REPORTAGE – Environ un millier de personnes se sont rassemblées à Grenoble pour lutter contre les violences faites aux femmes et aux minorités de genre ce samedi 21 novembre. Un appel national lancé par le collectif #NousToutes, qui organisait une journée d’action en ligne mais aussi en présentiel. Parti de l’hôpital couple-enfant de La Tronche, le cortège a pris la direction du boulevard Maréchal Leclerc, bifurqué jusqu’à la rue Très-Cloître et défilé sur les quais de l’Isère avant d’arriver à la place Saint-André en fin d’après-midi.
« Nous sommes fortes, fières, féministes, radicales et en colère. » Le slogan a résonné dans les rues de Grenoble à de nombreuses reprises ce samedi. Près de 1 000 personnes ont en effet battu le pavé pendant plusieurs heures pour dénoncer les violences faites aux femmes et aux minorités de genre. La marche a débuté à 16 heures devant l’hôpital couple-enfant de La Tronche. La troisième que le collectif organisait depuis son apparition en 2018.
Un cortège dense, composé d’associations féministes, de partis politiques et de syndicats1Alliance citoyenne, CNT38, Dal38, NousToutes38, Solidaires Isère, Rita, Le Strass Aura, UCL, UEG, Unef, NPA, EELV, Ensemble 38!, PAG38. Quelques gilets jaunes se sont même glissés dans la foule à la fin de la manifestation. Ils avaient célébré leurs deux ans d’existence quelques jours auparavant, mardi 17 novembre. Si chacun est resté derrière sa bannière, tous marchait pour une cause commune : la défense des droits des femmes. Et, de manière plus globale, la lutte contre les discriminations.
Une libération de la parole
Dans la foule, les masques couvraient les visages. Sur celui d’Isabelle, le signe de Vénus en noir et un poing levé rouge au centre du rond. Elle se définit elle-même comme militante lesbienne féministe depuis de longues années. « Je trouve qu’il y a une recrudescence du féminisme assez extraordinaire », s’enthousiasme-t-elle.
Elle fait partie de l’association Les Voies d’elles, sous l’égide du centre LGBTI La Cigale. « Pendant les années 80, il y avait un recul du féminisme, même presque une honte. Maintenant, on assiste au grand retour du féminisme ! », analyse-t-elle.
Depuis quelques années, la parole s’est libérée. Le mouvement #Metoo, amorcé en 2017 et repris en France avec #Balancetonporc, a permis aux femmes de témoigner.
« Je crois que nous, les femmes, peut-être pour la première fois de notre histoire, nous nous sommes rendu compte que nous étions moins seules, témoigne Louna, 33 ans. Que ce qu’on vivait, nous, d’autres femmes le vivaient. Peut-être que ça nous a rendues plus fortes », ajoute la jeune femme qui explique son point de vue sur l’évolution de l’égalité hommes-femmes :
Tout au long du parcours, elle a brandi sa pancarte arrimée à un manche à balai. Sur ce bout de carton, on pouvait lire un texte écrit en violet : « Ma jupe n’est pas une excuse à tes blagues sexistes, ton harcèlement, ton viol ». Dans son métier de metteure en scène, elle tente de faire évoluer les mentalités. Mais cela demande du temps, observe-t-elle.
Un confinement qui accentue les violences envers les femmes
« On se mobilise aussi contre les violences économiques, sociales et politiques que ces personnes vivent », détaille Emma du collectif NousToutes 38. Des violences exacerbées par le confinement. Celui-ci a en effet mis en évidence une aggravation des violences. Les appels ont afflué sur le standard du 3919, numéro dédié à l’aide aux victimes, pendant le premier confinement. Le nombre d’appels est alors passé de 2 000 à plus de 8 000 par semaine.
Une étude nationale révèle qu’en 2019, 146 femmes ont en effet été tuées par leur partenaire ou ex-partenaire. Et que 84 % des morts au sein du couple sont des femmes. Cette même année, en France, les forces de sécurité ont enregistré un peu plus de 142 000 victimes de violences commises par leur partenaire – soit une hausse de 16 % sur un an – dont près de 126 000 femmes.
Emma pointe du doigt le risque d’accroissement des inégalités que fait également peser cette crise. D’autant plus que les salariés qui ont continué de travailler pendant le confinement – les fameux “premiers de corvée” – étaient en grande majorité des femmes. « Macron a décidé de donner des primes et des médailles, c’est bien gentil. En attendant, ça ne change absolument rien aux conditions de travail dans lesquelles ces personnes exercent », s’agace Emma.
Rendre visibles les violences faites aux femmes
Cette manifestation de NousToutes cherchait donc à promouvoir cette lutte. « C’est un moment de visibilité. Surtout en période de confinement », insiste Odile, enseignante et militante à Solidaires. Les slogans scandés, la fanfare et quelques discours ont également permis de faire entendre la voix des manifestantes sur le parcours. « Il faut interpeller la société civile et qu’il y ait de vraies réactions pour que la peur change de côté », affirme Isabelle.
Non loin d’elle, Bénédicte et Maud hissent chacune un drapeau. Un rouge, sur lequel on distingue les trois lettres du NPA, et un autre rose et violet de Solidaires. Elles arrivent de Chambéry car aucune manifestation n’était prévue là-bas. Elles ont donc décidé de venir grossir les rangs du cortège grenoblois. « La question féministe revient sur le devant de la scène mais il reste énormément de choses à faire », observe Bénédicte.
Sa collègue acquiesce. Enseignante-chercheuse en lettres et sciences du langage, elle peine à faire sanctionner les harceleurs. « On a beau se démener et faire des dossiers pour que les auteurs soient punis, ça reste compliqué », constate Maud. Et la polémique autour de la tenue républicaine en début d’année scolaire l’a profondément choquée.
Dans la foule, on distingue quelques femmes voilées de l’Alliance citoyenne, vêtues d’un t‑shirt bleu. Au micro, elles réclament le droit de se vêtir partout comme elle le veulent. L’association avait notamment mené des opérations burqini dans une piscine municipale de Grenoble en 2019 et suscité la polémique et de vifs débats. Une action notamment vivement critiquée par Naëm Bestandji, féministe laïque, dans un billet.
À la croisée des luttes
Beaucoup de jeunes étaient présents dans le cortège. Parmi eux, Rose et Sima, dont seuls les yeux étaient visibles entre leur masque et leur bonnet. Les deux lycéennes s’intéressent aux questions de féminisme. Mais Sima regrette que « certains propos extrêmes décrédibilisent la cause ».
Elle prend l’exemple du “manspreading”, perçu par certains militants comme un symbole de domination masculine. Un terme qui désigne l’étalement de certains hommes, notamment dans les transports en commun, laissant moins de place aux femmes dans l’espace public. « Ces propos passent mal ou ne sont pas bien compris, se désole l’étudiante. C’est dommage ».
Pour certains militants féministes, le combat s’inscrit dans une perspective intersectionnelle, en opposition au féminisme universaliste historique. Une notion importée des États-Unis par les sciences sociales au début des années 2000. Pour le sociologue Éric Fassin et l’anthropologue Mara Viveros Vigoya, l’intersectionnalité est un outil, à la fois théorique et méthodologique, « pour penser la pluralité des logiques de domination et leurs croisements », expliquent-ils dans le Manuel indocile des sciences sociales.
Une évidence pour Emma de #NousToutes. « On ne peut pas venir questionner l’oppression faite sur les femmes de manière générale sans venir questionner celle faite spécifiquement aux femmes racisées, aux femmes musulmanes, aux femmes trans... », explique t‑elle.
Au-delà de ces débats de société, les féministes espèrent être entendues par le gouvernement qui a fait de l’égalité entre les femmes et les hommes une grande cause de son quinquennat. « L’an dernier, nous avons fait une demande d’un milliard d’euros pour que les collectifs et associations sur le terrain soient aidés. Nous n’avons rien eu ! », regrette Emma. D’autant plus que ce deuxième confinement fait peser de nouvelles menaces sur les femmes, isolées.
Tim Buisson
1 Alliance citoyenne, CNT38, Dal38, NousToutes 38, Solidaires Isère, Rita, Le Strass Aura, UCL, UEG, Unef, NPA, EELV, Ensemble 38!, PAG38