DECRYPTAGE – Le bruit courait depuis quelques jours, porté par les travailleurs sociaux qui avaient été avertis en avant-première. L’information a été confirmée hier : la Préfecture de Grenoble expulse du dispositif d’urgence près de 600 personnes en situation précaire. Les associations n’ont pas tardé à réagir. A commencer par le collectif la Patate Chaude. Retour sur cette décision inattendue qui a mis le feu aux poudres.
« C’est très grave, inhumain… lamentable. » Yvon Sellier, du collectif La Patate Chaude, qui lutte pour l’accès pour tous aux droits fondamentaux ne mâche pas ses mots. En cause : la décision, annoncée par la Préfecture*, de l’arrêt brutal du dispositif d’urgence, pour raisons budgétaires. « Nous l’avons d’abord appris par des rumeurs, puis de sources sûres. »
Un proche du dossier confirme : « Le 13 juin dernier, lors d’une grosse réunion en préfecture, le sous-préfet a annoncé qu’il n’y avait pas d’enveloppe complémentaire pour l’Isère. » D’où la possibilité de ne financer qu’un peu plus d’une centaine de places à l’année, à partir de maintenant. « La consigne est donc donnée de fermer les structures. La seule solution qu’a trouvée l’Etat pour dégonfler cette potentielle demande, ce sont les reconduites à la frontière. »
Sont ainsi concernés les hébergements d’urgence gérés par La Relève, l’Arepi-L’Etape ou encore l’Adate (Association dauphinoise accueil travailleurs étrangers), qui héberge les plus « intégrés » dans des appartements en habitats dispersés. « Alors qu’entre 600 ou 700 personnes sont hébergées dans l’Isère, soit la moitié de celles qui en auraient besoin, il ne resterait qu’une centaine de places réservées pour des cas extrêmes dans ces centres d’hébergement. Par exemple, pour les cas de maladie, les femmes enceintes ou les enfants en très bas âge » précise Yvon Sellier. « Il y aurait peut-être déjà une première vague d’évacuation avenue Verlaine et une deuxième dans le foyer situé au 82 rue Jules Vallès. »
Les populations concernées ? En majorité des personnes d’origine étrangère, pour la plupart venues d’Europe de l’Est : Roumains, Bulgares, Serbes, Kosovars, Macédoniens, Hongrois… « Souvent, ils sont vus comme des Roms et, en tant que tels, stigmatisés et encore plus à l’écart de l’emploi que la moyenne de la population ». Et celui-ci d’ajouter : « C’est particulièrement vrai pour la Roumanie où, depuis le départ du dictateur Nicolae Ceaușescu et la fermeture des usines, ils n’ont plus rien pour vivre. »
Un débat houleux
La plupart des grandes associations humanitaires ont aussitôt réagi et appelé à l’action : le Réseau Éducation Sans Frontières, le Secours catholique, Médecins du Monde, la Cimade, Roms Action, Un toit pour tous… Une petite trentaine de personnes se sont également réunies rue Félix Poulat pour former un « cercle du silence » afin d’alerter l’opinion publique. Mais le plus gros des troupes s’est dirigé vers la mairie de Grenoble, où se tenait, ce mercredi à 18h, le débat autour du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté. « On a été informé de ce colloque rassemblant des responsables politiques concernés par l’hébergement », précise Yvon Sellier. Y participaient notamment Richard Samuel, le préfet de l’Isère, Michel Destot, le maire de Grenoble et Olivier Noblecourt, adjoint à l’action sociale et familiale, vice-président du CCAS et co-président de la commission logement, politique foncière et accueil des gens du voyage à la Métro. Mais aussi Martin Hirsch, ancien président d’Emmaüs France, et François Chérèque, inspecteur général des Affaires sociales.
Trois cents personnes environ se sont ainsi entassées dans la salle de réception de l’hôtel de ville. « C’était l’occasion idéale pour sensibiliser le public et ces personnes proches du pouvoir » reconnaît Yvon Sellier qui a pris la parole sans qu’on la lui ait donnée. « Je bouillais trop ! ». Plusieurs militants d’associations sont intervenus, notamment pour dénoncer des situations « tragiques ». « Nous avons perturbé le déroulement d’une assemblée qui allait relativement dans le bon sens. Le problème, c’est que non seulement les actes ne suivent pas, mais vont à l’inverse, avec cette décision de mettre à la rue des personnes jusqu’alors hébergées. »
Une nouvelle inattendue
Le problème sur Grenoble n’est pas nouveau. Début juin, La Patate Chaude avait une fois encore dénoncé la situation. « Nous avions attiré l’attention des pouvoirs publics sur le fait que des gens restaient à la rue et étaient bousculés par la police de place en place, quand ils n’étaient pas évacués dans leur pays dans le cadre d’un départ volontaire. » L’association avait en outre dénoncé « les conditions exécrables d’entassement, d’insalubrité et d’insécurité dans les locaux ». A savoir avenue Verlaine, où vivent une centaine de personnes pour une seule douche opérationnelle, et le foyer au 82 rue Jules Vallès accueillant jusqu’à 300 personnes dans des conditions d’hygiène rudimentaires. « Nous avons aussi alerté le Conseil général de l’Isère sur le fait qu’il s’intéressait de moins en moins à certaines populations comme les enfants en danger, dont la protection relève pourtant de ses missions » affirme Yvon Sellier. Et de dénoncer la non-application de toute une série de lois. (cf. encadré ci-dessous)
Si les conditions d’hébergement étaient loin d’être idéales, de l’avis des associations, personne ne s’attendait cependant à un tel retournement de situation. « Le gouvernement, à la différence des précédents, n’avait jusqu’alors pas mis les gens à la rue à la sortie de l’hiver. Qui plus est, l’intention affichée de la préfecture était de maintenir l’hébergement. » D’où la surprise générale. « La priorité absolue pour nous est que les gens aient un toit et du pain. On est en train de régresser de ce point de vue. »
Ce jeudi 20 juin, une réunion se tenait dès 18h à la Maison des associations, à l’initiative de la Coordination iséroise de solidarité avec les étrangers migrants (Cisem). Une dizaine d’associations, des individus et des petits collectifs grenoblois, se sont ainsi retrouvés sur place. Avec un objectif : tenter de faire entendre leur voix. D’autant que les opérations d’évacuation ont commencé. « Il y a déjà des personnes à la rue sur les trois principaux sites. »
La Cisem a ainsi décidé d’une dizaine d’actions en direction des autorités et des hébergés avec la distribution de tracts en quatre langues. Mais aussi à l’attention des travailleurs sociaux. « Nous leur rappelons que ce n’est pas leur métier de dire aux familles de partir et qu’ils ont le droit de refuser un ordre illégitime. On vire ces personnes illégalement alors même que certaines ont un bail jusqu’à octobre. » En attendant, le combat continue pour les associations qui ne comptent pas relâcher la pression.
Muriel Beaudoing
* La préfecture, sollicitée dès le 20 juin au matin, n’a pas donné suite à notre demande d’interview.
N. B. : L’article a été complété vendredi 21 juin, suite à la réunion organisée la veille par la Cisem.
Le logement, un droit… et des lois pas forcément appliquées
Souad du collectif Kevin et Sofian accompagnée d’une famille Kosovar expulsée de son logement. © Véronique Serre
Martin Hirsch et François Chérèque étaient présents au débat autour du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté. Au micro : Robert Allemand, responsable de l’antenne grenobloise de Médecins du Monde.
© Véronique Serre
- La convention du Conseil européen des droits de l’homme qui date de 1954 prévoit le droit à un logement.
- Le préambule de la constitution de 1958 stipule que chacun a droit à un toit.
- La cour de cassation a rappelé, par deux arrêts successifs, que le droit au logement était un droit fondamental.
- La loi Dalo prévoit un droit au logement opposable.
- L’article L 345−2−2 du Code de l’Action Sociale et des Familles prévoit que toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique et sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d’hébergement d’urgence.
- L’action sociale du Conseil général de l’Isère a un volet Enfance en danger qui l’oblige à recueillir les enfants à la rue.