Un astre mys­té­rieux décou­vert par une équipe grenobloise

Un astre mys­té­rieux décou­vert par une équipe grenobloise

Situé à envi­ron 150 années lumière1 de la Terre, un astre fort étrange gra­vi­tant autour d’une étoile double a été observé par l’équipe de Philippe Delorme de l’Institut de pla­né­to­lo­gie et d’astrophysique de Grenoble (Ipag). Il pour­rait s’a­gir d’une exo­pla­nète (pla­nète située hors du sys­tème solaire) Cet objet, répon­dant au doux nom de 2MASS0103(AB)b et pre­mier de ce type à être observé direc­te­ment, inter­pelle les astro­phy­si­ciens. Sa masse et celle de son étoile double ne sont, en effet, pas com­pa­tibles avec les modèles cou­ram­ment admis pour la for­ma­tion des pla­nètes. Philippe Delorme nous en dit plus sur sa décou­verte et les pro­blèmes théo­riques qu’elle pose.
Philippe Delorme dans son bureau de l'Ipag à Grenoble. © Patrick Seyer

Philippe Delorme dans son bureau de l’Ipag à Grenoble.
© Patrick Seyer

En dis­cu­tant avec Philippe Delorme, cher­cheur à l’Institut de pla­né­to­lo­gie et d’astrophysique de Grenoble, on n’a pas de peine à ima­gi­ner l’enfant fas­ciné par les étoiles qu’il dit avoir été. Si, les années pas­sant, l’enfant a fait place à l’étudiant en phy­sique, puis à l’astronome de niveau inter­na­tio­nal, la pas­sion à l’évidence est res­tée intacte.
C’est pro­ba­ble­ment cette pas­sion et sa solide for­ma­tion scien­ti­fique qui ont conduit ce jeune cher­cheur gre­no­blois de 31 ans à faire deux décou­vertes remar­quables en l’espace de quelques mois. Début 2012, il obser­vait une pla­nète « errante », un objet céleste vaga­bon­dant dans l’es­pace sans aucun lien avec une étoile. Situé « seule­ment » à envi­ron 100 années lumière1 de la Terre, il s’agissait de l’objet de ce type le plus proche de notre sys­tème solaire jamais observé. Cette proxi­mité de la Terre et l’absence d’étoile asso­ciée a per­mis à l’équipe de Philippe Delorme une étude d’une pré­ci­sion sans pré­cé­dent de cette exo­pla­nète2, notam­ment de son atmosphère.
Fin 2012, Philippe Delorme bous­cu­lait à nou­veau le monde extrê­me­ment actif de l’exoplanétologie. En effet, asso­cié à une équipe inter­na­tio­nale regrou­pant des cher­cheurs gre­no­blois, cana­diens, chi­liens et alle­mands, il obser­vait à quelque 150 années lumière1 de la Terre un sur­pre­nant trio céleste, com­posé d’une étoile double (en blanc) et d’un « objet » (en rouge) tout à fait étrange, appelé 2MASS0103(AB)b,selon la très com­plexe nomen­cla­ture inter­na­tio­nale. Tel Janus, le dieu romain aux deux visages, cet objet peut être vu soit comme une exo­pla­nète2, soit comme une « naine brune »3. Cependant, aucune des deux hypo­thèses n’est tota­le­ment satis­fai­sante, ni ne colle avec les théo­ries cou­ram­ment admises de for­ma­tion des pla­nètes. « Un modèle essen­tiel­le­ment fondé sur notre sys­tème solaire », sou­ligne Philippe Delorme.

La for­ma­tion des astres et autres objets célestes est un pro­ces­sus com­plexe qu’il serait vain de vou­loir décrire ici en quelques lignes. Retenons sim­ple­ment que ces divers objets célestes prennent nais­sance dans une nébu­leuse, c’est-à-dire un nuage formé de gaz riches en hydro­gène et de pous­sières, héri­tés du Big Bang4. C’est l’accumulation-concentration de ceux-ci par gra­vité qui va engen­drer étoiles, pla­nètes et autres objets tels que 2MASS0103(AB)b,chère à Philippe Delorme. S’agit-il d’une exo­pla­nète ou d’une naine brune ? Dans les deux cas, on se heurte, à des para­doxes impor­tants « et cest cela qui rend notre tra­vail si exci­tant : une obser­va­tion nou­velle qui oblige à revi­si­ter nos approches théo­riques » ajoute Philippe Delorme avec un sou­rire gourmand.
Le trio céleste observé par Philippe Delorme en 2012 à 150 années lumière de la Terre. Il est composé d'une étoile double (en blanc) et d’un « objet » (en rouge) tout à fait étrange, appelé 2MASS0103(AB)b. © Ipag

Le trio céleste observé par Philippe Delorme en 2012 à 150 années lumière de la Terre. Il est com­posé d’une étoile double (en blanc) et d’un « objet » (en rouge) tout à fait étrange, appelé 2MASS0103(AB)b.
© Ipag

Certes la dis­tance esti­mée sépa­rant 2MASS0103(AB)de son étoile double, approxi­ma­ti­ve­ment 12,5 mil­liards de km, soit envi­ron 100 fois la dis­tance Terre-Soleil, est tout à fait com­pa­tible avec une genèse pla­né­taire clas­sique au sein du disque gazeux entou­rant une jeune étoilePar contre, ce modèle « clas­sique » est tota­le­ment impro­bable lorsque l’on consi­dère les masses res­pec­tives esti­mées de 2MASS0103(AB)b, équi­va­lant à 12 ou 14 fois celle de Jupiter, alors que celle de l’étoile double ne fait qu’en­vi­ron le tiers de celle du soleil. « Ce rap­port des masses res­pec­tives des deux objets est beau­coup trop faible pour conve­nir au scé­na­rio clas­sique : la majo­rité du gaz pré­sent autour du couple détoiles aurait déjà dis­paru bien avant que 2MASS0103(AB)ait atteint sa taille actuelle » nous explique Philippe Delorme.
On peut alors ima­gi­ner que nous avons à faire, non pas à une pla­nète, mais à une « naine brune » et que nous sommes en pré­sence d’un trio « exo­tique » et, à l’heure actuelle, unique en son genre. Mais dans ce cas, il fau­drait alors ima­gi­ner une nébu­leuse qui se serait frag­men­tée pour engen­drer un sys­tème à trois étoiles, dont l’une, la naine brune, anor­ma­le­ment peu mas­sive, se situe­rait pré­ci­sé­ment à une dis­tance com­pa­tible avec une for­ma­tion pla­né­taire. Etrange coïn­ci­dence ! En réa­lité, cette hypo­thèse paraît tout à fait impro­bable à l’astronome grenoblois.
En conclu­sion, il appa­raît que la nature véri­table de 2MASS0103(AB)b, pla­nète ou naine brune, n’étant pas clai­re­ment éta­blie, il serait pré­ma­turé de remettre en cause le modèle stan­dard de for­ma­tion. Par contre, si d’autres obser­va­tions per­met­taient de décou­vrir un sys­tème sem­blable, c’est-à-dire formé d’une étoile de faible masse et d’une « vraie » pla­nète très mas­sive, nul doute qu’il fau­dra alors que les astro­phy­si­ciens théo­ri­ciens ima­ginent d’autres pro­ces­sus pour expli­quer la for­ma­tion de ce type d’ exo­pla­nètes. On ima­gine donc aisé­ment l’impatience avec laquelle Philippe Delorme attend la nou­velle cam­pagne d’observation au Chili, pré­vue dans les pro­chains mois, pour ten­ter de trou­ver des petites sœurs à 2MASS0103(AB)b.
L’Institut de Planétologie de d’Astrophysique de Grenoble-IPAG (Institut mixte CNRS/Université Joseph Fourrier). © Patrick Seyer

L’Institut de Planétologie de d’Astrophysique de Grenoble-IPAG (Institut mixte CNRS/Université Joseph Fourrier).
© Patrick Seyer

L’Institut de Planétologie de d’Astrophysique de Grenoble

Cet ins­ti­tut occupe une place impor­tante dans le monde de l’exoplanétologie. Sur la dizaine d’exoplanètes ima­gées, c’est-à-dire obser­vées direc­te­ment, envi­ron la moi­tié l’a été à Grenoble. D’autre part, l’Ipag est en pointe dans la détec­tion d’exoplanètes par la méthode de « déter­mi­na­tion des vitesses radiales 6 ».
GLOSSAIRE

1) Année lumière : il s’a­git d’une unité de dis­tance bien adap­tée aux dimen­sions gigan­tesques de l’univers. Elle est très uti­li­sée en astro­no­mie car beau­coup plus pra­tique et par­lante que les kilo­mètres. Une année lumière cor­res­pond à la dis­tance par­cou­rue par la lumière en un an. Sachant que la vitesse de la lumière est d’environ 300 000 km par seconde, en une année, la lumière par­court donc envi­ron 9 500 mil­liards de kilo­mètres. En d’autres termes, dire qu’un objet céleste est situé à une année lumière de la Terre, signi­fie qu’il se trouve à 9 500 mil­liards de kilo­mètres de celle-ci.

2 ) Exoplanète : pla­nète située hors du sys­tème solaire.

3) Naine brune : étoile avor­tée, n’ayant pas atteint une masse suf­fi­sante lors de sa for­ma­tion pour enclen­cher les réac­tions thermo-nucléaires5 internes, telles qu’elles existent dans une « vraie » étoile. On admet qu’une naine brune a une taille com­prise entre 0,07 masse solaire et 13 fois la masse de Jupiter.

4) Big Bang : modèle cos­mo­lo­gique uti­lisé par les scien­ti­fiques pour décrire « l’origine » et l’évolution de l’univers. Selon cette théo­rie, l’ensemble de la matière et de l’énergie de l’univers actuel aurait été contenu, il y a 13,8 mil­liards d’années, dans un espace extrê­me­ment ténu, dense et chaud.

5) Réaction thermo-nucléaire : pro­ces­sus par lequel deux noyaux ato­miques légers s’assemblent pour for­mer un noyau plus lourd. Cette réac­tion est à l’œuvre de manière natu­relle dans le Soleil et la plu­part des étoiles de l’uni­vers. La fusion de noyaux légers dégage d’énormes quan­ti­tés d’éner­gie.

6) Vitesse radiale. Le mou­ve­ment d’une étoile par rap­port à un obser­va­teur peut être décom­posé en deux axes ortho­go­naux : radial et tan­gen­tiel. La com­po­sante radiale de la vitesse d’une étoile est affec­tée par la pré­sence d’un objet, telle une pla­nète orbi­tant autour d’elle. Le prin­cipe phy­sique qui régit cette mesure (l’effet Doppler) est le même que celui uti­lisé par les radars de contrôle de vitesse des auto­mo­biles (sur Terre !). D’une cer­taine manière, cette méthode revient à « fla­sher » une étoile. Ce phé­no­mène per­met donc de détec­ter indi­rec­te­ment la pré­sence d’un astre autour de l’étoile et même, sous cer­taines condi­tions, d’estimer la masse de celui-ci.

Pour en savoir (beau­coup) plus : 
Direct ima­ging dis­co­very of 12 – 14 Jupiter mass object orbi­ting a young binary sys­tem of very low-mass stars, P. Delorme et al., Astronomy & Astrophysics Letters, 03/2013.
Date de rédac­tion : 15 juillet 2013

Patrick Seyer

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