ENTRETIEN – Alors qu’Europe Ecologie les Verts espère conquérir Grenoble l’année prochaine, l’écologiste Olivier Bertrand revient sur la politique menée par la municipalité et justifie sa double casquette. A la fois conseiller général de l’Isère de la majorité et conseiller municipal d’opposition à Grenoble, il assume plus que jamais cette position d’apparence contradictoire face à deux exécutifs socialistes.
Echirolles accueillait le 13 avril dernier la convention nationale d’Europe Ecologie-Les-Verts (EELV). Etait-ce pour marquer Grenoble comme la ville à prendre aux prochaines municipales ?
Ce n’était pas la seule raison. Il y a une forte implantation écologiste à Grenoble. Pas seulement de l’écologie politique, mais aussi des préoccupations environnementales quotidiennes en raison de la géographie alpine, de la pollution atmosphérique et de la concentration de « matière grise » dans le bassin. Le national d’EELV reconnaît notre sens de l’organisation en Isère et nous confie volontiers ces grands rendez-vous. Le parti n’a pas besoin de transporter du monde pour que les salles soient remplies.
Et aussi parce que l’autonomie des écolos est plus forte à Grenoble qu’ailleurs ?
Indéniablement ! C’est le fruit de l’histoire politique grenobloise. De l’époque Carignon, où les militants écologistes se sont battus seuls et ont démontré leur capacité à ne jamais passer du compromis à la compromission. Aujourd’hui encore, nous ne sommes pas supplétifs au PS pour repeindre à la marge une partie de son programme en vert. Nous sommes capables de nous entendre avec d’autres formations tout en fixant nos lignes jaunes. En 2008, Michel Destot les a franchies en s’ouvrant à la droite et à des membres de l’équipe Carignon. Le projet de rocade nord défendu par la municipalité a achevé l’éloignement.
Jean-Vincent Placé, le président du groupe EELV au Sénat voit déjà Eric Piolle, votre collègue conseiller régional, en tête de liste. C’est ficelé ?
Il en a les compétences mais ce n’est pas à eux de le dire, il y aura un vote local à la rentrée comme le prévoit notre organisation. Nous envisageons qu’il soit élargi au-delà d’EELV puisqu’il y a les mouvements avec lesquels nous avons l’habitude de travailler comme les alternatifs et l’Association démocratie écologie solidarité (ADES)…
… L’ADES qui a apporté son soutien au tout jeune réseau citoyen. Vous l’avez démarché ?
Nous avons rencontré ses membres, comme ils ont rencontré d’autres mouvements. Ils tiennent à leur indépendance et ils ont raison. C’est important qu’un mouvement s’affirme avec un projet avant d’entrer en dialogue avec d’autres organisations politiques.
Mais le réseau citoyen semble déterminé à présenter une liste autonome. Vous ne craignez pas une dispersion de vos voix ?
Pour modifier la donne à Grenoble et porter un projet alternatif, il faut se rassembler. Ensuite, à chacun de se fixer un objectif. Soit faire de la figuration comme Jean-Luc Mélenchon en s’appuyant sur les municipales pour atteindre les européennes, soit s’impliquer sincèrement à Grenoble.
Qui d’autre ?
Nous avons vocation à travailler dans une large recomposition. Depuis le Parti de Gauche jusqu’à certains centristes qui portent des projets intéressants comme Stéphane Gemmani. Ce ne sont ni l’étiquette, ni la personne, mais les projets et les objectifs communs qui nous intéressent.
Plus rien n’est possible avec les socialistes ?
Nous avons des désaccords fondamentaux. L’actualité de la semaine les a encore révélés avec cette annonce d’armement nocturne des policiers municipaux. Il n’en a jamais été question en conseil municipal, alors même que cela pose problème dans la majorité. L’entrée en application en mars 2014, en pleine campagne municipale, n’est pas anodine. C’est de l’instrumentalisation de questions sécuritaires, alors que Jérôme Safar a précisé que les policiers municipaux n’interviendraient pas avec leurs armes dans les quartiers placés en Zone de Sécurité Prioritaire (ZSP).
Quid de la vidéosurveillance ?
Un comité éthique a été nommé en 2010 avec l’expérimentation sur quatre sites de la ville. Nous attendons toujours le bilan qui devait être dressé avant de développer la vidéosurveillance. Le premier adjoint décide seul, c’est la « méthode Safar ». La majorité verrouille plusieurs secteurs, où il sera difficile de faire machine arrière, pour que l’inaction ne puisse pas lui être reprochée et, surtout, pour infliger ces décisions lourdes aux successeurs, si une nouvelle majorité venait à se dessiner. Nous retrouvons le même cas de figure avec le renouvellement anticipé de la délégation de service public de GEG, dont Jérôme Safar est le président, alors qu’il était prévu en 2016.
Qui représente la véritable opposition à Grenoble ?
La droite tient son rôle dans le rapport de force traditionnel mais quand on regarde la réalité de la vie politique grenobloise, on se rend compte que Michel Destot applique une politique de droite. Le stade des Alpes, la rocade, les JO, la Presqu’île… Grenoble est la seule ville en Rhône-Alpes à financer des pôles de compétitivité, à hauteur de trois millions d’euros par an qui correspondent à un point d’impôts.
Le compte administratif de l’année 2012 était voté lundi en conseil municipal. Jérôme Safar, cette fois-ci avec sa casquette du budget, s’est félicité des efforts de maîtrise de la dette en parallèle d’une augmentation de la subvention du centre communal d’action social (CCAS). Les comptes de l’année écoulée illustrent selon vous une politique de droite ?
Il y a des distinctions sur le CCAS et le secteur socioculturel. Pour autant, les directions prises par l’équipe municipale ne sont clairement plus des marqueurs de gauche. La majorité a augmenté très fortement les impôts de 9,5 % dès la première année de mandat pour s’assurer de pouvoir financer ses grands projets d’urbanisme. Et ça continue avec l’agrandissement du stade Lesdiguières qui va coûter encore très cher à la ville de Grenoble. Le stade des Alpes, dont la facture s’élève à 91 millions d’euros, handicape la Métro qui ne s’en remet pas à en croire le rapport de la cour des comptes. Est-ce une priorité d’avoir deux grands stades à Grenoble ? Ce n’est pas une urgence de financement public. On n’a plus le droit de gaspiller de l’argent.
Dans l’opposition à Grenoble face aux socialistes, mais avec eux au Conseil général et au gouvernement : la position des Verts n’est-elle pas trop inconfortable au quotidien ?
Lorsque nous avons fait ce choix de rupture en 2008, nous ne nous sommes pas considérés comme de l’opposition, mais comme une minorité. On ne se contente pas de « taper ». On apporte aussi une alternative constructive. Par ailleurs, être dans une majorité n’implique pas d’en partager toutes les orientations. C’est le principe de l’autonomie contractuelle d’Europe Ecologie les Verts. Cela signifie qu’à chaque échelon territorial, dans chaque collectivité, on cherche à faire avancer notre projet et nos idées s’il y a des atomes crochus. Ce n’était plus le cas à Grenoble.
André Vallini, que nous avons croisé dans les couloirs en venant nous a dit à propos des écologistes au conseil général : « Avec des alliés comme ça, plus besoin d’opposants ! »
Nous avons fait le choix d’être dans la majorité parce que nous ne sommes que deux écologistes au conseil général. Nous ne sommes pas dans l’exécutif donc nous ne leur devons rien contrairement à ce que l’UMP38 affirme. L’indemnité de 300 euros par mois issue de l’écrêtement du Président, est actuellement la seule manière de rétribuer le délégué aux nouvelles mobilités que je suis. Ce système est mauvais, je le reconnais, mais Jean-Claude Peyrin, lui-même président de l’UMP38 et conseiller général, l’a voté. Qu’il ne vienne pas nous donner des leçons. C’est une fausse affaire typique des méthodes d’Alain Carignon et de sa « cellule riposte ». Ils cherchent à nous salir avant les municipales.
Alors que le projet de l’achèvement du dernier tronçon de l’A51 entre Grenoble et Sisteron a été rouvert par André Vallini à la fin de l’année 2012, d’aucuns vous reprochent de ne pas vous positionner assez fortement contre ce projet.
C’est parce que je suis certain que ça ne se fera pas ! L’adossement à des concessionnaires privés pour financer la totalité d’une infrastructure est interdit par l’Union européenne. Par ailleurs, la commission mobilité 21 qui définit les grandes priorités des infrastructures pour les décennies à venir prévoit de reporter le projet de trente ans. Ce qui dans la bouche de l’administration veut dire jamais. André Vallini a ressorti ce projet par pur stratégie de triangulation. Pour couper l’herbe sous le pied de l’opposition et s’attirer les lauriers du monde économique. Je n’ai aucune inquiétude sur le dossier de la rocade Nord non plus, ni même sur la tangente Est-Ouest imaginée par Alain Carignon. Je peux très bien dire que des soucoupes volantes relieront Grenoble à Meylan, mais ce serait démagogique.
Alors quelles solutions pour fluidifier les déplacements dans le bassin grenoblois ?
Pour les marchandises, il y a la solution du transport multimodal. Mais pour l’agglomération grenobloise, l’élargissement de l’A480 et l’aménagement du Rondeau même s’ils ne nous satisfont pas, sont davantage réalisables que ces grands projets. Pour le reste, ça demande des changements de comportement et une révision de nos méthodes de mobilité, non pas par une solution unique de déplacements, mais par un panel, à commencer par une véritable « politique vélo » dans la ville. Notamment, des stages de remise en selles et des solutions d’attaches plus nombreuses en ville.
Propos recueillis par Victor Guilbert
L’entretien a été réalisé vendredi après-midi dans le bureau d’Olivier Bertrand au conseil général. Il n’a pas été soumis à relecture. Un ajout a été fait mercredi 22 mai pour corriger un contre-sens dans la dernière réponse.
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