INTERVIEW – Parti politique en construction, la Force Citoyenne Populaire (FCP) a été créée dans la foulée des dernières rencontres du Forum Social des Quartiers Populaires. Elle s’appuie sur diverses expériences de luttes politiques issues de ces quartiers, dont Diversité à Lyon et Allons Quartiers ! à la Villeneuve de Grenoble. A gauche sur l’échiquier politique, elle ne se sent pas représentée par les autres partis de gauche. Son ambition ? Devenir une force politique autonome qui s’attaque aux problèmes du pays du point de vue des quartiers populaires. Interview de son représentant à Grenoble, Yann Berthier, par ailleurs président d’Allons Quartier !.
Quelles sont les principales difficultés de la Villeneuve aujourd’hui ?
Yann Berthier, président d’Allons Quartiers ! et membre de la Force Citoyenne Populaire
Chômage, pauvreté, discrimination, trafics, violence… Inutile de développer ces points, ils sont connus et ne datent pas d’hier. Je préfère poser la loupe sur la nouvelle couche. La résignation est probablement le pire des fléaux qui frappent aujourd’hui les jeunes du quartier. Ceux qui en réchappent le font souvent soit avec un individualisme et un relativisme moral alarmants, soit dans un repli communautaire refuge. D’ailleurs, on peut parler des replis communautaires au pluriel, le communautarisme « gaulois retraité » n’étant pas le moins organisé sur le quartier. Il y a encore 20 ans, les jeunes cherchaient à s’organiser en associations sportives ou culturelles. Certaines sont encore là, mais il n’y a pas de relève.
La municipalité préfère aujourd’hui jouer la carte des moyens municipaux et fait venir des prestataires pour animer les fêtes de quartier et palier, en apparence, au délitement de la vie associative. Mais c’est un cercle vicieux qui n’a d’intérêt que dans un calcul électoral. Car face à des feux d’artifices et des comédiens professionnels, quelle reconnaissance peuvent espérer des jeunes sans moyens ? Les seuls à tenir encore face à la municipalité sont les fameux « Gaulois », comme ils s’appellent eux-mêmes, mais ils sont isolés du reste de la population pour des raisons générationnelles et idéologiques.
Comment voyez-vous la Villeneuve dans 40 ans ?
Il faudrait une boule de cristal ! Plus sérieusement, on ne peut pas séparer l’évolution d’un quartier populaire comme la Villeneuve de celle de la société française dans son ensemble. Les quartiers populaires sont un amortisseur social. Les problèmes qu’on y rencontre sont ceux de toute la société, mais en plus concentrés. Alors dans 40 ans ? Du pire au meilleur, on peut imaginer :
Scénario 1 : banlieue 38…
Si les racismes et les populismes continuent de grimper et que la politique économique continue de produire de l’exclusion, on peut malheureusement craindre le pire. L’achat de la paix sociale – qu’une ville riche et ouverte culturellement comme Grenoble peut se permettre – pourrait alors évoluer vers une gestion sécuritaire autour des quartiers sud et un abandon des populations à l’intérieur.
Scénario 2 : la gentrification.
La Villeneuve a 40 ans. Et dans 40 ans ?
Le foncier étant rare et cher sur Grenoble, on peut imaginer que les populations les plus pauvres seront repoussées plus loin pour loger les salariés de l’économie à forte valeur ajoutée. Une touche d’optimisme dans ce scénario verrait au moins une partie des habitants actuels accéder à ce nouveau statut social.
Scénario 3 : un quartier comme les autres dans une France qui aura changé.
On peut imaginer que si le pays s’accepte pour ce qu’il est – le produit de migrations successives unies par une communauté de destin, sans que quiconque ait à renoncer à son passé pour écrire ensemble l’avenir – s’il relève les défis de ce début de millénaire et retrouve une prospérité partagée, il fera bon vivre à la Villeneuve. Cela prendra bien 40 ans…
Comment y arriver ?
Vous comprendrez qu’on préfère se concentrer sur le troisième scénario. Les solutions sont de deux ordres de grandeur : une de politique nationale, l’autre de politique locale. Sur le plan national, il faudrait que les politiques cessent d’ethniciser, de culturaliser et même de cultualiser des problèmes sociaux pour masquer leur échec en la matière. Les problèmes d’intégration n’ont rien à voir avec l’Islam et tout à voir avec les origines sociales des migrants. Le patronat français voulait une main d’œuvre docile pour ses usines. Il a fait venir des paysans des douars (ndlr : petits villages du Maghreb). L’accueil de ces populations aurait dû coûter cher en matière d’éducation, de logement, de santé. Mais comme toujours, on a privatisé les bénéfices et laissé à l’Etat le soin de payer la note, ce qu’il n’a fait qu’au rabais.
Il n’est jamais trop tard pour bien faire, mais encore faudrait-il en avoir la volonté politique. Cette volonté devra être forte car elle devra sortir les Français de leur dérive identitaire qui les enferme dans des postures dogmatiques de fuite de la réalité et de recherche de boucs émissaires.
Elle devra être engagée dans un véritable investissement en matière d’éducation et de rétablissement de la présence publique, avec une obligation de résultats, pas de moyens. Elle devra être généreuse car la note sera salée, mais quel est le prix de l’avenir ? Les jeunes, nombreux dans les quartiers populaires, sont la clé du sursaut du pays, à condition que ce dernier leur tende les mains différemment. Au lieu d’un Flash-Ball dans la main droite, la valorisation et la reconnaissance de l’effort. Au lieu de l’assistanat dans la main gauche, des contrats de travail. Mais pour aller dans ce sens, les habitants des quartiers populaires doivent sortir de leur léthargie et reprendre leur place dans le débat citoyen.
Propos recueillis par Lucas Piessat