FOCUS - D'ordinaire, le plan blanc est activé pour faire face à une crise sanitaire ou exceptionnelle. Ce fut le cas pour la Covid au printemps, ou auparavant pour la canicule ou les attentats. Au CHU de Grenoble, le dispositif de crise a été déployé depuis ce week-end. Non que la capitale du Dauphiné soit en zone rouge – le nombre d'hospitalisations liées au coronavirus se monte à douze dont trois réanimations. Mais faute de lits et de personnels, de nombreux services, et en particulier les urgences, sont au bord de l'asphyxie.
À Grenoble, le CHU a activé le plan blanc. Une mesure d'urgence non pour faire face à l'activité générée par la crise du coronavirus – douze personnes sont à ce jour hospitalisées dont trois en réanimation – mais parce que dans les services, le manque de lits et de personnels devient alarmant.
La situation n'est pas propre à Grenoble mais, dans la capitale du Dauphiné, les successions de démissions, d'arrêts maladie et de burn-out du personnel médical et paramédical ont fini par mettre à genou l'hôpital Michallon comme l'hôpital public de Voiron*.
Samedi 5 septembre dans la soirée, la direction en concertation avec l'Agence régionale de santé (ARS) a fini par activer le dispositif de crise. Une mesure d'urgence pour gérer d'ordinaire des situations sanitaires exceptionnelles : crise sanitaire majeure comme au printemps dernier avec la Covid, canicule ou attentat.
« Le plan blanc dans de telles conditions, on n'avait jamais vu ça ! »
« Le plan blanc dans de telles conditions, on n'avait jamais vu ça ! On n'est pas en zone rouge ! », s'étouffe Chantal Sala, déléguée CGT au CHU de Grenoble. La crise est d'abord structurelle. Voilà plus d'un an que l'hôpital est dans la rue, à tirer la sonnette d'alarme, à Grenoble comme à Voiron.
Alors, en août, la démission d'un médecin urgentiste, fer de lance de la contestation au travers des collectifs inter-hôpitaux et inter-urgences, et qui s'était vu refuser un poste de praticien hospitalier, a fini de mettre le feu aux poudres. Dans un courrier adressé le 17 août à la direction en soutien au Dr Cardine, 45 médecins alertaient, une fois de plus, sur la dégradation des conditions de travail et « les répercussions sur la qualité des soins ». Un tiers des patients admis aux urgences y auraient, selon eux, séjourné plus de douze heures depuis plusieurs semaines.
Les urgences du CHU de Grenoble. © Léa Raymond
À Grenoble, beaucoup craignent que ce soit le début de l'hémorragie. Ou plutôt la continuité. Car le Dr Cardine n'est pas le premier à claquer la porte. Entre 2019 et 2020, le service des urgences a perdu un cinquième de ses effectifs, a reconnu la direction de l'hôpital auprès de What's up doc. Dans ce seul service, 23 départs ** dont 15 démissions se sont succédé en un an. Sans autre solution ? Contactée, la direction du CHU n'avait, à la publication de l'article, pas répondu à nos sollicitations.
Aux urgences de Voiron, il manque toujours un tiers des médecins
À Voiron, le mal perdure. En juin, le personnel était descendu dans la rue pour alerter sur la situation aux urgences. Trois mois plus tard, rien n'a semble-t-il changé.
A Grenoble comme à l'hôpital de Voiron, le personnel n'en finit pas de tirer la sonnette d'alarme. © Patricia Cerinsek
Il manque toujours six médecins, sur les 18 que devrait compter le service. Sans compter ceux en arrêt maladie. Résultat ? « On est tombé à huit médecins », confie Bernard Rival, syndicaliste CGT. « Mais les six qui manquent, ils manquent depuis longtemps... »
Pendant tout l'été, les praticiens des autres services se sont relayés pour prendre des gardes. Jusqu'à quand ?
« Le médecin urgentiste est devenu une denrée rare. Et cela risque de le devenir encore plus. Il va falloir gérer la pénurie, et on le sait depuis des années. En Angleterre, les nurses font plus d'actes médicaux qu'en France. C'est vers quoi on s'achemine ? »
Concrètement, le plan blanc doit permettre un renfort de personnel sur la base du volontariat et... d'heures supplémentaires. Des heures que l'hôpital a pourtant toutes les peines du monde à payer, plombé par une lourde dette sociale. Ce plan devrait aussi se traduire, après la crise printanière du Covid, par de nouvelles déprogrammations d'actes chirurgicaux, la priorité étant donnée aux urgences.
« Ce n'est pas en donnant un peu d'argent aux soignants qu'on va changer les choses »
Covid ou pas, le retour à la normale n'est pas pour tout de suite. Et les quelques mesures nées du Ségur de la Santé, essentiellement de revalorisation salariale, ne suffisent pas à calmer les tensions croissantes au sein de l'hôpital public.
« Ce n'est pas en donnant un peu d'argent aux soignants qu'on va changer les choses, poursuit Bernard Rival. On parle conditions de travail. La durée de vie professionnelle d'une infirmière, c'est quinze ans. Contre vingt-cinq avant. En moyenne, le turnover dans les établissements est de trois ans, contre neuf auparavant. »
« On tourne en boucle, résume un praticien. Si les conditions de travail sont mauvaises, l'hôpital n'arrivera pas à recruter. Et sans personnels, on ferme des lits... » Au risque de faire le jeu du privé ? Avec la possible reprise de la clinique mutualiste par le groupe privé Doctegestio, beaucoup craignent en effet à Grenoble une réorganisation de l'offre de soins. Au détriment du secteur public...
Patricia Cerinsek
* Depuis le 1er janvier, l'hôpital de Voiron a fusionné avec le CHU de Grenoble.
**Le CHU a procédé en parallèle au recrutement de 35 praticiens contractuels ou assistants spécialistes, précisent les services du CHU en réponse à nos questions, après la publication de l'article. « Un enjeu majeur réside donc dans la fidélisation de ces praticiens pour stabiliser les équipes ». (article mis à jour le 8 septembre)