Iranoblois : entre espoir et défaitisme

Iranoblois : entre espoir et défaitisme

REPORTAGE – Dans le contexte des élec­tions orga­ni­sées en Iran les 14 et 21 juin, la com­mu­nauté ira­nienne expa­triée regarde d’un œil scep­tique la situa­tion dans la République Islamique. Revendication d’un pays démo­cra­tique ou expres­sion du rejet d’une consti­tu­tion qu’ils ne recon­naissent pas, ces Iraniens n’iront pas voter. Une démarche qui pour­rait être qua­li­fiée de « défai­tiste » et qui est le résul­tat d’un régime dic­ta­to­rial en place depuis plus de 30 ans. Ce qui ne les empêche pas d’espérer un changement. 
© Roxane D'Arco

© Roxanne D’Arco

« On ne sait pas exac­te­ment com­bien d’Iraniens sont sur Grenoble » déclare sobre­ment Neda* qui vit dans la capi­tale des Alpes depuis 40 ans. « Il faut savoir aussi qu’un cer­tain nombre d’entre eux sont fran­çais, sans comp­ter des membres de la com­mu­nauté qui ne se mêlent pas aux autres. » Un recen­se­ment dif­fi­cile dû aux jeunes qui viennent faire leurs études et à ceux qui résident en France depuis plus de 30 ans.
On dénombre ainsi entre 500 et 600 « Iranoblois ». Une dia­spora assez impor­tante, mais qui n’a rien de com­pa­rable avec la com­mu­nauté ira­nienne rési­dant en Californie esti­mée à 2 mil­lions de per­sonnes, sur les 5 mil­lions d’Iraniens vivant hors de leur pays. 
Neda est venue en France avant la révo­lu­tion pour y faire ses études. Puis elle y est res­tée. Tout comme Mohamad, elle a décidé de faire sa vie dans un pays por­teur de laï­cité, valeur à laquelle elle tient tout par­ti­cu­liè­re­ment. D’ailleurs, Mohamad « ne sup­porte pas » la reli­gion. Il est dif­fi­cile pour ces expa­triés d’imaginer la vie quo­ti­dienne en Iran.

© Roxane D'Arco

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Cette femme d’une soixan­taine d’années « a tou­jours envie de retour­ner dans son pays, mais plus pour y vivre ». Comme ses com­pa­triotes vivant à Grenoble, elle refuse de voter pour ce régime. Pour elle, voter signi­fie­rait accep­ter cette consti­tu­tion que tous dénoncent. Saeed, de son côté, explique : « l’arbre à des racines pour­ries. Si j’acceptais de voter, pour­quoi serais-je venu ici ? Le gou­ver­ne­ment choi­sit entre six et huit can­di­dats pour qui les Iraniens ont le droit de voter. Mais même-là, ils trichent. »
Un choix illu­soire donc. D’autant que le vain­queur de l’élection serait pré­dé­fini. La cor­rup­tion, la crainte, la liberté d’expression bafouée, l’autoritarisme du Guide suprême… Tous ces élé­ments les amènent à boy­cot­ter le scru­tin du 14 juin.
La situa­tion actuelle, résul­tat du régime du Shah ? 
© Roxane D'Arco

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Pour autant, cela ne veut pas dire qu’ils se dés­in­té­ressent de l’état de leur pays. Ils s’informent. Beaucoup. Pour cela, ils consultent une dizaine de sites dif­fé­rents et se font leur propre ana­lyse. Leurs sources : les jour­naux publiés à l’étranger, acces­sibles sur le net pour avoir les infor­ma­tions au jour le jour, des émis­sions de radios dif­fu­sées sur Internet ou les ondes courtes et même la télé­vi­sion offi­cielle iranienne.
« On s’informe aussi sur les mesures prises par les ins­tances inter­na­tio­nales à l’encontre de l’Iran, les pres­sions poli­tiques ou éco­no­miques, par exemple », ajoute Reza. Faire par­tie d’une com­mu­nauté, c’est se trans­mettre les nou­velles, mais éga­le­ment les com­mu­ni­quer aux proches, qu’ils soient en Iran ou ailleurs.
Reza, qui a récem­ment rejoint sa fille et son fils à Grenoble, suite à des dif­fi­cul­tés pour trou­ver du tra­vail en Iran, s’enflamme : « c’est notre pays ! On y a notre famille, on est inté­ressé. On veut savoir vers où va notre pays, même si l’on sait per­ti­nem­ment que ce n’est pas la bonne direction. »
Les Iraniens de Grenoble sont d’ailleurs sur­pris de consta­ter que « c’est très calme », contrai­re­ment à 2009. « Il n’y a eu qu’un seul mou­ve­ment de pro­tes­ta­tion à l’occasion de l’enterrement d’un chef reli­gieux », raconte Neda. « On dirait que tout le monde s’en fout », ajoute Davood. 
© Roxane D'Arco

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Malgré cette situa­tion, aucun d’eux ne regrette le Shah. « Le régime d’aujourd’hui est le résul­tat d’une poli­tique dic­ta­to­riale où la liberté d’expression n’existait pas », explique Neda. Un fossé est tou­te­fois apparu entre les jeunes et les anciens. Entre une géné­ra­tion qui reven­dique la liberté indi­vi­duelle et la pré­cé­dente qui a fait la révo­lu­tion de 1979 pour obte­nir la « liberté poli­tique ». C’est-à-dire le droit de s’exprimer et de se rassembler.
Des attentes dif­fé­rentes qui les amènent à pen­ser que les jeunes sont le plus grand espoir du pays de l’ayatollah Khomenei. « Ceux qui sont en Iran sont déses­pé­rés. C’est cette jeu­nesse qui n’a connu que ce régime qui se révolte contre lui. Même si ses choix [poli­tiques] ne sont pas très clairs, je suis sûre qu’elle est plus lucide que nous qui étions dans une sorte de roman­tisme révo­lu­tion­naire » conclut Neda. En atten­dant, ces expa­triés irano-gre­no­blois n’iront pas mettre leur bul­le­tin dans une urne. 
Roxanne D’Arco et Sara Saidi  
* Tous les pré­noms ont été modi­fiés par mesure de sécu­rité, les per­sonnes inter­ro­gées étant poten­tiel­le­ment ame­nées à se rendre en Iran. 

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