ENTRETIEN – Les communistes grenoblois voient rouge. Irrités par l’alliance de leurs partenaires du Parti du gauche avec les écologistes pour les élections municipales, ils choisissent de leur côté de repartir avec les socialistes, malgré une « campagne autonome ». Jérôme Marcuccini, le secrétaire fédéral du Parti communiste en Isère s’inquiète de la désunion de la gauche et de la crise démocratique.
Le premier souvenir d’engagement militant de Jérôme Marcuccini remonte à 1993. Il est alors au lycée de Voiron « dans un état lamentable », quand François Bayrou, à l’époque ministre de l’Éducation, réforme la loi Falloux afin de « débloquer plusieurs milliards de francs pour rénover les lycées privés ». À l’issue d’une lutte de trois ans, les lycéens obtiennent la rénovation de l’établissement public. Par la suite, Jérôme Marcuccini militera contre le contrat d’insertion professionnelle (CIP) d’Édouard Balladur en 1994 et contre la réforme des retraites de 1995. Alors qu’il souhaite s’engager en politique, un ami lui déconseille d’adhérer au Parti socialiste, estimant « qu’il ne tiendra pas quinze jours avec ses idées ». Il s’oriente alors vers le Parti communiste, où il rencontre des militants « extrêmement critiques envers l’échec humain et démocratique des régimes soviétiques, et partageant des valeurs de paix, d’humanisme, de partage et de justice ». Membre de la direction départementale du parti en Isère depuis 2006 et premier secrétaire depuis 2008, il a également obtenu à cette date son premier mandat électif d’adjoint municipal à Voiron, en charge des déplacements, du stationnement et de la qualité de l’air. Il a ensuite déménagé de la commune, après avoir mené la restructuration urbaine du cœur de ville. Il pourrait apparaître sur la liste conduite par Jérôme Safar aux élections municipales de mars 2014 à Grenoble. Le 10 décembre dernier, les militants communistes grenoblois ont fait le choix d’une alliance avec la liste menée par le socialiste Jérôme Safar, dès le premier tour des élections municipales à Grenoble. Pourquoi avoir choisi une formulation aussi orientée dans les propositions qui leur étaient soumises ? Cette formulation reflétait l’état réel de nos discussions avec les deux listes de la gauche grenobloise. Nous avons même hésité à retirer la première option après avoir eu la confirmation de nos partenaires du Parti de gauche (PdG) qu’ils n’envisageaient aucune alliance avec les socialistes en cas de triangulaire au deuxième tour. C’est une position qu’il nous semblait important de signaler à nos militants lors de leur choix, car elle permettrait à la droite d’être l’arbitre en cas de maintien de ces deux listes. C’est un élément fort et structurant de la réflexion des communistes lors des périodes électorales. Si la formulation pose question, ce sont les positions du PdG à l’origine de cette formulation qui devraient plutôt être interrogées. C’est cette différence de stratégie qui a été le principal frein à un rapprochement avec la liste « Grenoble, une ville pour tous » ? Après avoir signé le projet municipal qui nous unissait au sein du Front de gauche, le PdG a conditionné son engagement à une alliance avec les écologistes. Or, le manque de sincérité de ces derniers est pour nous un blocage. Les écologistes font des déclarations d’opposition à la droite et à l’extrême droite mais l’expérience nous prouve le contraire. Quels exemples avez-vous en tête ? Les précédents sont sans ombres. Lors des élections cantonales de 2004, l’écologiste Olivier Bertrand a été élu face à un candidat socialiste, grâce au report des voix de la droite. En 2011, sur les cantons de Vinay et d’Échirolles, les écologistes ont refusé de soutenir – même face au Front national – Jean-Claude Coux et Sylvette Rochas, qui étaient les candidats de la gauche au deuxième tour. Nous avions été obligés de faire intervenir leur direction nationale pour que les écologistes se positionnent localement. Quand nous avions souligné ce manquement, la secrétaire départementale d’Europe-Ecologie-Les Verts (EELV) avait répondu qu’elle ne cèderait pas aux désistements « staliniens » réclamés par les communistes. Par ailleurs, les écologistes nous appellent aujourd’hui au rassemblement pour les municipales à Grenoble mais s’allient avec les socialistes et le Modem à Échirolles pour se débarrasser du maire communiste sortant, Renzo Sulli. Ils souhaitent faire croire à un problème de personne, mais c’est en réalité de l’anticommunisme de leur part. À l’inverse, si ce sont les écologistes qui sortent en tête d’une triangulaire à Grenoble, avez-vous l’engagement de Jérôme Safar d’un désistement ou d’une fusion au second tour pour faire gagner la gauche ? L’expérience ne nous laisse aucun doute. Jérôme Safar est un républicain. Nous n’avons pas d’accord signé avec lui, si ce n’est sur le contenu et la méthode de campagne. Alain Dontaine du PdG estime que vous avez « intériorisé le fait que vous ne pouviez plus gagner seuls », en étant « une force d’appoint au PS ». Que souhaitez-vous lui répondre ? Je lui laisse la responsabilité de ses propos car c’est eux qui considéraient qu’une liste Front de gauche était inutile à Grenoble. Une candidature autonome nous aurait permis de continuer de marquer notre voix et nos contenus politiques. Le Parti de gauche est-il aujourd’hui votre adversaire à Grenoble ? C’est à eux de le dire, s’ils rejettent l’unité. Ils travaillent à un accord avec les écologistes depuis deux ans. De notre côté, nous avons multiplié les appels et nous avons participé à la rédaction du projet du Front de gauche. Nous sommes au bout d’un processus. Les municipales seront un rendez-vous manqué pour le Front de gauche, mais il y aura d’autres occasions pour nous réunir à nouveau. Une réunification est-elle possible localement ? Nous ne sommes pas sortis du Front de gauche. Nous ferons campagne sur les contenus décidés ensemble, fidèles à nos engagements. S’ils veulent revenir, ils le pourront. Craignez-vous que la désunion de la gauche puisse être une opportunité pour le retour de la droite à Grenoble ? Il faut surtout craindre la sanction de l’abstention. Les rangs de la droite pourraient se resserrer alors que ceux de la gauche se clairsèment. Les promesses démagogiques de la droite sont un danger pour le vivre ensemble à Grenoble. Ils promettent de baisser les impôts pour les promoteurs et de diminuer les services pour les citoyens. Moins de social, moins de logements, moins d’équipements sportifs : c’est ce qu’ils avaient déjà offert à cette ville de 1983 à 1995. L’alliance de Matthieu Chamussy et d’Alain Carignon – le notable et le repris de justice – tourne à la farce. Alors qu’il ne s’est jamais repenti de ses fautes, Alain Carignon s’essaye aujourd’hui à une récidive en politique en expliquant qu’il est le recours. Si ce n’était pas si dramatique, ce serait hilarant. Partagez-vous le bilan de la municipalité sortante à Grenoble ? Nous partageons ses faiblesses comme ses forces. La municipalité n’a pas démérité depuis 1995, car Alain Carignon avait laissé une ville en ruine. L’équipe municipale sortante avait trouvé à l’époque une dette colossale et un logement social effondré. Tout n’est toutefois pas parfait dans notre bilan. C’est pour cela que nous faisons le choix d’une campagne autonome, malgré l’alliance, pour peser davantage encore sur le débat d’idées. N’est-ce pas également afin de vous détacher de certains engagements pris par Jérôme Safar, comme l’armement partiel des policiers municipaux à partir de mars 2014 ou l’augmentation du nombre de caméras de vidéosurveillance ? Nous y serons opposés. Nous voterons contre. Mais aucun vote du conseil municipal n’est programmé à ce sujet. Il y aura inévitablement un vote. Il nous a assuré que cela n’apparaîtrait pas dans ses engagements de campagne pour respecter les différentes composantes politiques de sa liste car la mesure ne fait pas consensus. Dans ce cas, est-ce transparent de sa part de prendre un engagement qui ne figurera pas dans son projet municipal ? Il a porté cet engagement mais nous demanderons à ce que le débat ait lieu. Restons sur le bilan et les promesses de campagne. En 2008, les socialistes s’engageaient à ne pas augmenter les impôts locaux. Une promesse contredite par les faits l’année suivante, avec une hausse de 9 %. Etait-ce nécessaire et indispensable ? D’abord, les impôts locaux sont injustes et nous demandons une réforme totale de la fiscalité, comprenant celle de la fiscalité locale, et une meilleure prise en compte des différences de revenus. Ensuite, cette augmentation n’était pas inévitable, mais c’est son usage qui était indispensable. Elle a notamment profité aux crèches, aux écoles et à la vie associative de la commune. L’action sociale a également été étendue. Des personnes qui, jusque-là, restaient exclues des dispositifs sociaux ont pu en profiter. C’est la preuve de l’efficacité. En vous associant aux socialistes, ne craignez-vous pas d’être la victime collatérale d’un vote sanction contre le gouvernement, que vous ne manquez pas de critiquer par ailleurs ? L’exercice est périlleux. Nous critiquons ce qui est critiquable et saluons ce qui est appréciable. En revanche, pourquoi critiquer localement ce qui va dans le bon sens ? Nous faisons la distinction entre les différentes échelles de décision. Le Parti communiste a longtemps été taxé de dogmatisme mais nous faisons aujourd’hui des choix politiques en fonction des enjeux. Pourquoi le débat national viendrait trancher localement ? Ne nous trompons pas de combat. Par ailleurs, le vote sanction est une mauvaise analyse. En revanche, je vois la désespérance et l’abstention qui gagnent du terrain. À l’élection cantonale partielle de Brignoles, ce n’était pas la victoire de l’extrême-droite mais celle de l’abstention. Comment expliquez-vous cette progression de l’abstention ? Quand la politique peine à apporter des solutions concrètes, c’est le contrat social qui est en difficulté. Ne pas aller voter, c’est aussi un choix politique : celui de laisser les autres choisir à notre place. C’est une erreur. La solution au changement n’est pas dans l’abstention, ni dans un vote qui accorderait une confiance démesurée aux élus. La repolitisation de la population et du pays est nécessaire. Un réengagement qui passerait notamment par la vie citoyenne, associative et syndicale. La reconnaissance du vote blanc, adoptée fin novembre, sera-t-elle bénéfique pour la vie démocratique ? C’est une bonne chose d’arrêter de nier l’abstention et ses raisons. Ceux qui ne vont pas voter ne sont pas forcément des mauvais citoyens. C’est aussi la traduction d’une désespérance politique. Mais la reconnaissance du vote blanc ne changera rien à la crise démocratique. Est-ce une crise démocratique ou une « habitude » de la démocratie qui nous ferait oublier sa fragilité ? C’est d’abord une crise de défaitisme et de résignation conséquente des choix de société faisant passer les marchés financiers avant les choix humains. Au même titre, la crise environnementale passe au second plan car la société ne répond déjà pas aux impératifs individuels de logement ou de nourriture. La résolution de ces crises passera inévitablement par la remise en question du paradigme dominant aujourd’hui : celui des marchés. Nous sommes force de proposition pour ce changement. À Grenoble, malgré votre alliance à la liste de Jérôme Safar, vous souhaitez mener une campagne autonome. Sur quelles thématiques portera-t-elle ? Sur le plan environnemental notamment, car il faut casser les préjugés. Les écologistes n’ont pas le monopole de cette préoccupation et de ses solutions. Il faut briser ce consensus moral. Nous lançons une pétition pour la gratuité des transports en commun. C’est une idée que nous portons depuis les élections présidentielles et législatives de 2012. Nous défendons également le projet d’une société d’économie mixte du chauffage au bois à Grenoble qui permettrait de chauffer 350 000 personnes avec le bois de la vallée du Grésivaudan. Pourquoi ne pas avoir proposé la gratuité des transports en commun précédemment ? Nous n’avons pas réussi à peser suffisamment. Si les Grenoblois s’emparent de cette proposition par notre pétition, elle aura désormais toutes les chances d’aboutir. Souhaitez-vous une tarification sociale des transports en commun allant jusqu’à la gratuité ou une gratuité universelle ? Nous souhaitons l’accès libre aux transports, sans suppression de personnel car nous aurons besoin de médiateurs. Les transports en commun seraient un droit et un espace commun, plus seulement un acte de consommation. Même à prix modeste, les populations les plus précaires n’accèdent pas aux transports. Une gratuité pour tous est par ailleurs envisageable car la participation des usagers n’équivaut aujourd’hui qu’à 17 % du coût réel. Une participation des usagers, même symbolique, n’est-elle pas nécessaire pour les responsabiliser vis-à-vis du bien commun ? Cet argument est aussi utilisé pour déguiser certaines volontés de mettre fin au remboursement des soins et des médicaments par la Sécurité sociale. Le paiement ne joue en rien dans la responsabilisation des usagers. Les retours d’expérience des communes d’Aubagne et de Châteauroux le prouvent. La délinquance s’effondre dans les transports en commun gratuits car il n’y a plus de resquilleurs ! L’actualité sociale iséroise a été marquée par la grève des agents territoriaux du conseil général et des pompiers, à l’occasion du vote du budget primitif 2014 du département. Les soutenez-vous dans leur mouvement ? Nous soutenons toujours les salariés en lutte qui se battent pour l’emploi et les salaires. Les élus communistes n’ont pas siégé à l’assemblée départementale de jeudi dernier pour s’opposer aux violences inacceptables qu’ont subies les manifestants de la part des autorités. S’agit-il d’un budget d’austérité ? Evidemment. C’est un budget de réduction des moyens. Mais il ne faut pas se tromper de responsables. Toutes les collectivités sont frappées par la baisse des dotations de l’Etat et les transferts de charges. Or, nous ne pouvons pas nous résigner à appliquer la méthode des économies budgétaires sans exiger une réorientation profonde de la politique nationale et européenne. L’austérité est une stupidité économique. Le conseil économique, social et environnemental (Cese) recommande d’étendre les services publics et de cesser les politiques d’austérité. Le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz a étudié les conséquences néfastes de telles politiques après avoir prévu l’explosion de la bulle spéculative aux Etats-Unis. L’histoire lui a déjà donné raison une fois. Quand écouterons-nous ceux qui savent mesurer les risques économiques plutôt que les conseillers des fonds spéculatifs qui nous ont précipités dans cette crise ? Il est urgent de faire des choix humains pour affronter les défis de l’avenir. Propos recueillis par Victor Guilbert Photos de Véronique Serre L’entretien a été réalisé le vendredi 13 décembre dans les locaux de la fédération iséroise du Parti communiste. Il n’a pas été soumis à relecture. Une correction de date a été effectuée après publication concernant les conditions d’élection de l’écologiste Olivier Bertrand aux cantonales.Extrait d’ouvrage choisi par Jérôme Marcuccini Préface d’Alexis Tsipras à « Maintenant, prenez le pouvoir » de Pierre Laurent :« Nous pourrions dire que le capitalisme financier mondial a une stratégie. Mais pour ce qui est des Etats ou des entités régionales, comme l’Union européenne, il semble que nos adversaires n’aient pas de stratégie claire, mais qu’ils soient mus uniquement par la panique. À mesure que la crise d’aggrave, l’UE est conduite à se dissoudre en proportion et nous confronte à cet oxymore : c’est nous, la gauche européenne, la force qui porte la critique structurelle des traités européens, de l’UE, du traité de Maastricht et de l’architecture de l’Union monétaire ; c’est nous qui devenons la force qui cherche à maintenir l’Europe en vie, alors que nos adversaires font de leur mieux pour la dissoudre ! » La conviction qu’il en tire C’est dans la droite continuité de cet entretien qui aborde la crise de la démocratie et la désertion des urnes par les citoyens. Il y a effectivement une stratégie financière qui pousse les gens à désespérer. Ce qui facilite la dissolution de l’Etat, de l’Union européenne et de la conscience collective. Il est urgent de reconstruire une Europe qui s’appuie sur la souveraineté. Nous sommes le cœur vif de ce projet. - Consultez ici les autres entretiens politiques du Dimanche de Place Gre’net.