržbickas qui racontent ses rêves brisés. Une double entrée dans l’esprit artistique lituanien marqué par l’héritage soviétique.
La porte massive s’ouvre sur les ténèbres : les murs sont blancs, le noir complet. Le spectateur entre dans le dédale des œuvres de Deimantas Narkevičius. L’obscurité déboussole, les pupilles se dilatent. Et le premier film apparaît. Un long plan-séquence présente une photo de famille. Puis, Narkevičius nous emmène dans une autre salle. D’immenses bâtiments agressifs surgissent. Du béton, partout. L’URSS de la planification est sur grand écran. Arrive alors “The ‘‘dud’’ effect”. Sur le mur immaculé du Magasin, un officier lituanien, nommé Evgeny Terentiev, donne des ordres au téléphone. « Lancement ! » dit-il d’une voix posée. Un immense éclair éblouit l’homme et la pièce. Il plisse les yeux. Un missile R‑12 vient de partir en direction des impérialistes. La grande époque de la puissance soviétique est là, incarnée par ce parangon. Le cadrage serré sur son visage montre la détermination du personnage, comme de l’acteur. Il n’a pas eu besoin d’apprendre le texte. C’est un officier à la retraite qui déclenche le tir fictif. Le missile qui vient de partir va semer la destruction. Décombres lugubres Apparaissent à l’écran des images d’archives. Là où se trouvaient les R‑12, ne subsistent que des ruines. Symboles de la puissance passée, les entrepôts d’armes vides sont en pleine déliquescence. La caméra pénètre dans les catacombes. Une lampe de poche éclaire la scène. Tout est sens dessus dessous dans ces décombres lugubres : des bureaux, des ordures, des lits… Les bunkers sont décrépis, percés de toutes parts. Les tubes gigantesques abritant les fameuses fusées dirigées vers l’Occident désormais vides. Tournées de nos jours en Lituanie, les images sont tristes, déprimantes même. Des paysages désertiques, gris, sales. Une nature livrée à elle-même. L’époque de la grandeur de l’URSS est déjà bien loin. “The ‘‘dud’’ effect” opère un travail de déconstruction, de juxtapositions des époques. Le spectateur ne sait plus où se trouve la frontière entre fiction et réalité. La base qui abritait les armes est elle-même détruite. Un seul et même lieu, une seule et même conclusion : la destruction mène à la destruction. Etre homosexuel peut coûter trois ans de prison. Le dernier film de Deimantas Narkevičius est une mise en scène. “Restricted Sensation” traite durant 40 minutes de l’homosexualité en Lituanie. Tout dans Laimonas, le personnage principal, est démesuré. 1m95, un nez de Cyrano, un col de chemise excessif. Régisseur dans un théâtre, il critique la programmation, qu’il trouve trop consensuelle. Mais Laimonas est gay. Alors le KGB va s’intéresser à lui. De très près. Car dans l’URSS de 1974, être homosexuel peut coûter trois ans de prison. Des fragments d’histoire Le circuit de l’exposition se termine avec Vytautas Viržbickas. Tout juste sorti de l’école, l’artiste repeint de rose les murs du Magasin. Et installe des objets brisés dans la pièce. Ils n’ont de signification que dans son esprit. Ce sont des rêves, brisés, reconstitués. Presque des cauchemars. Un cheval blanc atterré, des échasses trouées, une nacelle retournée… Et ce son, vibration indescriptible, diffusé par une petite enceinte. Il faut tendre l’oreille, se concentrer. Entre matériel et immatériel, ces œuvres sont les fragments d’une histoire. « Ne la raconte pas », demande l’artiste dans son titre. Trop tard. Jean-Baptiste AuducDeimantas Narkevičius – Da Capo Vytautas Viržbickas « Comment te raconter une histoire connue ? – Ne la raconte pas. » Du 12 octobre 2013 au 5 janvier 2014 Centre National d’Art Contemporain – Le Magasin