ENQUÊTE - Alors qu'une trentaine de monnaies locales complémentaires circulent déjà en France, dont l'élef officiellement lancé à Chambéry fin 2014, Grenoble n'est pas en reste. Depuis plusieurs mois, un groupe citoyen travaille à la création d'une monnaie locale sur le bassin grenoblois. De quoi s'agit-il et à quoi cette monnaie peut-elle bien servir ? Le point avec un citoyen engagé et un économiste, tous deux impliqués dans le projet.
Cela pourrait commencer comme un conte moderne… Il était une fois l'abeille, première monnaie locale à renaître sur le territoire français. Car, en effet, les monnaies locales ont circulé jusque dans les années 50 avant de disparaître, laissant le monopole au franc puis à l'euro.
L'abeille fit entendre ses premiers bruissements d'ailes en 2010 à Villeneuve-sur-Lot. Depuis, l'essaim s'est agrandi. En cinq ans, pas moins d'une trentaine d'autres monnaies ont vu le jour et autant d'autres projets sont en cours. Sans compter les monnaies locales étrangères qui ont eu le vent en poupe avant même les françaises.
L'abeille dans le Lot-et-Garonne, donc, l'eusko au pays basque, le sol violette à Toulouse, l'élef à Chambéry… Les monnaies locales complémentaires (MLC) issues d'initiatives citoyennes ont assurément un air sympathique avec leur noms originaux et leurs billets colorés et créatifs. Mais, dans le fond, deux questions viennent à l'esprit : de quel chapeau sortent-elles et à quoi servent-elles ? Car, après tout, nous avons l'euro !
Renouer avec la nature profonde de la monnaie
« Une MLC est un moyen de sortir du sentiment d'impuissance au niveau monétaire et d'avoir une prise concrète sur le sens de l'argent. De ce point de vue, c'est un projet démocratique fort », explique Olivier Truche, secrétaire de l'association nationale du Mouvement sol pour une appropriation citoyenne de la monnaie. Cet entrepreneur au sein de la Scop 3bis – coopérative d'activités située dans le quartier Mistral – est au cœur du projet grenoblois de MLC.
« Cela permet de renouer avec la nature profonde de la monnaie qui est le lien et l'utilité sociale », précise Jean-François Ponsot, maître de conférence en sciences économiques et chercheur à l'Université Pierre Mendès-France (UPMF).
« Avec la crise économique, certaines personnes se sentent en marge, exclues du système économique. Il y a donc une volonté de s'approprier les instruments de l'économie. »
Le cœur du problème ? Les banques et leur “pouvoir magique”. « La question de fond, c'est la création monétaire, explique l'économiste. Elle est assurée par les banques qui ont une espèce de pouvoir magique de créer de la monnaie à partir de rien… et en abusent. Normalement, elles devraient financer l'économie réelle. Or elles spéculent. »
Et de rappeler que seulement 15 % du financement des banques sont consacrés à l'économie réelle, le reste étant utilisé pour spéculer. « On ne peut pas se passer des banques qui prennent un risque et financent le crédit. Seulement, le système est perverti, ce qui amène aux monnaies locales », analyse Jean-François Ponsot.
« Avec ces monnaies, on sort de la logique de spéculation car leur valeur est garantie par un équivalent en euros [un fond de garantie monétaire est conservé en banque, ndlr]. De plus, je crois qu'elles peuvent avoir une utilité sociale si elles sont largement utilisées au sein d’une agglomération et qu'elles alimentent des transactions qui ont un sens. »
Lutter contre la spéculation et injecter de la monnaie dans l'économie réelle, qui plus est vers des circuits locaux et vertueux définis par les citoyens eux-mêmes, voilà donc les fondements d'une MLC.
A ce propos, Olivier Truche rectifie d'emblée une idée erronée souvent rencontrée : « Ce n'est pas une monnaie alternative qui remplacerait l'euro. Elle a vocation à circuler en parallèle de l'euro. C'est une manière de contraindre l'euro à circuler sur un même territoire et d'éviter les fuites. Il ne s'agit pas d'une économie régionaliste concurrente mais complémentaire. »
Le nécessaire soutien des collectivités locales
A Grenoble, le projet est dans les tuyaux depuis quelques mois avec, comme principaux acteurs, un groupe de chercheurs sur les innovations monétaires de l'UPMF et un groupe de citoyens militants pour la création d'une MLC.
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